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06/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19329

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 juillet 2005, 19329


Tribunal administratif N° 19329 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 février 2005 Audience publique du 6 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19329 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 février 2005 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordr

e des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Shkoder (Albanie), de nationalité a...

Tribunal administratif N° 19329 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 février 2005 Audience publique du 6 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19329 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 février 2005 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Shkoder (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 29 décembre 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme non fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 31 janvier 2005, intervenue suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 3 juin 2005 pour le compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, et Maître Radu DUTA, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKE, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 8 septembre 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu en date du 11 octobre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 29 décembre 2004, notifiée par courrier recommandé du 3 janvier 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du même jour ainsi que le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 11 octobre 2004.

Vous auriez quitté l’Albanie le 4 septembre 2004. Vous seriez monté dans un camion à Durres. Le camion serait passé sur un bateau et vous seriez arrivé en Italie. De là, un autre passeur vous aurait emmené au Luxembourg, via la France.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 8 septembre 2004.

Vous n’auriez pas fait votre service militaire car vous auriez été réformé. Vous ne seriez membre d’aucun parti politique.

Vos problèmes proviendraient du comportement d’un de vos cousins. Ce serait un délinquant notoire, cherchant toujours la bagarre. Le 20 juin 2004, il aurait tué quelqu’un d’un coup de feu devant un café de Shkoder. La famille du défunt vivrait encore selon la loi du LEK DUGAGJINI, encore appelée KANUN. Selon cette loi ancestrale, si on ne retrouve pas le vrai coupable, on peut s’en prendre à la famille proche. Or, votre cousin, après son forfait, aurait disparu dans les montagnes, vous laissant ainsi à la merci de la vengeance de la famille du défunt. Vous n’auriez pas cherché protection auprès de la police, estimant que cela ne servirait à rien. Vous ajoutez que seule la mort de votre cousin vous délivrerait du KANUN.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par contre, selon l’article 9, alinéa 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

Je relève que vos problèmes relèvent du droit commun. La famille de l’homme que votre cousin a tué aurait dû intenter une procédure judiciaire pour obtenir réparation au lieu de se référer à une loi d’un autre âge qui n’a plus cours dans aucun Code Pénal.

Vous même, vous auriez pu porter plainte devant les menaces qui pesaient sur vous.

Votre demande ne répond à aucun des critères de fond de la Convention de Genève. Tout au plus, éprouvez-vous un sentiment d’insécurité, qui ne fonde pas, lui non plus, une persécution au sens de cette Convention. Finalement, il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous était impossible de quitter Shkoder et sa région pour vous établir ailleurs en Albanie pour profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Une demande qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 17 janvier 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit une décision confirmative le 31 janvier 2005, notifiée par courrier recommandé du 1er février 2005 et remise à l’intéressé en mains propres le 9 février 2005.

Le 18 février 2005, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 29 décembre 2004 et 31 janvier 2005.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir qu’il serait originaire de la ville de Shkoder en Albanie et qu’il aurait dû quitter son pays pour des raisons de sécurité au motif que sa famille aurait été soumise à une vendetta. Il soutient plus particulièrement que son cousin, un « délinquant notoire issu du milieu mafieux albanais » aurait tué une personne au cours d’une rixe à propos d’un véhicule et qu’il aurait ensuite pris la fuite. Il précise que la victime serait issue d’une famille rurale des montagnes albanaises qui se conformerait strictement aux règles du « Kanun » et plus précisément à la « Lek Dukagjin qui en est sa variante usitée dans la région de Shkoder », soit une « émanation de la loi du Talion », laquelle aurait resurgi à la chute du régime communiste. Il explique qu’il serait le seul représentant mâle de sa famille susceptible de payer la dette de sang, les femmes, enfants et vieillards en étant exclus, le meurtrier ayant pris la fuite et les autres hommes de sa famille vivant à l’étranger. Il relate encore qu’après les vaines tentatives de médiation de son père et de son oncle, il se serait caché chez un oncle, mais que la vie dans la clandestinité l’aurait finalement amené à chercher refuge hors de l’Albanie pour préserver sa vie. Enfin, il soutient que la situation particulièrement difficile de l’Albanie favoriserait la résurgence de la loi du Kanun, à laquelle les autorités albanaises seraient totalement incapables de faire face et qu’une fuite interne ne lui serait pas possible.

En substance, le demandeur reproche au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement pour sa part estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur insiste encore sur le fait que les autorités albanaises seraient incapables de faire face à cette coutume ancestrale du Kanun et de lui accorder une protection suffisante.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 11 octobre 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que la vendetta dont le demandeur déclare être l’objet de la part de compatriotes désireux de venger le meurtre commis par son cousin dans le cadre d’un conflit d’ordre privé, ne peut être regardée comme un motif de persécution au sens de la Convention de Genève, le risque pour le demandeur de subir la vindicte des membres de la famille de la victime relevant d’une criminalité de droit commun. En outre, le demandeur n’établit pas que les autorités albanaises toléreraient, voire favoriseraient la commission de tels actes à son égard.

En l’absence de tout élément permettant de rattacher la crainte de persécution invoquée par le demandeur à l’un des critères limitativement énoncés par la Convention de Genève, il y a dès lors lieu de conclure, eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Lors des plaidoiries à l’audience, le mandataire du demandeur a encore déclaré renoncer à sa demande formulée au dispositif du recours, consistant à solliciter, par application de l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives « l’effet suspensif du recours contre un jugement confirmatif pendant le délai et l’instance d’appel, le tout au regard du préjudice grave et définitif que créerait l’exécution de la décision attaquée », ce dont acte lui a été donné.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

donne acte au demandeur qu’il renonce à sa demande tendant à voir ordonner un effet suspensif pendant le délai et l’instance d’appel ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 6 juillet 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19329
Date de la décision : 06/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-06;19329 ?

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