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13/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19419

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 juillet 2005, 19419


Tribunal administratif N° 19419 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mars 2005 Audience publique du 13 juillet 2005 Recours formé par la société … s.a., … contre une décision du ministre des Classes Moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19419 du rôle et déposée le 2 mars 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Luc TECQMENNE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … s.a., éta

blie et ayant son siège social à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une ...

Tribunal administratif N° 19419 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mars 2005 Audience publique du 13 juillet 2005 Recours formé par la société … s.a., … contre une décision du ministre des Classes Moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19419 du rôle et déposée le 2 mars 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Luc TECQMENNE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … s.a., établie et ayant son siège social à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 1er décembre 2004 lui refusant l’autorisation d’établissement en tant qu’entreprise de construction ;

Vu le mémoire en réponse déposé par le délégué du Gouvernement en date du 6 mai 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2005 par Maître Luc TECQMENNE pour compte de la demanderesse ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 11 juillet 2005, en présence de Maître Luc TECQMENNE et de Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH qui se sont rapportés à leurs écrits respectifs.

En date du 16 septembre 2004, la fiduciaire … sollicita auprès du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, ci-après désigné par « le ministre », l’octroi d’une autorisation d’établissement pour compte de la société anonyme … s.a., ci-après « la société », pour l’activité d’entreprise de construction ainsi que d’achat et vente de matériaux de construction, en indiquant en tant que gérant de ladite société Monsieur ….

Par courrier du 26 octobre 2004, le ministre transmit la demande au Parquet économique et financier avec prière d’avis quant à la responsabilité de Monsieur … dans la faillite de la société …, prononcée en date du 28 avril 2000.

Le Parquet du tribunal d’arrondissement de Luxembourg adressa au ministre un avis daté du 18 novembre 2004 relatif à la demande d’autorisation présentée par Monsieur …, concluant à l’absence d’honorabilité professionnelle dans le chef de celui-ci, et la commission instituée par la loi du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales, telle que modifiée notamment par la loi du 4 novembre 1997, ci-après désignée par « la loi d’établissement », rendit en date du 25 novembre 2004 un avis défavorable en ce qui concerne l’honorabilité professionnelle de Monsieur ….

Cet avis amena le ministre en date du 1er décembre 2004 à adresser à la fiduciaire … une décision de refus libellée comme suit :

« Par la présente, j’ai l’honneur de me référer à votre demande sous rubrique, qui a fait entre-temps l’objet de l’instruction administrative prévue à l’article 2 de la loi d’établissement du 28 décembre 1988, modifiée le 4 novembre 1997 et le 9 juillet 2004.

Le résultat m’amène à vous informer que selon l’avis de la commission y prévue Monsieur … ne présente plus la garantie nécessaire d'honorabilité professionnelle en raison de ses agissements et de son implication dans les faillites des sociétés XXX SARL et … SA.

Dans cette dernière, il apparaît notamment que les bilans n’ont pas été déposés et que le crédit a été maintenu artificiellement en omettant de payer les créanciers publics. Par ailleurs, le sieur précité a fourni une déclaration de non-faillite mensongère, ce qui caractérise sa mauvaise foi et sa désinvolture.

Cette prise de position est basée sur un rapport du Parquet Général du Grand-Duché de Luxembourg ainsi que sur le rapport établi par le curateur des faillites des sociétés faillies susmentionnées.

Comme je me rallie aux conclusions de cet organe de consultation, je suis au regret de ne pouvoir faire droit à votre requête dans l'état actuel du dossier en me basant sur les articles 2 et 3 de la loi susmentionnée.

La présente décision peut faire l’objet d’un recours par voie d’avocat à la Cour endéans trois mois auprès du Tribunal Administratif.

Veuillez agréer (…) ».

Par requête déposée le 2 mars 2005 au greffe du tribunal administratif, la société anonyme … s.a. a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 1er décembre 2004.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation au motif qu’aucune disposition légale ne prévoirait un recours au fond en la matière.

Aucun recours au fond n’est prévu par la loi d’établissement qui, au contraire prévoit expressément en son article 2, alinéa 6, qu’en matière d’octroi, de refus ou de révocation d’autorisation d’établissement seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, de sorte que le tribunal doit se déclarer incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal.

Le recours en annulation quant à lui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

Dans le cadre d’un recours en annulation, le tribunal statue par rapport à la décision administrative lui déférée sur base des moyens invoqués par la partie demanderesse tirés d’un ou de plusieurs des cinq chefs d’annulation énumérés à l'article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, de sorte que son pouvoir de contrôle est essentiellement limité au cadre posé par les griefs invoqués, eux-

mêmes conditionnés par l’intérêt à agir existant dans le chef du recourant à la base de la requête introduite (cf. trib. adm. 21 juin 1999, n° 10874, confirmé par arrêt du 15 février 2000, n° 11420C, Pas. adm. 2004, V° Recours en annulation, n° 8, p.652).

La demanderesse fait valoir à l’appui de son recours que la décision ministérielle aurait été prise en violation de l’article 3 de la loi d’établissement, et reproche à ce sujet au ministre de s’être limité à prendre en considération les seuls éléments découlant de la faillite … s.a., sans prendre en considération tous les éléments fournis par l’enquête administrative pour apprécier l’honorabilité de Monsieur ….

Elle estime encore que le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation, et conteste en substance toute responsabilité personnelle dans le chef de Monsieur … dans les faillites XXX s.a. et … s.a., en affirmant que Monsieur … ni n’était administrateur-délégué de ces sociétés, ni n’aurait commis le moindre agissement frauduleux.

Elle rejette enfin l’accusation portée à l’encontre de Monsieur … comme quoi celui-ci aurait fait une déclaration mensongère.

Dans le cadre de son mémoire en réplique la demanderesse réitère ses contestations, et soulève en tant que nouveau moyen le fait que le ministre aurait accordé à une société sœur de la requérante deux autorisations d’établissement successives portant sur les mêmes activités que celles envisagées par elle, et ce à la condition que la gérance de cette société-sœur soit assurée par Monsieur …, pour en déduire une contradiction avec la motivation avancée dans la décision de refus actuellement déférée au tribunal.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de l’honorabilité de Monsieur …, de sorte que la demanderesse serait à débouter de son recours.

En ce qui concerne le moyen de la demanderesse relatif au fait que le ministre n’aurait retenu qu’un seul élément d’information pour motiver son refus, sans prendre en compte tous les éléments de l’enquête administrative, force est de constater que contrairement à cette affirmation, la décision ministérielle litigieuse est assise sur deux éléments distincts, à savoir, d’une part, sur les agissements et implication de Monsieur … dans les faillites des sociétés XXX s.à r.l. et … s.a., reproche s’articulant lui-même sur un double plan, à savoir le non-

respect des prescriptions en matière de comptabilité et le maintien artificiel du crédit, et, d’autre part, sur la déclaration mensongère de non-faillite produite par Monsieur ….

Il s’ensuit que contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, le ministre ne s’est pas contenté de relever un élément à charge de Monsieur … pour refuser l’autorisation sollicitée, mais a assis sa décision sur un ensemble concordant d’indices.

A ce sujet, il y a lieu de relever que si le seul fait d’avoir été impliqué dans une faillite n’entraîne pas nécessairement et péremptoirement le défaut d’honorabilité professionnelle dans le chef de la personne concernée, toujours est-il que des faits permettant de conclure dans le chef du gérant d’une société à l’existence d’actes personnels portant atteinte à l’honorabilité professionnelle, peuvent constituer des indices suffisants pour refuser l’autorisation sollicitée (trib. adm. 5 mars 1997, Pas. adm. 2004, V° Autorisations d’établissement, n° 109, p.87 et autres références y citées).

Si la demanderesse conteste à ce sujet toute implication de Monsieur … dans les faillites des sociétés XXX s.à r.l. et … s.a., il résulte cependant des pièces, non utilement combattues par la demanderesse, que la société XXX s.à r.l., dont Monsieur … était gérant, a omis depuis sa constitution en 1994 jusqu’à sa faillite le 27 septembre 1996, de déposer le moindre bilan au registre de commerce et des sociétés.

Il résulte encore des pièces que Monsieur … était co-administrateur de la société … s.a., qui là encore n’a déposé aucun bilan depuis la date de sa constitution jusqu’à la date de sa mise en faillite.

Il s’avère encore que cette dernière faillite a eu pour origine des dettes considérables envers l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines, de sorte que le motif énoncé dans la décision ministérielle relatif au maintien artificiel du crédit en omettant notamment de payer un créancier public et en omettant de faire l’aveu de la faillite en temps opportun se trouve également vérifié au regard des pièces actuellement versées au dossier.

Il s’ensuit qu’en l’espèce l’honorabilité professionnelle des dirigeants de la société … s.a. doit être considérée comme entamée au vu des dettes sociales considérables accumulées sur une période peu étendue, la société ayant été créée en 1994 et sa faillite déclarée en avril 2000.

Le demandeur entend résister à cette constatation en excipant de son statut d’administrateur, incapable « d’exercer une influence significative sur la gestion courante de ces sociétés ».

Il convient de prime abord de souligner que Monsieur … n’était pas « simple » administrateur de la société XXX s.à r.l., mais gérant de cette société, de sorte à devoir être considéré en application des articles 191bis et 192 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales comme pleinement responsable à l’égard des tiers des dommages résultant d'infractions à la loi et aux statuts sociaux.

En ce qui concerne la fonction d’administrateur occupée par Monsieur … dans la société … s.a., il y a lieu de souligner que contrairement à ce que fait plaider la société, les membres du conseil d’administration n’échappent pas à leurs responsabilités parce qu’ils délèguent en tout ou en partie, celles-ci à d’autres ; ils doivent au contraire assumer une surveillance constante de ceux à qui ils donnent une pareille délégation (voir Mons, 20 mai 1985, R.P.S., 1985, p. 290, cité dans : Ralet O., Responsabilité des dirigeants de sociétés, 1996, n° 42, p.59), de sorte que Monsieur … ne saurait en tout état de cause pas se prévaloir d’une responsabilité amoindrie qui découlerait de la présence d’un administrateur délégué.

Il s’ensuit que l’argumentation de la demanderesse consistant à dire que Monsieur … n’aurait de ce fait pas ou prou eu de responsabilité dans des sociétés XXX s.à r.l. et … s.a. est à rejeter comme non fondée.

Il résulte encore des pièces versées en cause par la partie publique et non contestées par la demanderesse que Monsieur …, par attestation reçue par le notaire … de résidence à Dison (Belgique) en date du 14 juillet 2004, a déclaré n’avoir, jusqu’à ce jour, fait l’objet d’aucun jugement le déclarant en état de faillite personnel, ni, surtout, « n’avoir jamais été impliqué de quelque manière que ce soit dans une quelconque affaire de faillite ou de banqueroute, le tout que ce soit au Grand-Duché de Luxembourg ou dans un quelconque autre pays » ce qui, compte tenu de la qualité incontestable de Monsieur … de respectivement gérant et administrateur des sociétés faillies XXX s.à r.l. et … s.a., doit être considéré comme une « déclaration de non-faillite mensongère », du moins au vu de l’ensemble des pièces actuellement versées au dossier.

Cette déclaration sous serment, visant à obtenir le bénéfice d’une autorisation sur base de faux éléments, témoigne à suffisance de la mauvaise foi, de la volonté peu scrupuleuse de son auteur et du défaut d’honorabilité professionnelle de celui-ci, sans que cette conclusion ne soit énervée par l’argumentation de la demanderesse selon laquelle ladite déclaration se limiterait à un éventuel état de faillite personnel, une telle limitation étant en l’espèce totalement artificielle et non pertinente au vu du libellé large et général (« impliqué de quelque manière ») du serment presté.

Il s’ensuit que la déclaration mensongère vérifiée constitue, ensemble les autres éléments relevés ci-dessus, un ensemble de faits ayant pu justifier le refus ministériel déféré de l’autorisation sollicitée, de sorte que le recours en annulation sous examen laisse d’être fondé.

Cette conclusion n’est pas énervée par la référence à d’autres autorisations délivrées à une autre société sous condition que Monsieur … y exerce la fonction de gérant. En effet, la seule autorisation versée en cause - qui d’ailleurs est limitée à l’exécution d’un chantier déterminé et indique expressément ne pas être valable pour l’établissement définitif de ladite société au Grand-Duché de Luxembourg – date du 5 décembre 2003, de sorte à être antérieure à la décision ministérielle déférée du 1er décembre 2004. Or celle-ci relève expressément, à la suite d’une enquête administrative diligentée postérieurement à l’autorisation du 5 décembre 2003, que Monsieur … ne présente « plus » la garantie nécessaire d’honorabilité, de sorte à exclure toute contradiction par rapport à l’autorisation précédemment délivrée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à principal ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond le dit non justifié et en déboute ;

laisse les frais à charge de la demanderesse.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 juillet 2005 par :

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Lenert, premier juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19419
Date de la décision : 13/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-13;19419 ?

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