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11/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19712

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juillet 2005, 19712


Tribunal administratif N° 19712 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 avril 2005 Audience publique du 11 juillet 2005 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19712 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2005 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avoc

ats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant...

Tribunal administratif N° 19712 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 avril 2005 Audience publique du 11 juillet 2005 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19712 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2005 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 28 février 2005 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 30 mars 2005 suite à un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 mai 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 24 juin 2005 par Maître PLOTTKE au nom de Madame … ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Nicolas CHELY, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKE et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 juillet 2005.

Le 24 janvier 2005, Madame … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 27 janvier 2005, elle fut entendue par un agent du ministère des Affaires Etrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 28 février 2005, notifiée par voie de courrier recommandé et expédiée le 2 mars 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Madame … de ce que sa demande avait été rejetée comme non fondée au motif que sa demande ne correspondrait à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et qu’elle ne ferait pas état de persécutions ou de craintes de persécutions dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. Ainsi, le fait pour elle d’avoir refusé d’épouser un homme auquel elle aurait été promise ne saurait fonder une demande en obtention du statut de réfugié faute de rentrer dans le cadre des motifs de persécution énoncés par la Convention de Genève. Le ministre a retenu la même conclusion concernant le fait que la mère de Madame … et cet homme n’auraient pas voulu qu’elle fréquente l’église. Il a signalé pour le surplus que ni la mère de l’intéressée ni l’homme auquel elle aurait été promise ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et que sa crainte de se faire tuer par cet homme serait par ailleurs purement hypothétique pour n’être basée sur aucun fait réel ou probable.

Le ministre a noté finalement que Madame … n’aurait pas demandé protection auprès des autorités nigérianes compétentes et qu’elle resterait en défaut d’établir que ces dernières auraient refusé ou seraient dans l’incapacité de lui fournir une protection quelconque. Il en a déduit que les motifs de persécution invoqués traduiraient plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le recours gracieux que Madame … a fait introduire par courrier de son mandataire datant du 21 mars 2005 à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 28 février 2005 s’étant soldé par une décision confirmative du 30 mars 2005, elle a fait introduire, par requête déposée en date du 22 avril 2005, un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des deux décisions prévisées des 28 février et 30 mars 2005.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour statuer en tant que juge du fond en la matière.

Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

A l’appui de son recours, Madame … relève d’abord le fait qu’elle maîtrise très mal la langue anglaise pour faire valoir que son audition aurait été viciée par le fait qu’elle n’était pas assistée d’un interprète. Elle reproche ensuite à l’autorité administrative de ne pas avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées du fait des persécutions dont elle aurait été victime dans son pays d’origine, étant donné que ces persécutions ne manqueraient pas de se reproduire si elle devait être contrainte de renter au Nigeria. Elle rappelle dans ce contexte avoir fait l’objet de menaces à sa vie et à sa liberté, ainsi que de violations graves des droits de l’homme pour des raisons d’appartenance à un certain groupe ethnique ainsi qu’en raison de son refus de se plier à des pratiques archaïques susceptibles d’être qualifiées d’acte de persécution au sens de la Convention de Genève. Elle insiste ainsi sur le fait que son refus d’avoir épousé un homme musulman et polygame auquel elle aurait été promise l’exposerait à un réel risque d’atteinte à son intégrité physique.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que le recours laisserait d’être fondé.

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse insiste sur le fait que la configuration politique actuelle du Nigeria admettrait l’utilisation de la loi islamique Charia dans certaines régions du pays, de sorte que la polygamie serait admise et que les femmes qui ne veulent s’y soumettre risqueraient d’être sévèrement sanctionnées. De ce fait, elle se trouverait simplement réduite en esclavage, alors que depuis son enfance elle aurait été promise à un homme qu’elle ne souhaitait cependant pas épouser.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du Gouvernement signale que la demanderesse a expressément déclaré ne pas avoir rencontré de problèmes de communication lors de son audition par un agent du ministère.

Dans la mesure où la demanderesse n’a pas émis de réserve dans le cadre de son audition au sujet d’éventuels problèmes de communication rencontrés et qu’elle a par ailleurs été assistée par un avocat lors de cette audition, son moyen basé sur l’allégation que certaines questions posées lui auraient été incompréhensibles laisse d’être fondé pour être controuvé à partir des pièces versées au dossier.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations faites.

L’examen des déclarations faites par Madame … lors de son audition, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que la demanderesse invoque essentiellement sa crainte de faire l’objet de violences par un homme auquel elle aurait été promise selon une coutume traditionnelle. Or, les faits ainsi allégués par la demanderesse, même à les supposer établis, n’émanent pas de l’Etat, mais de personnes privées et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que dans l’hypothèse où les personnes en cause ne bénéficieraient pas de la protection des autorités de leur pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s). Or, en l’espèce, la demanderesse ne démontre pas que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place n’aient pas été capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant donné qu’elle ne s’est même pas adressée aux autorités en place pour obtenir une protection, face aux prétendues menaces ayant pesé sur elle.

Pour le surplus, les risques allégués par la demanderesse se limitent essentiellement à sa région d’origine et elle reste en défaut d’établir à suffisance de droit qu’elle ne peut pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie du Nigeria, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf.

trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il résulte des développements qui précèdent que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

La demanderesse sollicité à travers leur dispositif de sa requête introductive d’instance que le tribunal ordonne, en application de l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999, l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel.

Au vu de l’issue du litige principal et en l’absence de preuve d’un préjudice grave et définitif dans le chef de Madame …, il n’y a pas lieu d’ordonner l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

rejette la demande d’effet suspensif ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 juillet 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19712
Date de la décision : 11/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-11;19712 ?

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