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06/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19163

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 juillet 2005, 19163


Tribunal administratif N° 19163 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 janvier 2005 Audience publique du 6 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de permis de travail

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19163 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2005 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité

zaïroise, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires...

Tribunal administratif N° 19163 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 janvier 2005 Audience publique du 6 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de permis de travail

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19163 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2005 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité zaïroise, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 27 septembre 2004 portant refus d’un permis de travail dans son chef, ainsi qu’à l’encontre d’une décision confirmative dudit ministre du 13 octobre 2004 rendue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-

JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

Il ressort d’un certificat d’affiliation du 5 octobre 2004 du Centre commun de la sécurité sociale, département affiliation, que Monsieur … est enregistré dans les fichiers dudit Centre à partir du 12 février 1990 et qu’il s’adonna régulièrement à partir de ladite date à des activités salariées en tant qu’ouvrier auprès de différents employeurs au Grand-

Duché de Luxembourg.

A partir du 7 juillet 2003, Monsieur … fut inscrit comme demandeur d’emploi auprès de l’administration de l’Emploi et il se présenta régulièrement au bureau de placement compétent en vue de l’obtention d’un emploi en tant que « conducteur de véhicule à moteurs, ouvrier de production ».

Suivant « convention relative à l’organisation d’une activité d’insertion professionnelle » du 14 juin 2004 signée par le demandeur, l’organisme d’affectation, à savoir le bureau comptable … et le commissaire de gouvernement à l’action sociale, Monsieur … se vit proposer une activité d’insertion professionnelle à raison de 40 heures par semaine pour la période du 21 juin 2004 au 30 septembre 2004 pour un « travail de bureau, aide-comptable » et ceci sur base de l’article 10 (1) c de la loi modifiée du 29 avril 1999 portant création d’un droit à un revenu minimum garanti.

Suivant déclaration d’engagement du 14 juin 2004 tenant lieu de demande en obtention d’un permis de travail, le Service national d’action sociale, ainsi que le bureau comptable … s’adressèrent à l’administration de l’Emploi, division de la main-d’œuvre, pour solliciter un permis de travail dans le chef de Monsieur … en qualité d’ « ouvrier ATI (loi RMG, mod. du 29/04/99) aide-comptable ».

Une deuxième convention relative à l’organisation d’une activité d’insertion professionnelle fut conclue en date du 1er septembre 2004 entre les mêmes parties pour la période du 1er octobre 2004 au 31 décembre 2004.

Par arrêté datant du 27 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », refusa de faire droit à la demande en obtention d’un permis de travail dans le chef de Monsieur … sur base des considérations suivantes :

« Vu l’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-

d’œuvre étrangère ;

Vu l’article 10 du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-

Duché de Luxembourg ;

Vu l’avis de l’Administration de l’Emploi ;

Vu l’avis de la commission d’avis spéciale instituée par règlement grand-ducal du 17 juin 1994 ;

A R R E T E :

Article 1er – Le permis de travail est refusé à …, né le …, de nationalité zaïroise, pour des raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes - des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 2416 employés non qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureau de placement de l’Administration de l’Emploi - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen - poste de travail non déclaré vacant par l’employeur ».

En date du 6 octobre 2004, le demandeur introduisit, par l’intermédiaire de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision de refus précitée du 27 septembre 2004, recours gracieux qui fut rejeté, par décision ministérielle du 13 octobre 2004.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 27 septembre et 13 octobre 2004.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur soutient avoir travaillé depuis 1990 auprès de différentes entreprises avec autorisation ministérielle et que suite à son dernier licenciement, il aurait été pris en charge par le Service national d’action sociale, dépendant du ministère de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, en vue de sa réinsertion dans la vie active, et que, dans ce contexte, le ministre aurait été saisi le 14 juin 2004 par le Service national d’action sociale et le bureau comptable … d’une déclaration d’engagement en vue de la délivrance d’un permis de travail afin qu’il puisse effectuer le stage en entreprise lui proposé sur base de la convention relative à l’organisation d’une activité d’insertion professionnelle.

Le demandeur soutient que ce serait à tort que le ministre justifierait son refus sur base de l’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère et sur base de l’article 10 du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, au motif que sa situation juridique relèverait spécifiquement des dispositions de la loi du 29 avril 1999, précitée, et ce d’autant plus qu’il serait resté disponible pour le marché de l’emploi et prêt à accepter tout emploi lui assigné par l’administration de l’Emploi, conformément à l’article 6 de ladite loi du 29 avril 1999. Partant, le ministre aurait violé la loi, sinon commis une erreur d’appréciation manifeste en droit et en fait en lui refusant une réinsertion dans la vie professionnelle et les décisions ministérielles attaquées ne reposeraient pas sur des motifs valables en invoquant la disponibilité de 2.416 employés non-qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi, respectivement la priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace économique européen et en affirmant que le poste de travail n’aurait pas été déclaré vacant par l’employeur.

Pour le surplus, les décisions ministérielles lui enlèveraient toute possibilité de pouvoir bénéficier d’un titre de séjour au Luxembourg et le priveraient de la possibilité d’« accomplir ses obligations d’assistance à l’égard de ses enfants ».

Finalement, le demandeur sollicite encore la communication de l’intégralité du dossier administratif sur base de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.

Le délégué du gouvernement rétorque que la convention d’insertion dont bénéficierait le demandeur s’inscrirait dans le cadre de l’article 10 de la loi modifiée du 29 avril 1999, précitée, et que le législateur n’aurait à aucun moment entendu soustraire les bénéficiaires des mesures de réinsertion aux obligations découlant des dispositions légales applicables pour l’emploi de la main-d’œuvre étrangère au Grand-Duché de Luxembourg. Partant, les dispositions du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972, précité, resteraient applicables dans le cas d’espèce, aucune disposition de la loi du 29 avril 1999, précitée, ne prévoyant de dérogation au régime légal tel que prévu par ledit règlement grand-ducal du 12 mai 1972 et admettre le contraire reviendrait à permettre à tout demandeur d’un permis de travail de déjouer les dispositions légales contraignantes en passant par une mesure de réinsertion au travail.

Concernant la motivation de la décision ministérielle, le représentant étatique relève que la rémunération prévue à la déclaration d’engagement correspondrait au salaire social minimum pour travailleurs non-qualifiés, de sorte que ce serait à juste titre que le ministre se serait référé à la présence de 2.416 employés non-qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi auprès de l’administration de l’Emploi pour motiver son refus. Pour le surplus, le représentant étatique relève qu’il serait constant en cause que la formalité de la déclaration de vacance de poste, impérative et préalable à l’embauche d’un travailleur étranger, n’aurait pas été effectuée et que l’organisme d’affectation aurait dû faire état de son « besoin en recrutement » à l’instar de tout autre employeur désirant occuper un travailleur étranger, d’autant plus que la convention d’insertion professionnelle ne prévoirait pas la non-applicabilité des dispositions relatives aux conditions d’accès sur le marché de l’emploi.

Conformément aux dispositions de l’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi ».

Si la loi accorde ainsi au ministre la faculté de refuser le permis de travail à un travailleur étranger pour les raisons y plus amplement énoncées, il n’en reste pas moins que le ministre est tenu d’exercer cette faculté de refus dans le respect de la loi, y compris dans le respect du principe général de la proportionnalité. Il s’ensuit que le tribunal, statuant dans le cadre d’un recours en annulation contre une décision de refus du permis de travail est amené à vérifier, au-delà du respect du cadre légal énoncé expressis verbis à l’article 27 prérelaté, si la décision déférée n’est pas manifestement disproportionnée dans le contexte du dossier globalement considéré. Il y a lieu de prendre en considération à cet égard la situation administrative de la personne concernée dans tous ces aspects, y compris l’attitude affichée, le cas échéant, par l’administration à travers ses différentes prises de position dans un dossier déterminé.

En l’espèce, force est de constater que le dossier révèle une incohérence manifeste au niveau de la motivation à la base de la décision litigieuse. En effet, il convient de relever que Monsieur …, après s’être inscrit à partir du 7 juillet 2003 comme demandeur d’emploi auprès de l’administration de l’Emploi, a pu bénéficier à partir du 14 juin 2004 des dispositions inscrites à la loi du 29 avril 1999, précitée, et plus précisément d’un stage en entreprise, tel que prévu à l’article 10 (1) c de ladite loi auprès du bureau comptable … en vue de sa réinsertion professionnelle. Ledit stage en entreprise se trouve matérialisé par deux conventions successives des 14 juin et 1er septembre 2004 rédigées sur du papier à entête du « ministère de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, Service national d’action sociale » et signé par le demandeur, le bureau comptable … et le commissaire de gouvernement à l’action sociale.

Plus précisément en relation avec le motif de refus tiré de la non-déclaration de poste de travail vacant, il échet de retenir que le bureau comptable … a nécessairement dû déclarer le poste de travail vacant antérieurement à la signature de la convention du 14 juin 2004, respectivement a dû être contacté avant ladite date par le ministère de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse en vue de la réinsertion professionnelle du demandeur, de sorte que le motif de refus tiré de la non-déclaration de poste vacant laisse d’être établi en fait.

Concernant ensuite les motifs de refus tirés du fait que des demandeurs d’emploi appropriés seraient disponibles sur place et de la priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace économique européen, le tribunal est amené à constater une incohérence manifeste au niveau de l’attitude affichée par l’Etat qui est de nature à invalider la motivation à la base des décisions de refus litigieuses dans le sens d’une non-adéquation manifeste au cas d’espèce.

En effet, face à un demandeur d’emploi admis à bénéficier des dispositions inscrites à la loi du 29 avril 1999, précitée, en vue de sa réinsertion professionnelle après une période d’occupation régulière au Luxembourg de plus de 13 ans et qui s’est vu proposer par l’Etat, représenté par le ministère de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, un stage en entreprise, la partie publique ne saurait motiver le refus du permis de travail en se référant à des demandeurs d’emplois non-qualifiés disponibles sur le marché du travail respectivement en faisant état de la priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace économique européen dans sa généralité, sans préciser les raisons pour lesquelles le demandeur ne peut plus bénéficier de la mesure de réinsertion professionnelle pourtant accordée sur base des deux conventions signées en dates des 14 juin et 1er septembre 2004, sous peine de se contredire au détriment du demandeur qui s’est fié à l’attitude de l’Etat, telle que documentée par lesdites conventions.

Cette attitude inconsistante de la partie publique se dégage encore de la motivation inadéquate de l’arrêté de refus du 27 septembre 2004, étant donné que la déclaration d’engagement du Service national d’action sociale et du bureau comptable … visait à obtenir un permis de travail pour un stage en entreprise en vertu de l’article 10 (1) c de la loi du 29 avril 1999, précitée, tandis que le refus ministériel ne prend pas position par rapport à cette demande spécifique en faisant état de 2.416 employés non-qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi, respectivement en faisant état de la priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace économique européen, sans préciser si les 2.416 demandeurs d’emploi inscrits auprès de l’administration de l’Emploi étaient également susceptibles de bénéficier d’une mesure de réinsertion professionnelle sur base des critères inscrits à la loi du 29 avril 1999, précitée.

Il se dégage des considérations qui précèdent que les décisions attaquées encourent l’annulation, l’examen de la demande visant à obtenir une communication intégrale du dossier administratif devenant surabondant, d’autant plus que suite au dépôt du « dossier administratif » au greffe du tribunal administratif en date du 13 avril 2005, le mandataire du demandeur n’a plus soutenu que ledit dossier ne serait pas complet.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

partant annule les décisions déférées des 27 septembre 2004 et 13 octobre 2004 et renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 6 juillet 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19163
Date de la décision : 06/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-06;19163 ?

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