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11/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19445

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juillet 2005, 19445


Tribunal administratif Numéro 19445 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mars 2005 Audience publique du 11 juillet 2005

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Recours formé par Madame … et Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19445 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mars 2005 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au

tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, de nationalité française, demeurant à...

Tribunal administratif Numéro 19445 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mars 2005 Audience publique du 11 juillet 2005

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Recours formé par Madame … et Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19445 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mars 2005 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, de nationalité française, demeurant à L-…, et de Monsieur …, né le 24 avril 1968 à Zavidovici (Bosnie-

Herzégovine), ressortissant de l'ex-Yougoslavie, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à l’annulation d’une décision implicite de refoulement, respectivement d’expulsion sous-jacente à la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 12 février 2005 ayant ordonné la rétention administrative de Monsieur … ;

Vu l’ordonnance rendue en date du 10 mars 2005 par le président du tribunal administratif ayant déclaré une requête en sursis à exécution respectivement en institution d’une mesure de sauvegarde à l’encontre de la décision attaquée non justifiée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH en sa plaidoirie.

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Par arrêté du 12 février 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration ordonna le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

Par requête déposée le 7 mars 2005, Madame …, de nationalité française, déclarant vivre en communauté de vie avec Monsieur … depuis 2003, ainsi que Monsieur … lui-même, ont introduit un recours en annulation contre la décision implicite de refoulement respectivement d'expulsion, sous-jacente à la prédite décision de placement.

Par requête déposée le même jour, ils ont encore sollicité les mesures nécessaires afin de sauvegarder leurs intérêts dans le sens que la décision de refoulement, sinon d'expulsion en question soit suspendue dans ses effets et que Monsieur … ne puisse pas être renvoyé dans son pays d'origine. Par ordonnance du 10 mars 2005, le président du tribunal administratif a déclaré cette demande non justifiée.

Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours au fond, les demandeurs font exposer que Monsieur … serait arrivé sur le territoire luxembourgeois au courant de l’année 1993, sans préjudice quant à la date exacte, qu’une demande d’asile présentée par lui aurait été définitivement rejetée au courant de l’année 1997, qu’ils vivraient « maritalement » depuis 2003 et qu’ils auraient entamé les démarches en vue de célébrer leur mariage en date du 21 décembre 2004 par devant l’officier de l’état civil de la commune de Luxembourg, mais que, sur intervention du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, ladite célébration de mariage aurait été annulée, au motif que Monsieur … ne dispose pas d’un titre de séjour pour le Grand-Duché de Luxembourg.

Les demandeurs font encore ajouter que Monsieur … aurait fait l’objet de 9 mesures de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière entre 1997 et 2005, mais que les autorités bosniaques refuseraient de délivrer un laissez-passer aux autorités luxembourgeoises, ce qui aurait incité Monsieur … a introduire une demande en obtention du statut de tolérance conformément à l’article 13 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire.

Les demandeurs reprochent en premier lieu à l’autorité administrative d’avoir violé l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, ci-après dénommée la « CEDH », en ce sens que l’exécution de la décision de refoulement sinon d’expulsion sous-

jacente à la décision de placement du 12 février 2005 constituerait une ingérence injustifiée dans leur vie familiale et privée au sens dudit article 8, d’autant plus qu’il leur serait difficile de s’installer et de mener leur vie familiale ailleurs qu’au Luxembourg, pays dans lequel Madame … déclare s’adonner légalement à une activité salariée régulière.

Les demandeurs concluent ensuite à une violation de l’article 12 CEDH en ce que l’éloignement litigieux porterait atteinte à leur droit de se marier et de fonder une famille et que ce droit ne pourrait faire l’objet de « restrictions de la part des autorités administratives en dehors des lois nationales régissant l’exercice de ce droit ». Dans ce contexte, les demandeurs insistent sur le fait qu’il auraient manifesté « leur volonté d’union par la célébration du mariage devant l’administration communale de Luxembourg » et qu’il ne saurait être porté atteinte à la liberté du mariage sur base de « l’origine nationale des intéressés ».

Les demandeurs soutiennent finalement que la décision attaquée violerait le droit communautaire et plus particulièrement la liberté de circulation et de travailler au sein de la Communauté européenne et ceci d’autant plus qu’il n’existerait aucun empêchement légal dans leur chef quant à la célébration d’un mariage au Grand-Duché de Luxembourg.

Dans ce contexte, les demandeurs sollicitent encore au dispositif de leur requête la saisine de la Cour de justice des Communautés européennes de la question préjudicielle suivante : « Les articles 3 et 4 de la directive 68/360 du 15 octobre 1968, l’article 3 de la directive 73/148 du 21 mai 1973 et l’article 3 paragraphe 3 de la directive 64/221 du 25 février 1964, lus à la lumière des principes de proportionnalité, de non-discrimination et du droit au respect de la vie familiale, doivent-ils s’interpréter en ce sens que les Etats membres peuvent refouler les étrangers, étant concubins d’une ressortissante de la communauté européenne avec qui la consécration de l’union est administrativement prévue, et qui est sur le territoire d’un Etat membre avec sa concubine communautaire résidant et travaillant sur le territoire du susdit Etat membre ? ».

Il est constant en cause que le litige sous examen a pour objet une mesure d’éloignement basée sur l’article 12 de la loi du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère en vue de l’exécution de laquelle Monsieur … fut placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière.

Conformément aux dispositions dudit article 12, « peuvent être éloignés du territoire par la force publique, sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal à adresser au ministre [compétent], les étrangers non autorisés à résidence :

1. qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2. qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3. auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 12 de la présente loi ;

4. qui ne sont pas en possession de papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-

ci est requis ;

5. qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen, sont trouvés en contravention de la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

Aucune disposition législative ou réglementaire ne déterminant la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre compétent à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi du 28 mars 1972, précitée, sont remplies, et où, par la suite, une mesure de placement a été décidée à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de mise à la disposition du gouvernement, à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion (cf. trib. adm. 27 juin 2001, n° 13611 du rôle, confirmé par Cour adm. 10 juillet 2001, n° 13684C, Pas. adm.

2004, V° Etrangers, n° 299).

Il se dégage des pièces versées au dossier, et notamment de la décision de placement du 12 février 2005, que le ministre a motivé ledit placement en raison de l’absence de moyens d’existence personnels légalement acquis dans le chef du demandeur et en raison du fait que ce dernier est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable, de sorte que celui-ci rentre directement dans les prévisions des points 2 et 4 de l’article 12 prérelaté et que les conditions d’application de l’article 12 sont partant à considérer comme étant remplies.

Si la décision d’éloignement litigieuse se trouve dès lors en principe justifiée à suffisance de droit, il convient cependant encore d’examiner les moyens d’annulation soulevés par les demandeurs et en premier lieu la violation alléguée de l’article 8 CEDH, dans la mesure où les demandeurs estiment qu’il y a violation de leur droit à l’exercice d’une vie familiale effective au Grand-Duché de Luxembourg.

L’article 8 CEDH dispose que :

« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de ladite convention.

La notion de la vie familiale au sens de l’article 8 CEDH étant susceptible de couvrir le cas de couples non mariés, il y a dès lors lieu de vérifier d’abord si les demandeurs peuvent se prévaloir d’une vie familiale préexistante et effective, caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites ainsi que de vérifier, dans l’affirmatif, si la décision d’éloignement litigieuse a porté une atteinte injustifiée à cette vie familiale devant, le cas échant, emporter son annulation pour cause de violation de l’article 8 CEDH.

A partir des éléments présentés en cause par les demandeurs, dont notamment le fait non contesté de leur projet de mariage, la date du mariage ayant été initialement fixée au 21 décembre 2004, ainsi que différentes déclarations écrites, renseignant que Madame … et Monsieur … vivent ensemble depuis décembre 2003, il y a lieu d’admettre, en l’absence de tout élément tangible versé au dossier par la partie publique pour contredire utilement les affirmations afférentes des demandeurs, qu’une vie familiale effective a commencé à s’établir dans un passé récent entre les demandeurs sur le territoire luxembourgeois.

Force est cependant de constater que si la décision de refoulement litigieuse porte dans une certaine mesure atteinte à cette vie familiale en ce sens que sa poursuite au Grand-Duché de Luxembourg s’en trouve compromise dans l’immédiat, cette atteinte ne saurait pas pour autant être qualifiée d’excessive en l’espèce.

En effet, dans le cadre du contrôle de proportionnalité à effectuer dans ce contexte, il importe de relever que l’article 8 CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis et que les demandeurs, lorsqu’ils ont noué leur relation effective, n’étaient pas sans ignorer la relative précarité de la situation de Monsieur … qui avait fait l’objet de 7 mesures de placement restées infructueuses entre 1997 et 2002. Si un candidat réfugié débouté demeurant sur le territoire luxembourgeois peut certes alléguer qu’une mesure d’éloignement constitue une ingérence dans sa vie privée et familiale, il importe néanmoins de relever que le caractère précaire de sa présence sur le territoire n’est pas sans pertinence dans l’analyse de la conformité de la mesure restrictive avec notamment la condition de proportionnalité inscrite au second paragraphe de l’article 8 CEDH. La Cour européenne des droits de l’homme n’accorde en effet qu’une faible importance aux événements de la vie d’immigrants qui se produisent durant une période où leur présence sur le territoire est contraire à la loi nationale, voire couverte par un statut de séjour précaire (v. Revue trimestrielle des droits de l’homme (60/2004), p. 926).

Dès lors, compte tenu du caractère récent de la relation entre Madame … et Monsieur …, ainsi que du fait que ce dernier s’est trouvé dans une situation essentiellement précaire au pays, le moyen basé sur une ingérence injustifiée dans l’exercice de la vie familiale des demandeurs laisse d’être fondé.

Concernant ensuite la violation alléguée de l’article 12 CEDH ayant trait au fait que les demandeurs n’ont pas pu célébrer leur mariage devant l’administration communale de Luxembourg en date du 21 décembre 2004, force est de constater que les critiques afférentes sont étrangères au litige sous examen en ce sens que ce n’est pas le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration qui, à travers la décision de refoulement litigieuse, a empêché la célébration du mariage des demandeurs à la prédite date. Si les griefs formulés dans ce contexte quant à un empêchement dudit mariage par l’intervention du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, à les supposer établis, peuvent certes être susceptibles de revêtir une certaine pertinence dans le contexte même de la célébration projetée du mariage et des complications y rencontrées, elles ne sont cependant pas pour autant directement rattachables à la décision d’éloignement litigieuse, seule déférée au tribunal.

Concernant finalement la violation alléguée du droit communautaire et plus précisément du droit à la liberté de circuler et de travailler au sein de la Communauté européenne, il convient de constater que le tribunal se trouve en l’espèce confronté à une situation de droit purement interne, étant donné que les demandeurs, au moment de la décision de placement litigieuse du 12 février 2005, n’étaient pas mariés, entraînant l’inapplicabilité des directives européennes invoquées au cas d’espèce et que le droit de Madame … de circuler librement et de travailler dans un Etat membre de la communauté européenne n’est pas mis en cause par la décision attaquée.

Il s’ensuit que la question préjudicielle suggérée au dispositif de la requête introductive d’instance est à écarter pour ne pas être pertinente.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 11 juillet 2005, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19445
Date de la décision : 11/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-11;19445 ?

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