La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19274

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juillet 2005, 19274


Tribunal administratif Numéro 19274 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 février 2005 Audience publique du 11 juillet 2005 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

_________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19274 du rôle et déposée le 7 février 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, nÃ

©e le …, de nationalité sénégalaise, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ...

Tribunal administratif Numéro 19274 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 février 2005 Audience publique du 11 juillet 2005 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

_________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19274 du rôle et déposée le 7 février 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, de nationalité sénégalaise, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 2 juillet 2004 portant refus dans son chef d’un permis de travail, ainsi qu’à l’encontre de la décision implicite de rejet dudit ministre suite à son recours gracieux du 24 septembre 2004 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2005 par le délégué du gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Radu DUTA, en remplacement de Maître Jean-Georges GREMLING, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

__________________________________________________________________________

Par déclaration d’engagement du 20 avril 2004, la s.à r.l. C. établie à L-…, sollicita auprès de l’administration de l’Emploi, ci-après dénomée l’« ADEM », l’obtention d’un permis de travail en faveur de Madame …, préqualifiée, en tant que serveuse à partir du 20 avril 2004.

Par arrêté du 2 juillet 2004, le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé le « ministre », refusa la délivrance d’un tel permis de travail « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes -

des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 2440 ouvriers non qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi -

priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen -

poste de travail non déclaré vacant par l’employeur -

occupation irrégulière depuis le 20.04.2004 » Un recours gracieux introduit par le mandataire de la demanderesse le 24 septembre 2004 n’ayant pas reçu de réponse ministérielle, Madame … a introduit un recours tendant à l’annulation de l’arrêté ministériel prévisé du 2 juillet 2004 et à l’encontre de la décision ministérielle de rejet implicite de son recours gracieux.

Le recours est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse relève qu’elle est mariée depuis le 8 mars 2003 avec Monsieur Y. W., ressortissant belge, et qu’au moment de sa demande en obtention d’un permis de travail, elle aurait été titulaire d’une autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg.

Sur ce, elle affirme que la décision ministérielle du 2 juillet 2004 violerait les dispositions du droit communautaire et, plus particulièrement, les articles 10 et 11 du règlement CEE 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la communauté, ci-après dénommé le « règlement 1612/68 », instituant un droit dérivé au profit du conjoint d’un travailleur bénéficiaire de la libre circulation d’accéder à toutes activités salariées dans l’Etat membre où ledit travailleur communautaire s’est installé.

Concernant plus particulièrement les motifs de refus énoncés à l’arrêté ministériel du 2 juillet 2004, la demanderesse estime que le ministre n’a fourni aucune indication précise quant au nombre, à l’identité et au profil des demandeurs d’emploi appropriés disponibles sur place et que l’ADEM n’aurait justifié la disponibilité concrète de demandeurs d’emploi appropriés, de sorte que la motivation à la base de la décision de refus équivaudrait à une absence de motivation, mettant le juge administratif dans l’impossibilité de contrôler la légalité de l’acte critiqué. Il en serait de même pour l’allégation de la priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen. Finalement, la demanderesse soutient que l’obligation légale de déclaration de poste vacant n’aurait pas été requise en l’espèce, au motif qu’elle ne serait pas soumise à la procédure du permis de travail et la motivation en relation avec une prétendue occupation irrégulière depuis le 20 avril 2004 devrait également être écartée pour violation de l’article 11 du règlement 1612/68.

Le délégué du gouvernement, tout en admettant que la demanderesse est unie dans les liens du mariage avec Monsieur Y. W., relève que ce dernier, âgé de 61 ans, n’aurait pas exercé d’activité salariée ou non salariée sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg au sens de l’article 11 du règlement 1612/68, de sorte que la demanderesse ne saurait invoquer le bénéfice dudit article 11.

Pour le surplus, le représentant étatique relève que la communauté de vie entre la demanderesse et Monsieur W. n’aurait plus existé au moment où la décision ministérielle fut prise, constatation qui serait corroborée par le fait que Madame … aurait donné naissance à un enfant au courant du mois d’avril 2005 dont le père serait un dénommé M. W.. Partant, la demanderesse ne serait pas en droit de bénéficier du droit dérivé de son conjoint d’un libre accès au marché de l’emploi et elle ne serait dès lors pas dispensée de l’obtention d’un permis de travail.

Quant à la disponibilité des demandeurs d’emploi inscrits auprès des bureaux de placement de l’ADEM et bénéficiant de la priorité d’embauche, le représentant étatique soutient que l’autorité compétente aurait motivé sa décision à suffisance de droit et que si en principe le ministre doit établir in concreto la possibilité sur place de ressortissants prioritaires susceptibles d’occuper le poste vacant, il n’en resterait pas moins que l’employeur doit mettre l’ADEM en mesure d’établir cette disponibilité concrète en introduisant auprès d’elle une déclaration de poste vacant, ce qui n’aurait pas été fait en l’espèce.

Le délégué du gouvernement relève finalement qu’il ressortirait du certificat d’affiliation de la demanderesse qu’elle aurait été occupée de façon irrégulière depuis le 20 avril 2004, occupation irrégulière corroborée par une lettre de dénonciation du 13 octobre 2004 rédigée par son conjoint.

Concernant en premier lieu le reproche tiré de l’absence de motivation respectivement d’une motivation insuffisante de la décision ministérielle critiquée, il échet de rappeler qu’une obligation de motivation expresse et exhaustive d’un arrêté ministériel de refus d’une autorisation de travail n’est imposée ni par la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ni par le règlement grand-ducal modifié d’exécution du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

En application de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et une décision refusant de faire droit à la demande de l’intéressé doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de faits à sa base.

En l’espèce, l’arrêté ministériel du 2 juillet 2004 énonce 4 motifs tirés de la législation sur l’emploi de la main-d’œuvre étrangère et suffit ainsi aux exigences de l’article 6 précité, cette motivation ayant pour le surplus été utilement complétée et explicitée dans le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, de sorte que la demanderesse n’a pas pu se méprendre sur la portée à attribuer aux décisions litigieuses. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que même si la décision ministérielle de rejet implicite suite au recours gracieux de la demanderesse n’est – par la force des choses – pas motivée, les deux décisions de refus explicite et implicite forment un tout indissociable, la motivation de la première valant motivation de la seconde.

Aux termes de l’article 11 du règlement 1612/68 « le conjoint et les enfants de moins de 21 ans ou à charge d’un ressortissant d’un Etat membre exerçant sur le territoire d’un Etat membre une activité salariée ou non salariée ont le droit d’accéder à toute activité salariée sur l’ensemble du territoire de ce même Etat, même s’ils n’ont pas la nationalité d’un Etat membre ».

Cette disposition institue un droit au profit du conjoint du travailleur bénéficiaire de la libre circulation d’accéder à toute activité salariée dans l’Etat membre où ledit travailleur communautaire exerce sa propre activité salariée ou non salariée et ledit droit dérivé confère ainsi un droit à un traitement national pour l’accès à l’activité salariée.

L’existence du droit dérivé du conjoint est cependant conditionnée par la nécessité d’un facteur de rattachement avec une situation envisagée par le droit communautaire, en l’occurrence une circulation intracommunautaire d’un travailleur ressortissant d’un autre Etat membre des communautés (cf. trib. adm. 27 juin 2001, n° 12703 du rôle, Pas, adm. 2004, V° Travail, n° 79).

Il est constant en cause que le conjoint de la demanderesse, Monsieur Y. W. n’exerce pas une activité salariée ou non salariée sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg et que dès lors du point de vue du droit communautaire applicable, Madame … ne dispose pas d’un droit dérivé d’accès au marché de travail, de sorte qu’en vertu des dispositions du droit national et plus particulièrement des articles 26 et 28 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, un permis de travail étant en principe requis dans son chef.

Pour le surplus, s’il est vrai que le mot conjoint utilisé par le règlement 1612/68 vise un rapport fondé sur le mariage et que le lien conjugal n’est pas dissous tant qu’il n’y a pas été mis un terme par l’autorité compétente, tel n’étant pas le cas des époux qui vivent simplement de façon séparée, le droit d’accéder à l’emploi du conjoint non ressortissant d’un Etat membre de l’Espace économique européen est cependant conditionné, au-delà d’un lien conjugal, par l’existence d’une vie commune effective. – En effet, si un Etat membre de l’Union européenne, qui accueille un travailleur – ressortissant d’un autre Etat membre - , ne peut pas s’opposer au droit d’accès au travail de son conjoint – ressortissant d’un Etat tiers – en invoquant un défaut de cohabitation permanent entre les époux, une telle exigence n’étant pas requise par l’article 11 précité, il n’en reste pas moins que l’application des droits conférés par le droit communautaire au conjoint nécessite l’existence d’une relation réelle et effective avec un travailleur communautaire migrant (cf. trib. adm. 28 juillet 1999, n° 10847 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Travail, n° 78).

En l’espèce, au vu du dossier administratif, c’est à juste titre que le ministre a pu déduire des pièces et informations qui étaient à sa disposition au moment où il a pris la décision litigieuse que la demanderesse n’avait pas de vie commune effective avec Monsieur Y. W. et, sur ce lui refuser la reconnaissance du droit prioritaire d’accès à l’emploi.

Après avoir vérifié que la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’Union européenne et de l’Espace économique européen est, en principe, justifiée en l’espèce, il y a lieu d’examiner si les motifs avancés sont de nature à justifier la décision ministérielle déférée, étant relevé qu’une décision administrative individuelle est légalement motivée du moment qu’un des motifs invoqués à sa base l’a sous-tend entièrement.

En l’espèce, parmi les 4 motifs invoqués à la base du refus ministériel déféré figure celui du défaut de déclaration de la vacance de poste.

Or, la non-déclaration formelle et explicite de la vacance de poste à l’ADEM, conformément à l’article 9, paragraphe (2) de la loi modifiée du 21 février 1976 concernant l’organisation et le fonctionnement de l’administration de l’Emploi et portant création d’une commission nationale de l’emploi, constitue un motif valable et suffisant du refus du permis de travail (cf. trib. adm. 21 février 2001, n° 12440 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Travail, n° 32 et autres références y citées).

Il échet de relever que la formalité de la déclaration de vacance de poste se justifie dans la mesure où, par l’accomplissement de cette formalité administrative, l’ADEM est mise en mesure d’établir la disponibilité concrète sur le marché de l’emploi de demandeurs d’emploi prioritaires, suivant l’article 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 et de l’article 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, aptes à occuper le poste vacant, en assignant le cas échéant à l’employeur en question de ressortissants de l’Union européenne ou de l’Espace Economique Européen bénéficiant d’une priorité à l’embauche, susceptibles de remplir concrètement les fonctions ainsi déclarées vacantes.

Par voie de conséquence, étant relevé qu’il est constant en cause que le poste dont il est question n’a pas été déclaré vacant et que la demanderesse a été engagée à partir du 20 avril 2004, l’arrêté ministériel déféré est légalement justifié par ce seul motif de refus, abstraction faite du caractère pertinent ou non des autres motifs invoqués à sa base, entraînant que l’analyse des moyens proposés y relativement devient surabondante.

Le recours en annulation est partant à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit cependant non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 11 juillet 2005, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19274
Date de la décision : 11/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-11;19274 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award