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06/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19729

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 juillet 2005, 19729


Tribunal administratif N° 19729 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 avril 2005 Audience publique du 6 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19729 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 avril 2005 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Sierra Leone), de nationalit

é sierra-léonaise, actuellement détenu au Centre pénitentiaire à Schrassig, tendant à la r...

Tribunal administratif N° 19729 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 avril 2005 Audience publique du 6 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19729 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 avril 2005 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Sierra Leone), de nationalité sierra-léonaise, actuellement détenu au Centre pénitentiaire à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 11 février 2005, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant non fondée ainsi que d’une décision confirmative du même ministre rendue sur recours gracieux en date du 23 mars 2005 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 mai 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 juillet 2005.

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Le 22 mars 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en outre en date du 18 octobre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre l’informa par décision du 11 février 2005, notifiée le 21 février 2005, que sa demande avait été rejetée au motif d’abord qu’il serait resté en défaut de présenter un récit crédible et cohérent, en ce sens qu’il a notamment déclaré parler le fulah et l’anglais, tandis que lors de son audition il a indiqué comme langues parlées le krio et l’anglais, de même qu’il avait initialement mentionné ne pas avoir de frère ou de sœur tandis qu’à la fin de l’audition il a expliqué qu’en cas de retour au Sierra Léone il irait vivre chez ses sœurs à Kenema. Le ministre a relevé pour le surplus que Monsieur … a déclaré ne pas avoir subi de persécutions ou de mauvais traitements dans son pays d’origine et que son affirmation d’être la prochaine cible des militaires en raison de son héritage de feu son père resterait à l’état de simple allégation, de même que la crainte afférente ne s’analyserait pas en un motif d’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. Le ministre a relevé ensuite que les problèmes relatés par Monsieur … en rapport avec l’homme dénommé Enrique qu’il a rencontré en Guinée ne seraient pas pertinents dans le cadre de sa demande d’asile, étant donné que seules des persécutions dans le pays d’origine, c’est-à-dire le pays dont le demandeur à la nationalité, seraient susceptibles d’être prises en considération sur base de la Convention de Genève. Le ministre a noté finalement que la guerre civile au Sierra Léone est terminée et que la stabilisation de la situation de sécurité dans son pays aurait rendu possible le retour de plus de 30.000 réfugiés sierra-léonais de la Guinée et du Libéria avoisinants, ainsi que l’amélioration des conditions de rétablissement de ces réfugiés et des nombreux déplacés internes.

Par courrier de son mandataire datant du 14 mars 2005, Monsieur … a fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prérelatée en faisant état notamment de certaines confusions qui se seraient glissées dans le rapport d’audition, ainsi qu’en attirant l’attention du ministre sur le fait que Monsieur … n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat au cours de son audition.

Le ministre confirma sa décision initiale par courrier du 23 mars 2005.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 avril 2005, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions ministérielles prévisées des 11 février et 23 mars 2005.

A l’appui de son recours il insiste d’abord sur le fait qu’il n’a pas été assisté par son mandataire lors de l’audition du 18 octobre 2004 pour conclure que cette situation vicierait la procédure au point de justifier l’annulation des décisions litigieuses. Il relève plus particulièrement que son mandataire avait sollicité dès le 2 août 2004 communication de la date d’audition, ainsi que cette demande avait été réitérée le 18 octobre 2004, mais que ce n’était qu’en date du 13 octobre 2004 qu’il fut informé que l’audition était fixée au 18 octobre 2004. Dans la mesure où son mandataire avait signalé dès le 14 octobre 2004 aux autorités compétentes son impossibilité d’être présent le 18 octobre 2004 et de désigner encore en temps utile un remplaçant, ceci en raison d’un déplacement à l’étranger, il estime qu’il aurait appartenu au ministre, dans ces circonstances, de reporter la date d’audition afin de préserver ses droits de la défense.

Force est de constater que le mandataire de Monsieur … fut effectivement informé en date du 13 octobre 2004 de la date prévue pour l’audition de son mandant, de manière à avoir disposé d’un délai de 5 jours pour désigner le cas échéant un remplaçant. Encore que ce délai, compte tenu des circonstances de l’espèce tenant au déplacement à l’étranger du mandataire concerné, a pu paraître contraignant et que le refus opposé audit mandataire de reporter cette date ne témoigne pas d’une courtoise flexibilité dans les rapports professionnels concernés, les décisions litigieuses ne sauraient pas pour autant encourir de ce seul fait l’annulation pour cause de vice de procédure, d’autant plus que l’assistance d’un avocat pendant l’audition n’est pas prévu par un texte légal. En effet, le délai accordé au demandeur ainsi qu’à son mandataire pour charger le cas échéant un remplaçant reste dans les limites du raisonnable, étant entendu que les conséquences pratiques d’un déplacement à l’étranger du mandataire du demandeur ne sont pas en tant que telles imputables à l’autorité administrative.

Il s’y ajoute que le demandeur a eu la possibilité de tirer au clair les confusions alléguées au niveau du rapport d’audition à travers le recours qu’il a pu former avec l’assistance de son avocat, ainsi qu’en cours d’instance contentieuse dans le cadre des mémoires écrits qu’il lui était permis de déposer.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le premier moyen tendant, dans le cadre du recours en réformation, à l’annulation des décisions litigieuses laisse d’être fondé.

Quant au fond, Monsieur … fait valoir qu’il serait difficile d’établir avec certitude qu’il ait effectivement saisi le sens des questions lui adressées au sujet des persécutions ou mauvais traitements subis et que, même en admettant qu’il n’ait pas subi de persécutions, quod non, il faudrait rappeler qu’il peut se prévaloir de craintes fondées pour son avenir, étant donné qu’il ne pourrait pas se prévaloir de la protection des autorités de son pays d’origine qui seraient restées en défaut de protéger son père qui a été assassiné alors qu’il se trouvait en détention. Quant à la situation générale au Sierra Léone, le demandeur fait valoir que selon les organisations internationales reconnues la situation serait encore tout à fait instable et les minorités religieuses seraient toujours menacées.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur …, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même en faisant abstraction des incohérences et invraisemblances contenues dans le récit du demandeur, le seul motif de persécution concret invoqué - en des termes essentiellement vagues et peu circonstanciés - a trait au prétendu assassinat de son père, lequel serait lié à la confession de ce dernier, et à la crainte de subir le même sort en raison notamment de sa qualité d’héritier propriétés terriennes de son père.

Force est de constater que ces faits - même à les supposer établis - ainsi mis en avant par le demandeur ne lui sont pas personnels mais ont été vécus par d’autres membres de sa famille. Or, de tels éléments ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans le chef du demandeur que s’il établit un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières (cf. trib. adm. 21 mars 2001, n° 12965 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 73). A défaut par le demandeur d’avoir concrètement étayé un lien entre le prétendu assassinat de son père et des éléments liés à sa propre personne l’exposant à des actes similaires, ces faits ne sont pas de nature à constituer des indications sérieuses d’une crainte fondée de persécution.

Concernant ensuite les abus vécus par Monsieur … pendant la période où il a vécu auprès du dénommé Enrique, force est encore de constater que ces événements, aussi dramatiques qu’ils puissent paraître par ailleurs, constituent des actes condamnables émanant d’une personne privée qui ne présentent pas de facteur de rattachement par rapport à la Convention de Genève, de sorte à ne pas pouvoir être utilement pris en considération en l’espèce.

Il se dégage des considérations qui précèdent qu’à défaut d’autres éléments particuliers avancés en cause pour justifier l’octroi du statut de réfugié dans le chef du demandeur, voire d’établir le caractère non justifié des décisions litigieuses, le recours en réformation laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 juillet 2005 par:

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19729
Date de la décision : 06/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-06;19729 ?

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