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06/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19638

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 juillet 2005, 19638


Tribunal administratif N° 19638 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 avril 2005 Audience publique du 6 juillet 2005 Recours formé par M. … et Mme …, et consort, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19638 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 avril 2005 par Maître Valérie DEMEURE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Klin

e e Eperme (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), et de Madame …, née le … à Mitrovica (Kosovo...

Tribunal administratif N° 19638 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 avril 2005 Audience publique du 6 juillet 2005 Recours formé par M. … et Mme …, et consort, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19638 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 avril 2005 par Maître Valérie DEMEURE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Kline e Eperme (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), et de Madame …, née le … à Mitrovica (Kosovo), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant commun … …, né le … à Bad Wildungen (Allemagne), tous de nationalité serbo-

monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…., tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 17 janvier 2005 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que de la décision confirmative prise par ledit ministre le 9 mars 2005, suite à un recours gracieux des demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Valérie DEMEURE, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

Le 25 novembre 2004, Monsieur … et Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant commun … …, introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … et Madame … furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent entendus séparément respectivement en date des 3 et 5 janvier 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 17 janvier 2005, notifiée par lettre recommandée du 18 janvier 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 25 novembre 2004 que vous auriez quitté votre domicile au Kosovo le 22 novembre 2004 à bord d’une camionnette qui vous aurait emmenés au Luxembourg, où vous seriez arrivés le 25 octobre (sic) 2004, date du dépôt de vos demandes d’asile. Vous auriez payé 3000 euros pour votre voyage. Vous présentez des cartes d’identité émises par la MINUK. Monsieur, vous auriez été demandeur d’asile en Allemagne de janvier 1992 à octobre 2000, année où vous seriez retourné au Kosovo. Madame, vous auriez été en Allemagne à partir de 1992. Votre demande d’asile aurait été refusée le 19 janvier 2000 et vous seriez retournée volontairement le 5 avril 2001. Vous avez fait une demande de visa auprès du Consulat général d’Allemagne à Pristina, demande qui vous a été refusée le 6 avril 2004.

Monsieur, un de vos frères est également demandeur d’asile au Luxembourg.

Monsieur, vous auriez quitté le Kosovo uniquement à cause du fait que votre femme aurait eu des problèmes. Sa mère serait Serbe, raison pour laquelle elle ne serait pas la bienvenue au Kosovo, insultée et sans travail. Vous dites ne pas avoir de perspectives au Kosovo. Après les événements de mars 2004 vous auriez eu peur pour votre femme et votre enfant et vous auriez décidé de quitter le Kosovo. Personnellement, vous dites ne pas avoir de problèmes et vous ne faites pas état de persécutions. Enfin, vous admettez également ne pas être membre d’un parti politique.

Madame, il résulte de vos déclarations que votre père serait albanais et que votre mère serait serbe. Vos parents séjourneraient en Allemagne. Vous même, vous seriez musulmane et votre langue maternelle serait l’albanais. Vous dites ne pas être respectée et être mal vue parce que vous seriez issue d’un couple mixte, notamment par votre voisin, un homme âgé qui vous aurait dit de rentrer en Serbie. Vous dites ne pas trouver de travail à cause du nom de votre mère. Vous auriez peur des albanais. Vous ne faites pas état d’agressions et vous ne seriez pas membre d’un parti politique. Enfin, vous ajoutez que votre situation financière serait difficile.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez tous les deux d’être persécutés dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., § 2 de la Convention de Genève. Monsieur, vous ne faites pas état de problèmes ou de persécutions. Le fait que Madame ne serait pas respectée ou aurait été insultée parce que sa mère serait serbe, ne saurait suffire pour fonder à lui seul une demande en obtention du statut de réfugié. Par ailleurs, votre voisin ou des albanais ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention. A cela s’ajoute que vous n’avez pas demandé de protection auprès des forces onusiennes et il n’est pas établi que ces dernières seraient dans l’incapacité de vous fournir une protection quelconque. Votre peur traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il faut également souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Après les violences généralisées de mars 2004, „la situation en matière de sécurité est restée, dans l’ensemble, calme et stable“ a indiqué Hédi Annabi, sous-secrétaire général aux opérations de maintien de la paix de l’ONU le 5 août 2004. De nouvelles élections législatives sont prévues pour octobre 2004. Le Kosovo doit également être considéré comme territoire où il n’existe pas en règle générale des risques de persécutions pour les albanais.

Des raisons économiques ne sauraient davantage justifier une demande d’asile politique étant donné qu’elles ne rentrent pas dans le cadre de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 21 février 2005, Monsieur … et Madame … introduisirent par le biais de leur mandataire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 17 janvier 2005.

Par décision du 9 mars 2005, notifiée par lettre recommandée du 10 mars 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale de refus du 17 janvier 2005.

Le 11 avril 2005, Monsieur … et Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant commun … …, ont introduit un recours contentieux tendant à la réformation sinon à l’annulation des deux décisions ministérielles précitées des 17 janvier et 9 mars 2005.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Kosovo, qu’ils seraient membres de la communauté albanaise et de confession musulmane. Ils expliquent que du fait que Madame … serait issue d’un mariage mixte, son père étant Albanais et sa mère étant Serbe, elle aurait été exposée à la « persécution verbale, psychologique des Albanais qui ne voient en elle qu’une Serbe », qu’elle aurait été injuriée et que des pierres auraient été lancées contre leur maison. Craignant pour leur sécurité, ils auraient décidé de quitter le Kosovo. Ils font encore valoir, en se référant au rapport de l’UNHCR daté d’août 2004, que les Albanais issus d’un mariage mixte auraient besoin de protection et soutiennent que ce serait à tort que le ministre compétent n’aurait retenu qu’un sentiment général d’insécurité dans leur chef.

En substance, ils reprochent au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes-rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

Ainsi, il convient de relever que Monsieur …, d’origine albanaise et en tant que tel, membre de la communauté ethnique majoritaire au Kosovo, ne fait pas personnellement état de persécutions et qu’il a déclaré lors de son audition qu’il n’a quitté le Kosovo qu’en raison des origines serbes de sa concubine.

Quant à la situation de Madame …, qui déclare avoir été inquiétée, insultée et menacée par des voisins albanais en raison de ses origines serbes, que des pierres ont été lancées contre sa maison et qu’elle a eu des difficultés à trouver du travail, force est de constater que s’il est vrai que la situation des personnes dont les parents appartiennent à des ethnies différentes est difficile et qu’elles sont particulièrement exposées à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions, elle n’est cependant pas telle que toute personne dont les parents sont d’origines différentes serait de ce seul fait exposée à des persécutions au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne les actes concrets de persécution allégués par Madame …, il convient de relever que les insultes, menaces et discriminations en raison des origines de sa mère, à les supposer établies, constituent certes des actes condamnables, mais ne sont pas d’une gravité suffisante pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie de Madame … lui serait, à raison intolérable dans son pays d’origine.

A cela s’ajoute que les problèmes mis en avant par les demandeurs n’émanent pas de l’Etat, mais de personnes privées, en l’occurrence des voisins albanais, lesquels ne peuvent pas être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et que les demandeurs restent en défaut d’établir à suffisance de droit que les autorités de leur pays d’origine refuseraient de les protéger ou seraient dans l’impossibilité de leur fournir une protection d’une efficacité suffisante, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par les demandeurs d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, les demandeurs n’ayant pas porté plainte auprès des forces de l’ordre et n’ayant entrepris aucune autre démarche auprès des autorités pour tenter d’obtenir leur protection.

Pour le surplus, les craintes invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement dans la ville de Mitrovica et les demandeurs ne soumettent aucun élément pertinent permettant d’établir les raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie du Kosovo, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées), la simple affirmation qu’« il faut connaître du monde afin de trouver une maison et en plus il n’y a pas assez d’habitations là-bas pour toutes les personnes » n’étant pas suffisante à cet égard.

De tout ce qui précède, il résulte que les craintes dont les demandeurs font état s’analysent en substance en un sentiment général d’insécurité lequel ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 6 juillet 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19638
Date de la décision : 06/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-06;19638 ?

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