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13/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19632

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 juillet 2005, 19632


Tribunal administratif N° 19632 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 avril 2005 Audience publique du 13 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19632 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2005 par Maître Lydie BEURIOT, avocat à la Cour, assistée de Maître Juliette FEITLER,

avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ...

Tribunal administratif N° 19632 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 avril 2005 Audience publique du 13 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19632 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2005 par Maître Lydie BEURIOT, avocat à la Cour, assistée de Maître Juliette FEITLER, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , … , tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 9 décembre 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et de celle confirmative, intervenue sur recours gracieux, du 9 mars 2005 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2005 par Maître Lydie BEURIOT ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, Maître Juliette FEITLER et Monsieur et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH s’étant rapportés aux écrits de leurs parties respectives à l’audience publique du 4 juillet 2005.

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Le 13 janvier 2004, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg et sur son identité.

Par décision du 9 décembre 2005, notifiée en date du 21 janvier 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … de ce que sa demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996.

La décision est motivée de la façon suivante :

« Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 13 janvier 2004.

Vous ne vous êtes ni présenté au Bureau d’accueil pour les demandeurs d’asile auprès du Ministère de la Justice depuis le 13 avril 2004 pour prolonger votre attestation de demandeur d’asile, ni auprès du Service des Réfugiés du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration malgré le fait d’avoir été convoqué le 22 novembre 2004.

Par conséquence une audition concernant votre demande d’asile s’est avérée impossible.

Votre comportement doit être interprété comme un refus de collaboration manifeste de votre part et considéré comme omission flagrante de vous acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile.

En effet, l’article 6 f) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile dispose comme suit « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile.

Tel est notamment le cas lorsque le demandeur a omis de manière flagrante de s’acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile ».

Le fait de ne pas vous présenter au Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration au rendez-vous fixé pour votre audition et pour le renouvellement de votre attestation de demandeur d’asile constitue une des omissions prévues par l’article 6 précité.

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, à priori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs ».

Le 18 février 2005 Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision.

Le recours gracieux fut libellé comme suit :

« En date du 13 janvier 2004, mon mandant a présenté auprès du service compétent du Ministère de la Justice une demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 (référence R-5478).

Par courrier du 2 novembre 2004, vous avez convoqué mon mandant pour une audition le 22 novembre 2004.

Or, il s’avère que mon mandant, après avoir accompli une peine d’emprisonnement de six mois, conformément au jugement rendu en date du 29 juillet 2004 par la Chambre correctionnelle du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, est sorti du Centre Pénitentiaire de Schrassig en date du 5 novembre 2004.

Suite à cet emprisonnement mon mandant, de nationalité nigériane, souffrant de troubles psychiques, ne connaissant pas le pays et poussé par ses craintes liées à ses problèmes criminels antérieurs, n’est pas retourné au foyer que le Ministère de la Famille lui avait fourni (…) et a été logé chez une ressortissante portugaise habitant le Grand-Duché pendant près de deux mois et demi.

Le 21 janvier 2005, mon mandant est réapparu volontairement et souhaite désormais continuer sa procédure de demande d’asile.

Par décision du 9 décembre 2004, notifiée à mon mandant en date du 21 janvier 2005, la demande en obtention du statut de réfugié de mon mandant a été rejetée et a été déclarée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire.

En outre, cette décision du 9 décembre 2004 fait référence à la non présentation de mon mandant à l’audition prévue le 22 novembre 2004. En effet, celui-ci n’ayant pas eu connaissance de cette convocation envoyée au … n’a pas pu s’y présenter.

Cependant, nous vous prions de bien vouloir relever que mon mandant est réapparu de son propre gré en date du 21 janvier 2005 et qu’il se trouve actuellement à votre disposition pour remplir ses obligations.

Par la présente, nous introduisons un recours gracieux à l’encontre de votre décision du 9 décembre 2004, notifiée à mon mandant en date du 21 janvier 2005.

Nous vous prions donc de bien vouloir revoir ladite décision afin de poursuivre l’instruction administrative en cours et notamment de bien vouloir convoquer Monsieur … à une nouvelle audition ».

Par décision du 9 mars 2005, notifiée en date du 22 mars 2005, le ministre, à défaut d’éléments pertinents nouveaux, confirma sa décision antérieure.

Le 8 avril 2005, Monsieur … a fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours en réformation contre les deux décisions ministérielles.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours Monsieur … réitère les explications avancées au cours de son recours gracieux et fait valoir que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, en confirmant sa première décision de refus, aurait simplement refusé de le convoquer une nouvelle fois et n’aurait pas statué sur le fond de l’affaire. Il fait valoir que de ce fait la procédure administrative non contentieuse aurait été viciée, étant donné le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration n’aurait jamais pu entendre les motifs pour lesquels il a quitté son pays d’origine pour venir au Grand-Duché de Luxembourg. Dès lors, Monsieur … demande dans le cadre du recours en réformation l’annulation de la décision ministérielle du 9 décembre 2004 au motif que ce serait à tort qu’il n’aurait pas été entendu sur les motifs à la base de sa demande d’asile. Il demande également à voir renvoyer son dossier au ministre compétent pour qu’il soit procédé à son audition.

Le délégué du Gouvernement fait valoir que Monsieur … ne se serait pas présenté après sa sortie de prison le 5 novembre 2004 au ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration pour le renouvellement de son attestation de demandeur d’asile et que pour le surplus il ne se serait pas présenté à l’audition prévue pour le 22 novembre 2004. En ce qui concerne l’excuse avancée par le mandataire de Monsieur …, le délégué du Gouvernement relève qu’elle ne saurait être retenue, étant donné que les troubles psychiques allégués ne sont appuyés sur aucun élément de preuve. Il ajoute que le fait que Monsieur … n’a pas reçu sa convocation à l’audition serait insuffisant à lui seul pour excuser son absence, alors que son mandataire a été au courant de cette audition et était même présent en date du 22 novembre 2004 suivant une note jointe au dossier de l’agent en charge de l’audition. Il estime pour le surplus qu’il incomberait au demandeur d’asile de déclarer l’adresse de son nouveau domicile, chose qui n’aurait pas été faite en l’espèce, et souligne que les obligations prévues par les dispositions régissant les procédures d’asile seraient à prendre au sérieux et qu’elles ne s’appliqueraient pas selon le bon vouloir du demandeur d’asile, de sorte que cette légèreté d’agir du demandeur caractériserait une attitude abusive de Monsieur … par rapport à sa procédure d’asile.

Ce serait dès lors à juste titre que le ministre a refusé la demande en obtention du statut de réfugié basée sur un refus de collaboration et sur une omission flagrante de ne pas s’être acquitté des obligations afférentes à ladite demande.

Dans son mémoire en réplique, le mandataire de Monsieur … explique qu’il aurait seulement repris contact avec lui le 21 janvier 2005, de sorte qu’à partir de cette date, toutes les démarches nécessaires ont été effectuées afin de permettre à Monsieur … d’être reçu par un agent du ministère des Affaires étrangères. Il souligne que malgré le recours gracieux du 18 avril 2005, les autorités compétentes se sont refusées à l’entendre. Enfin, il conteste le refus de collaboration de la part de Monsieur …, étant donné qu’il se trouverait depuis le 21 janvier 2005 à la disposition du ministère pour remplir ses obligations.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée … si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

L’article 6 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 dispose :

« 1) Une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile.

2) Tel est notamment le cas lorsque le demandeur a : …f) omis de manière flagrante de s’acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile … 3) Si le demandeur peut donner une explication satisfaisante relative à la fraude ou au recours abusif aux procédures en matière d’asile lui reproché, sa demande d’asile ne sera pas automatiquement rejetée ».

En l’espèce, il ressort des pièces versées au dossier que le demandeur après sa sortie de prison ne s’est pas présenté à l’audition fixée au 22 novembre 2004.

La lettre de convocation a été envoyée par lettre recommandée au foyer lui attribué par le ministère de la Famille à L- … pour être retournée par la poste avec la mention « parti, n’habite plus à l’adresse ».

Il échet de constater à la lecture de la loi précitée du 3 avril 1996 que l’audition d’un demandeur d’asile par un agent du ministère de la Justice, afin de connaître les motifs sur lesquels ledit demandeur se base afin de se voir reconnaître le statut de réfugié constitue une étape importante et essentielle dans le cadre de l’instruction administrative, à laquelle le demandeur d’asile doit obligatoirement se soumettre, pour mettre le ministre de la Justice en mesure de prendre une décision en connaissance de cause des éléments de fait. Toute tentative d’un demandeur d’asile ayant pour but d’échapper à ladite audition, ainsi que toute tentative ayant pour but de repousser, de manière injustifiée, cette audition à une date plus lointaine que celle fixée par le ministre de la Justice constitue une violation flagrante par le demandeur d’asile de s’acquitter des obligations importantes qui lui incombent dans le cadre de la procédure d’asile. (Cour adm. 15 janvier 2004, n° du rôle 17331C, sous www.ja.etat.lu).

Il convient dès lors au tribunal d’examiner en application de l’article 6, alinéa 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 cité ci-avant si, en l’espèce, le demandeur a donné une explication satisfaisante à son comportement, de sorte que sa demande d’asile aurait dû ne pas être automatiquement rejetée.

A titre d’excuse Monsieur … avance qu’à sa sortie de prison il aurait souffert de troubles psychiques et que ne connaissant pas le pays et poussé par des craintes liées à ses problèmes criminels antérieurs, il ne serait pas retourné au foyer que le ministère de la Famille lui avait fourni et aurait logé chez une ressortissante portugaise pendant deux mois et demi pour réapparaître volontairement après ce délai.

Etant donné que les troubles psychiques mis en avant à titre d’excuse restent à l’état de pure allégation pour n’être documentés par aucune pièce, ils ne sauraient valoir à eux-seuls comme explication satisfaisante à son comportement. A cela s’ajoute qu’il aurait appartenu au demandeur de faire part aux services du ministère compétent ou du moins à son avocat, également sans nouvelles de sa part, de son changement d’adresse afin de mettre ceux-ci en mesure de le joindre. Enfin, le demandeur après sa sortie de prison a attendu presque trois mois avant de se présenter de nouveau aux services du ministère compétent.

Toute demande d’asile remplissant les conditions fixées par l’article 9 de la loi du 3 avril 1996, de sorte à pouvoir être rejetée comme étant manifestement infondée, peut également, et a fortiori, être considérée comme simplement non fondée au sens de l’article 11 de la même loi, la seule différence entre les deux dispositions légales consistant dans le fait que les procédures administrative et contentieuse à respecter en application de l’article 9 en question sont réglementées de manière plus stricte par rapport à celles applicables en application de l’article 11 précité, dans la mesure où non seulement seuls les recours en annulation sont susceptibles d’être introduits à l’encontre des décisions déclarant une demande d’asile manifestement infondée mais qu’en outre les délais d’instruction sont beaucoup plus courts par rapport à ceux applicables pour les décisions prises au sujet des demandes d’asile déclarées simplement non fondées.

Or, le fait de faire application des dispositions des articles 11 et 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 au lieu de celles contenues aux articles 9 et 10 de la même loi ne saurait en aucune manière préjudicier au demandeur d’asile qui, au contraire, bénéficie ainsi de garanties de procédure plus étendues, dans la mesure où il pourra introduire un recours en réformation devant les juridictions administratives et où les délais d’instruction au niveau administratif et au niveau juridictionnel ne comportent pas la même limitation dans le temps que ceux prévus au sujet des demandes d’asile déclarées manifestement infondées (Cour adm. 19 février 2004, n° 17263C ; Cour adm. 19 février 2004, n° 17264C, non encore publiés).

A partir de ces considérations, le tribunal est amené à constater que la décision litigieuse est a fortiori justifiée dans son résultat en ce qu’elle a rejeté comme non fondée sur base de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée la demande du demandeur en obtention du statut de réfugié.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs ;

le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 13 juillet 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge Mme Thomé, juge, en présence de M.Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 7


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19632
Date de la décision : 13/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-13;19632 ?

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