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04/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19689

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juillet 2005, 19689


Tribunal administratif N° 19689 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 avril 2005 Audience publique du 4 juillet 2005 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19689 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Nigeria), de nationalité nigérienne, ...

Tribunal administratif N° 19689 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 avril 2005 Audience publique du 4 juillet 2005 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19689 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Nigeria), de nationalité nigérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration intervenue le 9 décembre 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative de refus du même ministre du 15 mars 2005, prise suite à un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 27 juin 2005, Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH s’étant rapporté aux écrits de la partie publique, Maître Nicky STOFFEL pour sa part n’ayant été ni présente, ni représentée.

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Le 16 décembre 2003, Madame … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Le 5 juillet 2004, elle fut entendue par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 9 décembre 2004, notifiée en mains propres le 6 février 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, entre-temps en charge du dossier, l’informa de ce que sa demande avait été rejetée, au motif qu’elle n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef et que partant sa demande serait manifestement infondée, et, a fortiori, non fondée pour les mêmes motifs.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 4 mars 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit une décision confirmative le 15 mars 2005 Le 18 avril 2005, Madame … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre les décisions ministérielles de refus précitées.

Elle expose qu'elle aurait été forcée par sa mère d’épouser au Nigeria un homme musulman, appartenant à un « culte secret qui agresse et tue des gens », alors qu’elle-même aurait rencontré un autre homme, chrétien, avec qui elle voulait faire sa vie et dont elle aurait été enceinte. Elle relate que son futur époux aurait fait séquestrer et battre son ami, tandis que sa mère l’aurait fait avorter à son insu.

Elle affirme dès lors craindre de se faire tuer par sa mère et son futur époux, et, à cause de son avortement, risquer d’être condamnée à une peine d’emprisonnement.

Le délégué du Gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation ; quant au fond, il conclut au bien-fondé des décisions litigieuses.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises, de sorte que le recours en annulation, formulé à titre subsidiaire, est irrecevable.

Le recours principal en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est pour sa part recevable.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que la demanderesse, lors de son audition du 5 juillet 2004, telle que relatée par le rapport versé aux débats, déclare avoir fui son pays d’origine pour échapper à sa famille qui contrôlerait toute sa vie (« my family is ruling my life. My family wants to control my life »). Elle précise à ce sujet que ses parents l’auraient empêchée de faire des études, et l’auraient contrainte à épouser, respectivement à vivre avec un dénommé …. Elle expose avoir quitté ce Mohamed, dont elle aurait eu deux enfants, pour rejoindre un autre homme, dénommé Samuel, dont elle serait tombée enceinte.

Le dénommé … aurait alors réuni quelques hommes pour enlever et battre Samuel, tandis que sa propre mère l’aurait emmenée dans un hôpital où elle aurait été contrainte d’avorter.

La demanderesse aurait ensuite pris la fuite avec Samuel, de peur de se faire tuer par sa mère ou le père de ses enfants, …, qui appartiendrait de surcroît à un culte secret, « O’Dua », dont les adhérents pratiqueraient régulièrement des meurtres.

Force est partant de constater qu’à sa base, la crainte invoquée par la demanderesse à l’appui du recours est exclusivement d’ordre privé en ce qu’elle se dégage directement de sa relation avec sa propre famille et avec son ex-époux, même si les agissements de ceux-ci relèvent le cas échéant d’infractions pénales graves.

Il s’ensuit que le seul élément concret dont la demanderesse fait état ne permet pas de retenir dans son chef un risque de persécution au sens de la Convention de Genève.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

C’est partant à juste titre que le ministre a considéré la demande d’asile sous analyse comme étant manifestement infondée pour ne pas tomber sous le champ d’application de la Convention de Genève.

Toute demande d’asile remplissant les conditions fixées par l’article 9 de la loi du 3 avril 1996, de sorte à pouvoir être rejetée comme étant manifestement infondée, peut également, et a fortiori, être considérée comme simplement non fondée au sens de l’article 11 de la même loi, la seule différence entre les deux dispositions légales consistant dans le fait que les procédures administrative et contentieuse à respecter en application de l’article 9 en question sont réglementées de manière plus stricte par rapport à celles applicables en application de l’article 11 précité, dans la mesure où non seulement seuls les recours en annulation sont susceptibles d’être introduits à l’encontre des décisions déclarant une demande d’asile manifestement infondée mais qu’en outre les délais d’instruction sont beaucoup plus courts par rapport à ceux applicables pour les décisions prises au sujet des demandes d’asile déclarées simplement non fondées.

Or, le fait de faire application des dispositions des articles 11 et 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 au lieu de celles contenues aux articles 9 et 10 de la même loi ne saurait en aucune manière préjudicier au demandeur d’asile qui, au contraire, bénéficie ainsi de garanties de procédure plus étendues, dans la mesure où il pourra introduire un recours en réformation devant les juridictions administratives et où les délais d’instruction au niveau administratif et au niveau juridictionnel ne comportent pas la même limitation dans le temps que ceux prévus au sujet des demandes d’asile déclarées manifestement infondées (Cour adm. 19 février 2004, n° 17263C ;

Cour adm. 19 février 2004, n° 17264C, non encore publiés).

A partir de ces considérations, le tribunal est amené à constater que les décisions litigieuses sont a fortiori justifiées dans leur résultat en ce qu’elles ont rejeté comme non fondée sur base de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée la demande du demandeur en obtention du statut de réfugié, sans qu’il y ait lieu d’examiner plus en avant les autres motifs de refus invoqués à leur appui, ainsi que les moyens y afférents.

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Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le tribunal est appelé à statuer contradictoirement en l'espèce, encore que le demandeur n'était pas représenté à l'audience publique à laquelle l'affaire fut plaidée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 juillet 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19689
Date de la décision : 04/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-04;19689 ?

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