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04/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19685

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juillet 2005, 19685


Tribunal administratif N° 19685 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 avril 2005 Audience publique du 4 juillet 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19685 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2005 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ord

re des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Gnjilane (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégr...

Tribunal administratif N° 19685 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 avril 2005 Audience publique du 4 juillet 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19685 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2005 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Gnjilane (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration intervenue le 15 décembre 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que de la décision confirmative du même ministre du 15 mars 2005 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-

JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 7 septembre 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu le 22 septembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 15 décembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo début septembre 2004. A Belgrade, vous auriez pris rendez-vous avec le passeur qui vous aurait déposé au Luxembourg. Pour venir ici, vous auriez traversé la Hongrie, l’Autriche et l’Allemagne.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 7 septembre 2004.

Vous auriez fait votre service militaire en 2002. Vous n’auriez été membre d’aucun parti. Vous dites recevoir régulièrement des menaces de la part d’Albanais du village de Livoc. Cette famille en voudrait à votre père pour un accident de la route qui se serait produit en 1990. Un de vos oncles aurait été tué en 2000 et votre frère aîné aurait été blessé en 1998 et 1999. Vous auriez été frappé le 17 mars 2004 par des inconnus albanophones. Vous ajoutez que malgré des plaintes à la KFOR, celle-ci ne ferait rien.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raisons de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Le fait d’appartenir à une minorité est insuffisant pour obtenir le statut de réfugié politique.

Le fait d’avoir été frappé en mars 2004 est également insuffisant pour que vous puissiez invoquer la Convention de Genève. Quant à la famille albanaise de Livoc, elle ne saurait être assimilée à un agent de persécution. En ce qui concerne la mort de votre oncle et les blessures de votre frère, elles sont trop anciennes pour être prises en compte dans la mesure où la situation au Kosovo a changé depuis 2000. En effet, depuis mars 2004, un groupe de travail poursuit un fructueux dialogue Pristina/Belgrade, ce qui est un élément essentiel de la normalisation de cette région. La situation des minorités est devenue plus stable. Il ressort du rapport de l’UNHCR de juin 2004, sur la situation des minorités au Kosovo qu’en règle générale, celles-ci ne doivent plus craindre des attaques directes contre leur sécurité. Plus particulièrement, dans la région de Gnjilane, les Serbes commencent à bénéficier de la liberté de mouvement. S’il est vrai que leur situation économique est encore peu favorable dans les villes, les Serbes qui vivent à la campagne n’ont pas de problèmes. Je relève par ailleurs que votre village de Budriga est peuplé uniquement de Serbes.

Il résulte de ce qui précède que vos dires traduisent davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution. En admettant que vous [vous] soyez senti menacé dans votre village, vous auriez pu vous établir ailleurs en Serbie-Monténégro et profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Donc aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire le 26 février 2005 et à une décision confirmative du refus initial prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 15 mars 2005, Monsieur …, par requête déposée le 18 avril 2005, a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 15 décembre 2004 et 15 mars 2005.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Kosovo, membre de la minorité serbe et de confession orthodoxe et qu’il aurait quitté son pays alors que sa sécurité n’y serait pas garantie en raison de son appartenance à la communauté serbe et de sa confession. Il expose plus particulièrement, tout en renvoyant à ses déclarations dont le détail se dégagerait du rapport d’audition figurant au dossier, que lui et sa famille auraient reçu des menaces par téléphone en raison de leur appartenance à la minorité serbe, que son père aurait été blessé par des explosifs déposés sous son camion, que son oncle et un cousin lointain auraient été tués par des Albanais en raison de leur origine serbe, tandis que son frère aîné aurait été blessé par des Albanais pour les mêmes raisons. Il reproche ainsi au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir retenu une normalisation des rapports interethniques au Kosovo, alors que le rapport de l’UNHCR daté du mois d’août 2004 évoquerait « la situation dramatique des minorités serbes vivant au Kosovo » et qu’il ne bénéficierait pas de la liberté de circuler et du libre accès aux services publics. Il ajoute finalement que les autorités chargées d’assurer la sécurité publique ne seraient pas en mesure de lui assurer une protection efficace et qu’un retour en sécurité dans son pays d’origine ne serait pas possible en se référant aux rapports d’organisations internationales.

En substance, il reproche au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 22 septembre 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions. Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

Ainsi, concernant la crainte générale exprimée par le demandeur d’actes de persécution à son encontre en raison de son appartenance à la minorité serbe de la part de membres de la population albanaise du Kosovo, il convient de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce, celle des Serbes, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions, elle n’est cependant pas telle que tout membre de cette minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne les actes concrets de persécution allégués par le demandeur, il convient de relever que ses problèmes et ceux de sa famille, et plus particulièrement ceux de son père avec les membres d’une famille albanaise habitant un village voisin, lesquels reprochent à son père d’avoir tué un des leurs dans un accident de la circulation en 1990, relèvent plutôt d’une criminalité de droit commun et non pas d’un des motifs visés par la Convention de Genève. Quant aux membres de sa famille tués ou blessés par des membres de la population d’origine albanaise, au-delà de la circonstance que ces faits - même à les supposer établis - remontent aux années 1998-2000 et sont donc trop éloignés dans le temps pour être encore pris en considération, ils ne lui sont pas personnels mais ont été vécus par d’autres membres de sa famille. Or, de tels éléments ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans le chef du demandeur que si celui-ci établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières (cf. trib. adm. 21 mars 2001, n° 12965 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 74). A défaut par le demandeur d’avoir concrètement étayé un lien entre ledit traitement des membres de sa famille et d’éléments liés à sa propre personne l’exposant à des actes similaires, ces faits ne sont pas de nature à constituer des indications sérieuses d’une crainte fondée de persécution.

Enfin, en ce qui concerne les insultes, menaces et discriminations en raison de ses origines serbes ainsi que l’agression du 17 mars 2004, à les supposer établies, force est de relever qu’elles constituent certes des actes condamnables mais ne sont pas suffisamment graves pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie du demandeur lui serait, à raison intolérable dans son pays d’origine.

S’y ajoute que les auteurs de ces agressions, membres de la communauté albanaise, ne peuvent pas être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et que le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance de droit que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics au Kosovo refuseraient de le protéger ou seraient dans l’impossibilité de lui fournir une protection d’une efficacité suffisante, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, la simple affirmation quant à une prétendue inaction de la KFOR n’étant pas suffisante à cet égard.

Il se dégage des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir l’existence d’une crainte justifiée d’une persécution au sens de la Convention de Genève, les évènements par lui décrits s’inscrivant au contraire d’une manière générale dans le cadre des relations interethniques encore partiellement malaisées au Kosovo.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 4 juillet 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19685
Date de la décision : 04/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-04;19685 ?

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