La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19613

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 juillet 2005, 19613


Tribunal administratif N° 19613 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 avril 2005 Audience publique du 13 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

-------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19613 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 avril 2005 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur â€

¦, sans état, né le …. à Saab (Libéria), de nationalité libérienne, actuellement détenu au Cen...

Tribunal administratif N° 19613 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 avril 2005 Audience publique du 13 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

-------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19613 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 avril 2005 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, sans état, né le …. à Saab (Libéria), de nationalité libérienne, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du 17 novembre 2004 du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, déclarant sa demande en obtention du statut de réfugié non fondée, ainsi que contre une décision prise par le même ministre en date du 9 mars 2005 par laquelle ledit ministre a rejeté un recours gracieux introduit par le demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 31 mai 2005 en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Philippe STROESSER et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

________________________________________________________________________

Le 16 septembre 2003, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Il fut encore entendu en date du 30 décembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Par décision datant du 17 novembre 2004, lui notifiée en mains propres le 26 janvier 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, entre-temps en charge du dossier, l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 25 septembre 2003 et les rapports d’audition du 30 décembre 2003.

Il ressort du rapport de Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté le Libéria le 20 juillet 2003 à pieds pour arriver tout d’abord en Guinée, puis vous seriez monté à bord d’un bateau en direction de l’Italie, et pour finir vous ne savez pas comment vous êtes arrivé au Luxembourg.

Il résulte de vos déclarations que le jour suivant l’arrestation de votre père, des soldats seraient venus vous chercher avec votre sœur pour vous emmener dans une maison afin de vous interroger et battre pour savoir où se trouverait l’argent de votre père, supposé avoir été donné à vous. Cependant, vous leur auriez expliqué que les rebelles détiendraient cet argent, du coup les soldats vous auraient relâché. Vous auriez décidé à ce moment là de ne plus rentrer chez vous, et de quitter le pays.

Vous déclarez avoir quitté votre pays en raison de la guerre et ajoutez que vous seriez recherché par les soldats.

Enfin, vous n’êtes membre d’aucun parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

En l’espèce, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. En effet, force est de constater tout d’abord que concernant votre sentiment général d’insécurité dû à la guerre, un tel sentiment ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Mais de plus, actuellement la situation au Libéria s’est considérablement améliorée, la guerre est terminée. Effectivement, non seulement le président Charles Taylor a été évincé pour laisser place à un gouvernement transitoire, mais de plus le conseil de sécurité des Nations Unies a adopté une résolution afin d’établir une vaste opération de maintien de la paix dans ce pays, notamment en déployant jusqu’à 15.000 casques bleus et policiers, effectif qui sera atteint très prochainement, et dont sa mise en place a débuté le 1er octobre 2003. Une attention particulière est naturellement portée aux questions de sécurité, avec en l’occurrence l’observation du cessez-le-feu, le désarmement et la démobilisation des combattants des forces armées et de police. Néanmoins, l’opération a également pour mandat de faciliter la délivrance de l’aide humanitaire, de contribuer à la protection des droits de l’homme et d’aider le gouvernement de transition à restaurer les structures de l’Etat. C’est pourquoi par ailleurs il est improbable que vous soyez recherché par des soldats sous la commande de l’ancien gouvernement à savoir celui de Charles Taylor alors que celui-ci a été évincé. Aussi, considérant les faits, il est également improbable qu’ils vous recherchent alors que vous avez été relâché.

En outre, dans un autre contexte il convient de relever que vous avez délibérément menti quant à votre âge puisque le certificat médical daté du 18 novembre 2003 atteste le fait que vous n’étiez absolument pas mineur tel que vous le prétendez. A ce sujet, l’article 6 2b) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. Tel sera le cas notamment lorsque le demandeur a délibérément fait de fausses déclarations verbales ou écrites au sujet de sa demande, après avoir demandé l’asile ».

Enfin, il convient de remarquer que vous ne vous êtes pas rendu au Ministère de la Famille conformément à une convocation par lettre recommandée afin de subir un examen physique médical prévu en date du 16 janvier 2004 dans le but d’évaluer à nouveau votre âge probable, un tel comportement doit être qualifié de refus de collaboration manifeste.

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé entre autres dans le cadre d’une lettre adressée le 17 février 2005 au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, celui-

ci prit une décision confirmative le 9 mars 2005.

Monsieur … a fait introduire par requête déposée en date du 6 avril 2005 un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles initiale du 17 novembre 2004 et de la décision confirmative du 9 mars 2005.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est encore recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur conteste l’appréciation de son récit faite par le ministre et estime que ses déclarations rendraient les faits avancés pour obtenir la protection prévue par la Convention de Genève « plausibles, précis et suffisamment précis ».

Il insiste plus particulièrement sur ce que la situation générale régnant au Libéria resterait instable et que les forces internationales en place ne seraient pas en mesure de protéger les citoyens. Ainsi, son père ayant été arrêté et lui même agressé par des militaires dans le passé, il craindrait légitimement qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait de faire l’objet de nouvelles exactions.

Il conteste encore avoir menti sur son âge, soutenant que le certificat médical sur lequel le ministre s’est basé ne tiendrait pas compte de ses spécificités physiologiques en tant que personne issue d’un pays « en proie à l’instabilité politique, à la guerre, à la famine et où les enfants doivent apprendre très tôt à subvenir à leurs propres besoins », son développement corporel serait nécessairement différent du « schéma d’évolution européen ».

Enfin, il conteste avoir manqué à son obligation de collaboration, soutenant qu’il aurait été dans l’impossibilité de donner suite à la convocation de se présenter au ministère de la Famille du fait d’avoir été incarcéré au Centre pénitentiaire de Schrassig.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2004, v° Recours en réformation, n° 12).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 30 décembre 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même abstraction faite des considérations visant les fausses déclarations relativement à l’âge de l’intéressé et aux éventuelles incidences quant à la crédibilité du demandeur, force est de constater que le demandeur fait en substance état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre et estime que la crainte afférente pourrait être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié au vu de la situation instable et non sécurisée dans son pays d’origine.

Or, s’agissant ainsi de la crainte d’actes émanant non pas des autorités publiques en place au Libéria, mais de groupements de la population civile, il y a lieu de relever qu’une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, la situation a fondamentalement changé au Libéria par la signature en août 2003 d’un accord entre le gouvernement libérien, les forces rebelles, les partis politiques et des représentants de la société civile et par l’instauration en date du 14 octobre 2003 d’un gouvernement de transition. S’y ajoute qu’une force internationale (UNMIL) a été instaurée par la résolution n° 1509 du Conseil de Sécurité des Nations Unies du 19 septembre 2003 avec la mission notamment d’assurer la sécurité intérieure du pays et de soutenir la démobilisation et le désarmement des forces rebelles.

Face à cette évolution positive de la situation générale au Libéria et en l’absence d’éléments suffisants de nature à étayer un risque concret de recrudescence générale des violences, un affrontement isolé en date du 26 janvier 2005 et un couvre-feu décrété sur la ville portuaire de Harper et des lenteurs dans le processus de démobilisation et de désarmement de la population, étant insuffisants pour permettre de tirer pareille conclusion, les craintes exprimées par le demandeur ne sont pas de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours en réformation doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 13 juillet 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19613
Date de la décision : 13/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-13;19613 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award