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29/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19678

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 juin 2005, 19678


Tribunal administratif N° 19678 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 avril 2005 Audience publique du 29 juin 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19678 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2005 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avoca

ts à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pec (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), de nationalit...

Tribunal administratif N° 19678 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 avril 2005 Audience publique du 29 juin 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19678 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2005 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pec (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration intervenue le 26 janvier 2005 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre en date du 15 mars 2005 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 25 octobre 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu le 7 décembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 26 janvier 2005, notifiée par lettre recommandée envoyée le 1er février 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo le 23 octobre 2004 pour aller d’abord à Subotica/Serbie avec un passeur. Ensuite, vous auriez poursuivi votre voyage jusqu’à Luxembourg où vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 25 octobre 2004.

Vous n’auriez pas été appelé au service militaire. Vous n’auriez pas été membre d’un parti politique.

Vous exposez que vous auriez vécu de l’aide de la CARITAS. Vous dites que vous désirez poursuivre vos études au Luxembourg et que le Kosovo ne serait pas une région sûre.

En effet, en 2004, des inconnus auraient tenté de vous agresser. D’après vous, on vous accuserait de collaboration avec les Serbes parce que votre père aurait travaillé avec des Serbes avant le conflit. Vous auriez aussi reçu quelques coups de téléphone anonymes et on aurait démoli votre voiture en 2002. Vous auriez porté plainte, mais sans succès.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raisons de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate que le fait que votre père soit considéré comme collaborateur des Serbes par le simple fait d’avoir travaillé avec des Serbes avant le conflit est difficilement crédible.

De plus, on voit mal comment cela vous concernerait directement. Quant aux individus qui auraient démoli votre voiture en 2002 et qui auraient tenté de vous agresser en 2004, en supposant ces faits établis, ils ne sauraient être assimilés à des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Je note aussi que votre plainte a été enregistrée et que, même si la police n’a pas arrêté les coupables, vous ne pouvez pas invoquer un manque de protection de la part des autorités. Quant au désir de poursuivre vos études au Luxembourg, il n’entre pas dans le cadre de la Convention de Genève.

Il résulte de votre récit que vous éprouvez un sentiment d’insécurité davantage qu’une crainte de persécution au sens de la Convention précitée. De plus, il ne ressort pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous établir dans une autre ville ou dans une autre région pour profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne. Finalement, le Kosovo, pour un Albanais, ne saurait être considéré comme un territoire dans lequel des persécutions sont à craindre.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire le 3 mars 2005 et à une décision confirmative du refus initial prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 15 mars 2005, notifiée par lettre recommandée envoyée le 16 mars 2005, Monsieur …, par requête déposée le 18 avril 2005, a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 26 janvier et 15 mars 2005.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche en substance au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir commis une erreur d’appréciation et une mauvaise application de la loi en refusant sa demande d’asile. Ainsi, déclarant être originaire du Kosovo et d’appartenance à la minorité ethnique des Bochniaques, il expose plus particulièrement que sa vie serait en danger en raison de son appartenance à la minorité ethnique des Bochniaques et du fait qu’avant la guerre du Kosovo, son père aurait travaillé comme technicien avec des Serbes, qu’à la fin de la guerre, sa famille serait devenue « indésirable », qu’il aurait lui-

même été victime d’agressions et de menaces par téléphone de la part de membres de la population albanophone pour l’obliger à quitter le Kosovo. Il ajoute que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics au Kosovo ne seraient pas en mesure de lui assurer une protection efficace.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre compétent a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours. Il précise que contrairement à ce qui est retenu dans la requête introductive d’instance, le demandeur ne ferait pas partie de la minorité bochniaque du Kosovo mais appartiendrait à la communauté albanaise.

Sur question afférente du tribunal lors des plaidoiries, le mandataire du demandeur a déclaré renoncer au moyen tiré de l’appartenance de Monsieur … à la minorité ethnique des Bochniaques.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 7 décembre 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des d’éléments d’appréciation soumis au tribunal alors que c’est à juste titre que le ministre a retenu que le récit du demandeur qui fait partie de la majorité albanaise du Kosovo traduit tout au plus un sentiment général d’insécurité, sans qu’il n’ait fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

En effet, concernant le fait d’avoir été victime d’une agression et de menaces par téléphone de la part de membres de la population albanaise qui lui reprocheraient la collaboration de son père avec les Serbes, à les supposer vraies, force est de relever que si ces agissements constituent certes des actes condamnables, ils sont toutefois au regard de leur gravité insuffisants pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie du demandeur lui serait, à raison intolérable dans son pays d’origine.

S’y ajoute que les auteurs de ces agressions ne peuvent pas être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et que le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance de droit que les autorités de son pays d’origine refuseraient de le protéger ou seraient dans l’impossibilité de lui fournir une protection d’une efficacité suffisante, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En effet, à cet égard, il ressort des propres déclarations du demandeur que l’agression alléguée du mois de juin 2004, où des inconnus auraient essayé de le contraindre à entrer dans leur voiture, a été évitée par l’arrivée de la police et le fait que la police n’ait pas retrouvé les auteurs des menaces ne démontre pas à lui seul un défaut de protection de la part des autorités en place.

De tout ce qui précède, il résulte que les craintes dont le demandeur fait état, s’analysent en substance en un sentiment général d’insécurité lequel ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 29 juin 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19678
Date de la décision : 29/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-29;19678 ?

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