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04/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19671

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juillet 2005, 19671


Tribunal administratif N° 19671 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 avril 2005 Audience publique du 4 juillet 2005

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Recours introduit par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19671 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 avril 2005 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ord

re des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant à L-…...

Tribunal administratif N° 19671 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 avril 2005 Audience publique du 4 juillet 2005

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Recours introduit par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19671 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 avril 2005 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 26 janvier 2005, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que de la décision confirmative prise par ledit ministre le 15 mars 2005, suite à un recours gracieux de la demanderesse ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions ministérielles entreprises ;

Ouï le juge- rapporteur en son rapport à l’audience publique du 27 juin 2005, en présence de Maître Louis TINTI, en remplacement de Maître Pascale PETOUD, ainsi que de Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH, qui se sont rapportés aux écrits respectifs de leurs parties.

Le 26 février 2004, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Madame … fut entendue par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg. Elle fut encore entendue en date du 17 juin 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par décision du 26 janvier 2005, lui notifiée en mains propres le 15 février 2005, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que votre mère aurait été à la tête d’une des branches de la société « ogboni ». Elle serait décédée par électrocution, il y a quatre ans. Vous prétendez qu’elle aurait été tuée par les membres de ladite société, pratiquant le vaudou, parce qu’ils arriveraient à décider de la date du décès de chacun des leurs. Vous devriez remplacer votre mère dans ses fonctions, quatre ans après son décès. Les adeptes de ladite communauté seraient venus à trois reprises chez vous afin de vous pousser à prendre la succession de votre mère. Ils vous auraient menacé qu’en cas de refus, ils vous tueraient.

Vous auriez en conséquence pris vos affaires et seriez partie grâce à l’aide d’un homme que vous auriez payé. Passé deux semaines à Lagos, vous auriez quitté le Nigeria par avion pour arriver tout d’abord dans un endroit inconnu. Ensuite, vous vous seriez rendue en train au Luxembourg.

Vous déclarez qu’en cas de retour, les membres « ogboni » vous tueraient.

Enfin, vous n’êtes membre d’aucun parti politique.

Pour le surplus, vous n’auriez subi aucune persécution ni mauvais traitement.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentive au fait que, pour invoquer l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos d’opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

De plus, à défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il convient de relever que des improbabilités et ignorances sont à constater, rendant totalement incrédible vos problèmes afférents à la société « ogboni », de même que votre ancienne appartenance à celle-ci. En effet, il est totalement erroné de prétendre qu’en cas de refus d’adhésion à ce groupe, la personne aurait à craindre pour sa vie. Au pire, ce qui pourrait vous arriver serait de perdre un bien, une propriété à leur profit.

Mais pour une quelconque raison, y compris de croyance chrétienne, il est toujours possible de refuser de joindre ce culte. En conséquence, votre crainte d’être tuée par lesdits adeptes n’est pas fondée. Par ailleurs, à certaines questions au sujet de la société « ogboni » en elle-

même, vous restez incapable de répondre alors que vous prétendez avoir été membre jusqu’à l’âge de 17 ans, ou même 18 ans, comme vous le mentionnez à un autre moment de l’audition.

Aussi, vous indiquez qu’il n’y aurait pas de nombre limite de femmes au sein de ladite société.

Or, il existe bien un nombre limite fixé à 6 femmes. Encore étant d’appartenance ethnique « bénin », il est improbable que vous soyez membre alors que traditionnellement les Yorubas sont concernés par cette société. Contrairement à ce que vous prétendez, toutes les ethnies ne sont pas représentées dans la société « ogboni ».

En outre, il convient de constater que vous ne faites que supposer que votre mère ait été tuée par les autres membres de la société. Il n’est pas établi que l’accident d’électrocution qu’elle aurait subi au marché soit lié à son appartenance à cette société, même si vous prétendez qu’ils décideraient de la date de la mort de chacun des leurs.

Quoi qu’il en soit et même à supposer les faits que vous alléguez comme établis, ils ne sauraient constituer une crainte justifiée d’être persécutée dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, §2 de la Convention de Genève. En effet, les membres de ce soi-disant culte ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention. A cela s’ajoute qu’il ressort clairement du rapport de l’audition que vous n’avez pas requis la protection des autorités de votre pays pour vous protéger contre ces individus et il n’est également pas démontré que celles-ci seraient dans l’incapacité de vous fournir une protection. Votre crainte purement hypothétique de vous faire tuer par ces membres traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, vous restez en défaut d’établir en quoi il vous aurait été impossible de vous installer dans une autre région de votre pays d’origine et de profiter d’une fuite interne.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécution en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre de son mandataire du 25 février 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale le 15 mars 2005.

Par requête déposée le 15 avril 2005, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée.

Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse reproche au ministre compétent d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile, au motif que sa situation aurait été intolérable dans son pays d’origine, étant donné qu’elle y aurait légitimement pu craindre d’être la victime d’actes de persécution de la part de membres de la société « ogboni », étant donné qu’elle aurait refusé de joindre cette société alors même que ces membres l’auraient formellement invitée de rejoindre la société pour y occuper la place de feu sa mère. Elle soutient que les membres de la société « ogboni » seraient venus trois fois à son domicile et qu’ils l’auraient menacée de mort au cas où elle refuserait de les rejoindre. Eu égard au fait que la société disposerait de nombreuses « branches de ramifications » au Nigeria, elle aurait été obligée de quitter son pays pour protéger sa vie.

Le représentant étatique soutient que le ministre compétent aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, faisant état de sa crainte d’actes de persécution provenant de membres de la société « ogboni », même abstraction faite de ce que les affirmations de la demanderesse restent à l’état de simples allégations, la demanderesse se prévaut d’actes de persécution émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains éléments de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce, la demanderesse reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités en place encourageraient, voire toléreraient de tels actes.

Il s’y ajoute que le récit de la demanderesse est incrédible eu égard aux diverses incohérences et ignorances relevées dans la décision ministérielle du 26 janvier 2005. A défaut de toute explication fournie en cause susceptible d’expliquer ses incohérences et ignorances, le tribunal ne peut dès lors que faire siens les doutes émis par le ministre et réitérés en cours d’instance contentieuse relativement à la véracité du récit globalement présenté par l’intéressée, étant donné que celle-ci ne collabore visiblement pas à clarifier sa situation.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 juillet 2005 par :

Mme Lenert, premier-juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19671
Date de la décision : 04/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-04;19671 ?

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