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04/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19672

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juillet 2005, 19672


Tribunal administratif N° 19672 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 avril 2005 Audience publique du 4 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19672 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 avril 2005 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le

… à Ibadan (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réfor...

Tribunal administratif N° 19672 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 avril 2005 Audience publique du 4 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19672 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 avril 2005 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Ibadan (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 13 janvier 2005, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 15 mars 2005 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Pascale PETOUD, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

Le 4 novembre 2003, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut encore entendu en date des 23 août et 11 octobre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision datée du 13 janvier « 2004 » (sic), notifiée en mains propres le 26 janvier 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande avait été refusée aux motifs libellés comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous seriez chrétien né à Ibadan, Oyo State habitant depuis 1981 à Kaduna, Kaduna State. Votre père aurait été pasteur à l’église anglicane à Kabala West, Kaduna State. Vous l’auriez assisté tous les jeudis, vendredis et dimanches, en lavant par exemple l’église, les chaises et les uniformes. Vous précisez que Kaduna State serait majoritairement habité par des musulmans et qu’il n’y aurait que peu de chrétiens. Depuis 2002, des musulmans radicaux, des haussas, supportés par des militaires nigérians, attaqueraient les non-musulmans de Kaduna State.

Début novembre 2002, lors d’affrontements, vous auriez été attaqué par un musulman parce que vous auriez vu le commandant de l’armée fulani (« AREWA Group ») avec des musulmans radicaux et l’armée nigériane. Vous auriez pourtant réussi à vous enfuir et vous auriez trouvé refuge auprès de la „Christian Military House“. Par la suite, des militaires vous auraient emmené avec plusieurs milliers d’autres personnes dans des casernes à Kaduna où vous auriez été protégé pendant un mois. Durant ce temps une femme vous aurait reporté que votre père aurait été tué en décembre 2002 par des musulmans radicaux et que vos frères et soeurs auraient été emmenés à Ibadan. Vous ignorez quel a été le sort de ces derniers. Cette même femme vous aurait emmené à Kafanchar, Kaduna State où vous seriez resté de décembre 2002 à septembre-octobre 2003. Vous dites ne pas y avoir été en sécurité, mais vous ne faites pas état de problèmes concrets. En septembre-octobre 2003 vous seriez allé à Lagos.

Vous auriez quitté Lagos par bateau le 3 octobre 2003. Vous ignorez dans quel port européen vous auriez accosté. Par la suite, vous auriez pris un seul train pour le Luxembourg.

Vous n’auriez rien payé pour votre voyage. Le dépôt de votre demande d’asile date du 4 novembre 2003.

Vous avez peur d’être tué par les musulmans et dites ne pas être en sécurité au Nigeria.

Enfin, vous n’auriez pas eu d’autres problèmes au Nigeria et vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Vous présentez un fax du témoignage de votre mère daté d’avril 2004 établi auprès le „High Court of Lagos State in the Ikeja Judicial Division Holden in Ikeja“ dans lequel votre mère atteste que certains de vos „valuable ans personnel documents … got burnt in November 2002 during violent riots between Christians and Muslims“.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il y a d’abord lieu de relever qu’il est peu concevable que vous ne sachiez pas dans quel port européen vous auriez accosté et que vous n’auriez rien payé pour votre voyage en Europe.

Par ailleurs, vous dites avoir pris un seul train du port d’accostage jusqu’au Luxembourg. Or, il n’existe pas de correspondance ferroviaire directe entre le Luxembourg et un port maritime européen.

Quoi qu’il en soit et même à supposer les faits que vous alléguez comme établis, ils ne sauraient, en eux-mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. Vous dites avoir été victime d’affrontements entre musulmans et chrétiens. Des craintes de persécutions commises par des groupes ou des personnes qui ne sont pas sous le contrôle du gouvernement peuvent être invoquées à l’appui d’une demande d’obtention du statut de réfugié si les autorités gouvernementales soutiennent ces groupes ou personnes, les tolèrent ou n’assurent pas une protection adéquate des victimes et si les victimes sont visées pour une des causes énumérées à la Convention de Genève. Même s’il est vrai qu’en l’espèce les autorités nigérianes n’ont pas assuré de protection immédiate, ces derniers n’ont pas soutenu les musulmans radicaux comme vous le prétendez pourtant, voire même encouragé ou toléré les agissements de ces derniers. Par ailleurs, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. A cela s’ajoute que des groupements de musulmans ne sauraient être considérés comme agents de persécution.

Force est aussi de constater que vous vous seriez réfugié à Kafanchar de décembre 2002 à octobre 2003. Vous ne vous seriez pas senti en sécurité à Kafanchar, mais vous n’y faites pas état de problèmes concrets. Vous y avez donc pu bénéficier d’une fuite interne. Votre peur d’une attaque éventuelle de musulmans à Kafanchar traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Vous n’apportez en l’espèce également aucune raison valable justifiant une impossibilité de vous installer au Sud du Nigeria peuplé majoritairement par de chrétiens, plus précisément à Ibadan, Oyo State, votre lieu de naissance et lieu de résidence actuel de votre mère. Oyo State ne connaît par ailleurs pas d’affrontements religieux.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raisons de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 25 février 2005, Monsieur … formula, par le biais de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration à l’encontre de cette décision ministérielle.

Par décision du 15 mars 2005, notifiée par lettre recommandée envoyée le 16 mars 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Par requête déposée le 15 avril 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 13 janvier et 15 mars 2005.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, Monsieur … fait exposer qu’il serait originaire du Nigeria où il aurait vécu avec sa famille à Kaduna dans l’Etat de Kaduna, assistant son père, un pasteur de l’église anglicane de Kabala West et qu’il aurait dû quitter son pays d’origine en raison du fait que sa vie y aurait été en danger. Il explique qu’en novembre 2002, il aurait été agressé par un musulman en raison du fait qu’il aurait « vu le commandant de l’armée « Fulani » en compagnie de Musulmans radicaux et de membres de l’armée fédérale nigériane », qu’ayant réussi à s’échapper, il se serait réfugié auprès de la « Christian Military House », que son père aurait été assassiné par des Musulmans radicaux et que les autres membres de sa famille auraient été emmenés à Ibadan, qu’il aurait ensuite trouvé refuge à Kafanchar dans l’Etat de Kaduna, mais craignant pour sa vie en raison de la majorité musulmane de la population et des affrontements inter-religieux, il aurait quitté son pays. Il soutient qu’il n’aurait pas pu compter sur la protection des autorités publiques nigérianes, lesquelles ne protégeraient pas les membres de la minorité chrétienne dans les Etats du Nord du Nigeria.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, telles que celles-

ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte d’actes de persécution provenant de musulmans radicaux en raison de son appartenance à la communauté chrétienne.

Or, force est de constater que les actes de persécution allégués à l’appui de sa demande d’asile émanent non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains éléments de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves CARLIER :

Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce, si le demandeur décrit certes une situation d’insécurité dans son pays d’origine, il n’a soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate, voire allégué une démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place. Il en résulte que le demandeur n’a pas dûment établi l’incapacité ou le refus des autorités publiques nigérianes de lui fournir une protection suffisante.

Il convient d’ajouter que le demandeur n’établit pas non plus qu’il ne peut pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, et notamment dans les Etats du Sud du Nigeria majoritairement chrétiens, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il résulte de tous les développements qui précèdent que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 4 juillet 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19672
Date de la décision : 04/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-04;19672 ?

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