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06/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19304

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 juillet 2005, 19304


Tribunal administratif N° 19304 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 février 2005 Audience publique du 6 juillet 2005

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Recours formé par les époux … … et Monsieur …, … contre deux décisions du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19304 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 février 2005 par Maître Renaud LE SQUEREN, avocat à la Cour, i

nscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à Gumry (Arménie), de so...

Tribunal administratif N° 19304 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 février 2005 Audience publique du 6 juillet 2005

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Recours formé par les époux … … et Monsieur …, … contre deux décisions du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19304 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 février 2005 par Maître Renaud LE SQUEREN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à Gumry (Arménie), de son épouse Madame …, née le … à Gumry, et de Monsieur …, né le … à Gumry, tous de nationalité arménienne, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 20 décembre 2004, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par le même ministre en date du 31 janvier 2005 suite à un recours gracieux des demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport et Maître Philippe STROESSER, en remplacement de Maître Renaud LE SQUEREN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 28 juin 2004, Monsieur … …, son épouse, Madame …, et Monsieur …, préqualifiés, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date des 20, 21 et 23 juillet 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa les époux …, par lettre du 20 décembre 2004, expédiée par recommandé le 3 janvier 2005, que leur demande avait été rejetée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté l’Arménie le 15 juin 2004 dans un autocar en direction de Krasnodar/Fédération de Russie. Vous seriez restés là, chez des amis, jusqu’au 24 juin 2004. De là, vous auriez pris un autocar pour venir au Luxembourg.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 28 juin 2004.

Monsieur … …, vous exposez que vous avez fait votre service militaire de 1972 à 1974 à Vladikavkaz. Vous n’auriez été membre d’aucun parti politique. Vous dites que vous auriez été un ami de Ashot SAKARIAN, qui aurait été candidat aux élections. Vous auriez constaté des fraudes lors de ces élections et SAKARIAN et vous-même auriez porté plainte à la commission de surveillance électorale. La fraude n’aurait pas été reconnue, mais des pressions auraient été exercées contre les plaignants. Ainsi, vous auriez été arrêté et mis en garde-à-vue pendant trois jours pour avoir participé à un meeting. Par la suite, des sympathisants du candidat ARABABIAN, vainqueur aux élections, auraient acheté des marchandises dans votre magasin sans les payer. Leur but aurait été de vous faire fermer le magasin. Finalement, c’est ce que vous auriez fait et vous n’auriez plus eu de problèmes. En mai 2004, vous auriez appris l’arrestation de SAKARIAN. Vous auriez pris peur, d’autant plus que des agents de milice seraient passés chez vous et auraient perquisitionné votre domicile. Vous auriez alors pris la décision de quitter l’Arménie.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre mari. Vous n’auriez pas eu, personnellement, d’ennuis avec les autorités.

Vous, Monsieur …, vous dites avoir suivi vos parents. Votre père aurait eu des problèmes avec la milice. Vous-même n’auriez subi ni persécutions ni mauvais traitements.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je note que vous n’étiez membre d’aucun parti et le seul fait d’être ami avec un candidat aux élections ne vous place pas dans une situation particulièrement exposée. Le fait d’avoir été mis en garde-à-vue, à supposer ce fait établi, est également insuffisant pour obtenir le statut de réfugié politique. Quant aux personnes qui sortaient de votre magasin sans payer, elles auraient pu faire l’objet d’une plainte et de poursuites judiciaires de votre part. Il s’agit là d’un problème de droit commun, et, même si vous affirmez que ces personnes sont des partisans d’un parti politique, elles ne sauraient être assimilées à des agents de persécutions au sens de la Convention de Genève. Quant à l’arrestation de SARAKIAN (sic), elle ne vous concerne pas directement et votre crainte de subir [le] même sort relève de la simple supposition. Pour le surplus, en ce qui concerne les élections de 2003, d’après l’OSCE, elle se sont [déroulées] sans problèmes majeurs. La campagne électorale fut calme et tranquille ; les votes se sont déroulés sereinement, d’après les observateurs, et les quelques irrégularités relevées ont été acceptées et corrigées dans le respect du processus démocratique inspiré par le nouveau Code Electoral de 2002.

Quant à vous, Madame … et Monsieur …, vous ne faites état, ni l’un ni l’autre, de persécutions personnelles.

Je peux donc analyser vos dires comme un sentiment d’insécurité plutôt que comme une réelle crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Or, ce sentiment général ne saurait fonder une persécution au sens de la Convention précitée.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par l’intermédiaire de leur mandataire par lettre du 12 janvier 2005 à l’encontre de la décision ministérielle précitée, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale le 31 janvier 2005 à défaut d’éléments pertinents nouveaux.

Par requête déposée en date du 14 février 2005, Monsieur … …, son épouse, Madame …, et Monsieur … ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation sinon à l’annulation des deux décisions ministérielles précitées des 20 décembre 2004 et 31 janvier 2005.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation est recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent être originaires de la ville de Gumry en Arménie, qu’ils y auraient tenu un commerce alimentaire et qu’ils seraient victimes des persécutions engendrés par les opinions politiques de Monsieur … …. Dans ce contexte, ils soutiennent que Monsieur … … serait un ami de Monsieur Ashot SAKARIAN qui aurait été candidat aux élections contre le candidat ARABABIAN, qu’en raison des fraudes électorales, ils auraient porté plainte devant la commission de surveillance électorale, mais que la fraude n’aurait pas été reconnue et que par la suite, des pressions auraient été exercées à leur encontre. Ainsi, après avoir participé à un meeting pour faire pression contre le régime en place et en vue de la tenue de nouvelles élections, Monsieur … … aurait été arrêté et placé en garde à vue pendant trois jours, leur magasin aurait été visité par des sympathisants du vainqueur des élections qui auraient volé des marchandises, leur domicile aurait été perquisitionné et Monsieur Ashot SAKARIAN aurait été arrêté fin mai 2004. Craignant d’être arrêté à son tour, Monsieur … … aurait finalement pris la décision de quitter son pays d’origine ensemble avec sa famille.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que leur recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes-rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal, le tribunal arrivant à la conviction que les craintes exprimées par les demandeurs s’analysent essentiellement en un sentiment général d’insécurité qui, à lui seul, ne saurait justifier une crainte de persécution, étant relevé que l’arrestation et la garde à vue pendant 3 jours de Monsieur … … - à les supposer vraies – suite à sa plainte auprès de la commission de surveillance électorale et de sa participation à une manifestation de protestation contre les résultat des élections, les « visites » de sympathisants du candidat ARABABIAN dans leur magasin, ainsi que les perquisitions au domicile des demandeurs témoignent certainement de pratiques condamnables, mais se révèlent insuffisantes pour établir à elles seules un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie de Monsieur … … et de sa famille leur est, à raison, intolérable dans leur pays d’origine. Concernant le prétendu risque d’arrestation dans le chef de Monsieur … … en raison de ses activités politiques, il convient de retenir qu’en l’absence d’un quelconque indice concret y afférent, ledit risque s’analyse être simplement hypothétique.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leu chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 6 juillet 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19304
Date de la décision : 06/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-06;19304 ?

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