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04/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19305

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juillet 2005, 19305


Tribunal administratif N° 19305 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 février 2005 Audience publique du 4 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19305 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 février 2005 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom d

e Monsieur …, né le … (Iran), de nationalité iranienne, demeurant actuellement à L- …, tendant à...

Tribunal administratif N° 19305 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 février 2005 Audience publique du 4 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19305 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 février 2005 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Iran), de nationalité iranienne, demeurant actuellement à L- …, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 22 septembre 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 10 janvier 2005, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Canan CETIN, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 juin 2005.

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Le 18 décembre 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut entendu en date des 13 février et 18 juin 2004 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, entre-temps en charge du dossier, l’informa par décision du 22 novembre 2004, notifiée par voie de courrier recommandé expédié le 30 novembre 2004, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée en relevant d’abord une contradiction au niveau du récit présenté par l’intéressé en ce qu’il a expliqué d’une part l’impossibilité de présenter des documents d’identité par le fait que « tout a été très vite. Je n’avais ni le temps, ni la tête à prendre mes documents d’identité », alors que d’autre part il a relevé avoir vécu encore six mois chez sa mère pendant qu’elle préparerait son départ, de sorte que celui-ci ne se serait donc pas organisé dans l’extrême urgence et que rien ne se serait opposé à ce que Monsieur … emmène ses documents d’identité.

Quant aux craintes de persécution en raison de l’orientation sexuelle minoritaire de Monsieur …, le ministre a relevé que même en admettant que ses craintes soient avérées, elles n’entraîneraient pas d’office l’application de la Convention de Genève, étant donné que si le Coran proscrit et condamne certes l’homosexualité, il ressortirait néanmoins d’un rapport intitulé « Iran Country Report » d’avril 2004 du Home Office du Royaume Uni que l’homosexualité n’est pas poursuivie par les autorités iraniennes tant qu’elle se déroule à huis clos et que les personnes ne se livrent pas au prosélytisme. Ainsi, le fait même de vivre avec un homme sous le même toit n’entraînerait ni commentaire ni répression d’après le même rapport. Quant à l’affirmation de Monsieur … de ne pas avoir pu accéder à un emploi public du fait de son homosexualité, le ministre a relevé que l’intéressé a lui-même reconnu qu’un emploi dans le secteur privé lui restait ouvert, tout en relevant que pendant les six mois ayant précédé son départ, Monsieur … n’aurait pas été autrement inquiété. Concernant encore le fait invoqué d’avoir été désavoué par sa famille, le ministre a retenu que cette considération serait étrangère au cadre de la Convention de Genève, étant donné que les oncles et tantes de l’intéressé ne sauraient être considérés comme des agents de persécution. En ce qui concerne finalement l’appartenance revendiquée de Monsieur … à la minorité religieuse des Bahaï, le ministre constate qu’elle ne lui a causé aucun problème particulier, sauf l’affirmation d’avoir dû vivre sa foi dans une certaine discrétion. Il a retenu en outre dans ce contexte que si une discrimination latente vis-à-vis des Bahaïs existait en Iran, elle ne saurait être assimilée pour autant à une persécution au sens de la Convention de Genève.

Le 22 décembre 2004, Monsieur … formula, par l’intermédiaire de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration à l’encontre de cette décision ministérielle.

Suivant décision du 10 janvier 2005, notifiée par lettre recommandée expédiée le 11 janvier 2005, le ministre confirma sa décision initiale « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 14 février 2005, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles prévisées des 22 septembre 2004 et 10 janvier 2005.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur réexpose en substance ses déclarations relatées dans les procès-verbaux d’audition figurant au dossier en faisant valoir notamment qu’il a été emprisonné pendant six mois en raison de son homosexualité, que toujours en raison de ses orientations sexuelles il aurait été expulsé de l’université avec privation du droit de continuer ses études dans toutes les universités en Iran et interdiction de travailler dans les instances étatiques et que pendant son séjour en prison il aurait été roué de coups à chaque interrogatoire. Il estime que dans ces conditions son pays d’origine serait resté en défaut de remplir son obligation de protection envers ses citoyens et que cette mise en cause de ses droits civils et politiques constituerait une persécution au sens de la Convention de Genève. S’estimant ainsi persécuté en raison de son appartenance à un groupe social, en l’occurrence à la catégorie des homosexuels, Monsieur … reproche au ministre d’avoir méconnu la portée des craintes de persécution par lui invoquées. Il se réfère à cet égard à un rapport de l’organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) faisant état du fait que les homosexuels seraient victimes de répressions étatiques et communautaires et que d’un point de vue du droit, ils seraient punis par la mort s’ils vivent leur homosexualité. Toujours suivant le même rapport des formes barbares d’exécutions seraient de nouveau pratiquées. Il insiste finalement sur le caractère aggravant pour sa situation résultant de son appartenance à la minorité religieuse des Bahaï.

Le délégué du Gouvernement rétorque que l’appartenance à une minorité sexuelle n’entraîne pas d’office le statut de réfugié et que concernant la confession de Monsieur …, il y aurait lieu de souligner qu’il n’a invoqué aucun problème particulier de ce chef. Quant à la situation générale des homosexuels en Iran, le délégué du Gouvernement se réfère au rapport cité dans la décision ministérielle initiale ainsi qu’au fait qu’en Allemagne l’homosexualité en Iran ne serait pas considérée comme une cause d’obtention du statut de réfugié et que les homosexuels iraniens feraient régulièrement l’objet de refoulement vers leur pays d’origine.

Le délégué du Gouvernement insiste finalement que Monsieur … s’étant présenté sans document d’identité, son identité, en l’absence de tout document afférent fourni à ce jour, resterait à l’heure actuelle clairement sujette à caution.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié (cf. Cour adm. 28 novembre 2001, n° 10482C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 43).

En l’espèce, force est de constater que le demandeur n’a versé aucune pièce à l’appui de son récit, de sorte que ni son identité, ni la réalité notamment de la condamnation alléguée de chef de son homosexualité ne peuvent être vérifiées. Or, si dans certaines circonstances il peut paraître plausible qu’une personne, contrainte de quitter précipitamment son pays d’origine, n’ait plus eu la possibilité de se munir d’une pièce d’identité, voire d’autres documents élémentaires dans un contexte de fuite vers un pays d’accueil, ce cas de figure ne saurait pas pour autant être admis d’une manière générale, mais doit se dégager pour le moins de manière plausible du récit relatif à la situation de départ.

En l’espèce, force est de constater que c’est à juste titre que le ministre a relevé à l’appui de la décision litigieuse que les explications fournies par Monsieur … pour justifier le fait de ne pas disposer de documents d’identité sont peu convaincantes, étant donné qu’il se dégage de son récit globalement considéré que son départ d’Iran ne s’est pas fait dans l’urgence, mais que sa mère l’a longuement préparé d’avance.

Concernant ensuite la prétendue condamnation encourue par Monsieur … en raison de son homosexualité, force est encore de relever d’abord qu’il est peu crédible que l’intéressé n’ait pas cherché à se procurer une copie, voire une quelconque autre pièce susceptible de documenter cette condamnation. Il s’y ajoute que le fait même de cette condamnation se trouve en contradiction avec les informations à la disposition du ministre telles que mentionnées dans la décision litigieuse du 22 novembre 2004 en ce sens que l’homosexualité ne serait généralement pas poursuivie par les autorités iraniennes tant qu’elle se déroule à huis clos et que les personnes ne se livrent pas au prosélytisme, de sorte que la situation générale des homosexuels paraît certes difficile en Iran, mais ne saurait pas pour autant être considérée comme étant périlleuse au point de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans le chef d’une personne du seul fait de son homosexualité.

En l’absence de toute prise de position du demandeur en cours d’instance contentieuse susceptible d’éclairer les doutes émis par le ministre relativement à la crédibilité de son récit, notamment dans son volet tenant au caractère précipité allégué de son départ ayant généré l’oubli d’emporter le moindre document permettant d’établir son identité et de sous-tendre son récit, le tribunal arrive à la conclusion que le demandeur reste en défaut d’établir de manière cohérente et crédible des raisons particulières tenant à sa situation spécifique qui laisseraient supposer l’existence d’un danger sérieux pour sa personne justifiant une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef.

Il suit de l’ensemble des constatations qui précèdent que le recours en réformation laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le dit non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 juillet 2005 par:

Mme Lenert, premier juge Mme Lamesch, juge M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19305
Date de la décision : 04/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-04;19305 ?

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