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06/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19418

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 juillet 2005, 19418


Tribunal administratif N° 19418 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er mars 2005 Audience publique du 6 juillet 2005

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Recours introduit par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19418 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er mars 2005 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des

avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité guinéenne, demeurant à L-…, tendant ...

Tribunal administratif N° 19418 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er mars 2005 Audience publique du 6 juillet 2005

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Recours introduit par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19418 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er mars 2005 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité guinéenne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 13 janvier 2005 par laquelle il a été exclu de la procédure d’asile en application de l’article 1 F) de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 mai 2005 en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle litigieuse ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Yvette NGONO YAH, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

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Le 9 novembre 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu en date du 15 décembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par lettre du 13 janvier 2005, notifiée par pli recommandé du 14 janvier 2005, qu’il avait été exclu de la procédure d’asile en application de l’article 1 F) de la Convention de Genève. Les motifs de ladite exclusion sont énoncés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 9 novembre 2004 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 15 décembre 2004.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 9 novembre 2004 que vous auriez quitté la Guinée le 15 octobre 2004 par bateau. Vous ignorez dans quel port le bateau aurait accosté. Une personne, à qui vous auriez demandé de l’aide, vous aurait emmené à une gare et vous aurait acheté un billet de train pour le Luxembourg où vous seriez arrivé le 8 novembre 2004. Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le lendemain. Vous ne présentez aucune pièce d’identité. Votre carte d’identité serait restée en Guinée.

Il résulte de vos déclarations qu’en octobre 2004 vous auriez surpris votre femme avec un autre homme à votre domicile. Ce dernier aurait jeté un couteau sur vous, vous blessant à la main. Vous auriez pris le couteau et vous auriez poignardé l’homme au ventre. Il en serait mort. Un voisin aurait appelé la police, mais vous dites être parti immédiatement chez un ami de votre père. Ce dernier vous aurait mis en contact avec un homme qui vous aurait fait quitter la Guinée.

En cas de retour en Guinée, vous dites risquer d’être tué soit par le gouvernement, soit par la famille de l’homme que vous auriez tué. En Guinée, le fait de tuer quelqu’un serait puni par la prison à vie.

Enfin, vous ne faites pas état de persécutions ou d’autres problèmes. Vous ne seriez pas membre d’un parti politique.

L’article 1 F) de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 exclut de son application les personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser « a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ; b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés ; c) qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ».

Le fait d’avoir tué une personne et avoir pris la fuite pour se soustraire à la justice doit être qualifié de crime grave de droit commun commis en dehors du pays d’accueil.

Par conséquent vous êtes exclu de la procédure d’asile conformément à l’article 1 F) de la prédite Convention ».

Par requête déposée le 1er mars 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 13 janvier 2005.

Le recours est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur reproche au ministre compétent d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation de la situation de fait et de droit en l’excluant de la procédure d’asile. Il soutient avoir quitté son pays en raison du fait qu’ayant surpris son épouse avec « un jeune », il se serait emparé, lors d’une bagarre qui l’aurait confronté à l’amant de son épouse, du couteau de l’amant et il aurait poignardé ce dernier au ventre, la victime étant décédée de ses blessures et lui même s’étant enfui pour se soustraire tant à des poursuite judiciaires qu’à des actes de vengeance de la part des membres de la famille de la victime. Il insiste sur ce qu’il aurait agi en état de légitime défense et que la peine qu’il devrait craindre pourrait être la peine de mort.

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

En vertu de l’article 1 F) de la Convention de Genève, « les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : (…) b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés ; (…) ».

Cette disposition de droit international a pour objet d’écarter du champ d’application de la Convention de Genève les personnes qui ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays dans lequel ils ont introduit une demande en vue d’obtenir la reconnaissance du statut de réfugié au sens de ladite Convention. Au cas où cette exclusion est décidée par les autorités compétentes, qui doivent à cet effet vérifier si les conditions d’application dudit article 1 F) b) sont remplies dans le cas d’espèce, elle a pour effet de rendre inapplicable la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire qui constitue une mesure d’application nationale de ladite Convention et se situe ainsi en aval de ce texte de droit international d’essence supérieure à la loi nationale, en ce que cette loi, dans le respect du cadre général posé par la Convention de Genève, détermine la procédure qui est applicable aux personnes qui introduisent au Grand-Duché de Luxembourg une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Il y a partant lieu d’examiner si en l’espèce l’autorité compétente a valablement pu recourir aux dispositions de l’article 1 F) b) de la Convention de Genève pour exclure Monsieur … de la procédure d’asile. A cet effet, le ministre a dû vérifier si les quatre critères prévus par la disposition en question étaient remplis au moment où il a statué, à savoir, l’existence d’indices suffisants quant à la commission d’un crime grave, la qualification du crime grave comme constituant une infraction de droit commun, à l’exclusion des infractions politiques, la commission de cette infraction en dehors du Luxembourg ainsi que le fait que l’infraction elle-même doit avoir été commise avant l’introduction de la demande d’asile au Luxembourg.

En l’espèce, c’est en substance le premier critère qui donne lieu à discussion par les parties à l’instance, les trois autres critères ci-avant énumérés n’étant pas remis en cause.

Pour conclure en l’espèce à l’existence de raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis un crime grave de droit commun, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a considéré ceux-ci dans le contexte relaté par Monsieur … lors de son audition en date du 15 décembre 2004 et s’est basé sur des faits constants - et partant incontestables au regard de leur matérialité -, à savoir le meurtre par le demandeur d’un homme se trouvant être l’amant de sa femme, pour conclure que la gravité de ce crime n’apparaissait point relativisée ou neutralisée par un état de légitime défense, la victime ayant été, selon les propres déclarations du demandeur, désarmée au moment où Monsieur … porta son coup mortel, et la « riposte » de ce dernier paraissant pour le surplus largement disproportionnée.

Or, au regard de ces qualification et appréciation des faits, le tribunal, statuant dans le cadre d’un recours en annulation, est amené à constater que le demandeur reste en défaut d’établir une erreur d’appréciation manifeste, voire une conclusion disproportionnée dans le chef du ministre.

Par conséquent, le ministre n’ayant point outrepassé les limites de son pouvoir d’appréciation légal, le recours en annulation laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 6 juillet 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 4


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19418
Date de la décision : 06/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-06;19418 ?

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