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29/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19426

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 juin 2005, 19426


Tribunal administratif N° 19426 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mars 2005 Audience publique du 29 juin 2005 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19426 du rôle, déposée le 2 mars 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Monténégro), agissant tant en son no

m personnel qu’en celui de sa fille mineure … …, née le … (Kosovo), toutes les deux de natio...

Tribunal administratif N° 19426 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mars 2005 Audience publique du 29 juin 2005 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19426 du rôle, déposée le 2 mars 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Monténégro), agissant tant en son nom personnel qu’en celui de sa fille mineure … …, née le … (Kosovo), toutes les deux de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L- … , tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 décembre 2004 déclarant non fondée leur demande en obtention du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative rendue sur recours gracieux par le prédit ministre en date du 31 janvier 2005 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2005 par le délégué du Gouvernement ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 juin 2005.

Le 19 août 2004, Madame …, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de sa fille mineure … …, introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Elles furent entendues en date du même jour par un agent de la police grand-ducale sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Elles furent entendues en outre séparément en date des 16 et 28 septembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 10 décembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Madame … et sa fille … … de ce que leur demande avait été refusée 1 comme étant non fondée aux motifs que leurs dires reflèteraient surtout un sentiment d’insécurité générale qui ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Il a relevé à cet égard que les jets de pierres lancés par des Albanais sur leur maison, les menaces de la part de la population albanaise à leur encontre ainsi que la profanation de tombes bochniaques ne constitueraient pas des éléments suffisants pour fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Le ministre a relevé finalement qu’il ressort du rapport du UNHCR de janvier 2003, confirmé en 2004, sur la situation des minorités au Kosovo, qu’en règle générale, les Bochniaques ne doivent plus craindre des attaques directes contre leur sécurité.

Le recours gracieux que Madame … a fait introduire par courrier de son mandataire du 18 janvier 2005 à l’encontre de la décision ministérielle prévisée s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 31 janvier 2005, lui notifiée par voie de courrier recommandé expédié le 1er février 2005, elle a fait introduire, par requête déposée en date du 2 mars 2005, un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions ministérielles prévisées des 10 décembre 2004 et 31 janvier 2005.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait état notamment de persécutions généralisées à l’égard de sa famille en raison de son origine bochniaque, persécutions qui se seraient concrétisées par l’assassinat de son fils Enes … en 1999 par des extrémistes albanais.

A ce titre, elle soutient que depuis la fin de la guerre, elle aurait vécu dans une peur permanente en raison des menaces proférées à l’encontre de sa famille par des voisins albanais qui voudraient qu’ils quittent le pays. Elle relève qu’elle se serait maintes fois adressée à la KFOR pour être protégée contre ses voisins qui auraient menacé de tuer sa fille …. Néanmoins, ceci n’aurait « rien changé à la situation ». Ils auraient finalement préféré quitter leur pays, lorsque le 30 juillet 2004, des Albanais auraient fait irruption dans leur cour pour tirer en l’air et jeter des pierres dans les fenêtres de leur maison en criant qu’ils allaient tuer toute la famille. Nonobstant le fait que les troupes de la KFOR seraient venues à leur secours pour les déplacer à Vitomirica où sa mère aurait résidé jusqu’à son départ pour la Suède, elle ne serait plus sentie en sécurité, surtout en considération du fait que les policiers aurait conseillé à sa famille de quitter le pays « reconnaissant ainsi leur impuissance totale d’assurer leur protection ». Elle fait finalement ajouter qu’elle n’aurait pas immédiatement quitté le pays après l’assassinat de son fils, étant donné qu’elle aurait voulu connaître les circonstances de sa mort et le nom de ses meurtriers, qui restent inconnus à ce jour.

Pour le surplus, elle fait préciser que les événements ayant conduit à l’assassinat de … … auraient justifié l’octroi du statut de réfugié dans le chef de sa fille …. Elle attire également l’attention du tribunal sur le rapport de l’UNHCR de l’année 2004 duquel il ressortirait clairement que les minorités ethniques, et notamment la minorité des Bochniaques, connaîtraient des graves problèmes au Kosovo.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’elles seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait 2 de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demanderesses lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demanderesses restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

Ainsi, concernant cette crainte générale exprimée par les demanderesses d’actes de persécution à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité bochniaque de la part de membres de la population albanaise du Kosovo, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bochniaques, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions, elle n’est cependant pas telle que tout membre de cette minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève.

A cet égard, il y a lieu de constater que suivant la version actualisée du rapport de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo, notamment celle des Bochniaques, datant de juin 2004, il est relaté dans la troisième partie dudit rapport intitulée « Situation of minority groups by region in light of the turmoil in March 2004 » que « Kosovo Serbs were the primary target of inter-ethnic violence.1… Finally, whereas Bosniaks and Gorani did not become a direct target of the violence, in some locations they felt sufficiently at risk that they opted for precautionary movements, or where evacuated by police, to safer places 2 » et encore « The few Bosniaks and Gorani who were displaced during the mid-March unrest have returned to their home communities. Returnees and remainees have resumed the same levels of freedoms they enjoyed prior to the events3 ».

1 Update on the Kosovo Roma, Ashkaelia, Egyptian, Serb, Bosnaik, Gorani and Albanian communities in a minority situation, UNHCR Kosovo, June 2004, p. 31 2 idem p. 32 3 idem p. 46 3 Dans un second rapport datant quant à lui d’août 2004, l’UNHCR souligne que « the security situation for Kosovo Bosniaks and Goranis has remained stable, with no serious incidents of violence reported » ainsi que « whereas the Bosniaks and Goranis were not directly targeted during the turmoil in March 2004, in some locations they felt insecure and opted for precautionary movements. Two families were evacuated by the police from the Bosniak Mahalla in Mitrovice/a North, while several others left on their own initiatives.

Living in a Serb neighbourhood in Fushe Kosova/Kosovo Polje and seeing their Serb neighbours being attacked, several Gorani families left their homes as a precautionary measure. No other attacks or self-imposed evacuations have been reported, although the two ethnic communities anxiously followed the unfolding developments. The events have inevitably left the communities with a heightened sense of insecurity and in a state of constant alert4 ».

Si les demanderesses font certes état d’un certain nombre de problèmes qu’elles rencontrent dans la vie de tous les jours et des discriminations par eux subies, force est cependant de retenir que les faits par eux avancés, non documentés en cause par des éléments tangibles, ne sont pas d’une gravité suffisante pour constituer des actes de persécutions au sens de la Convention de Genève. A cela s’ajoute que les problèmes mis en avant par les demanderesses émanent de personnes privées et non pas de l’Etat, de sorte qu’il leur appartient de mettre suffisamment en évidence un défaut de protection de la part des autorités, preuve qu’elles n’ont pas rapportée en l’espèce, étant entendu qu’elles n’ont pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection dans leur chef de la part des autorités en place.

En ce qui concerne l’assassinat de son fils … … en 1999, il y a lieu de retenir que s’il est certes établi qu’il est mort dans des circonstances dramatiques, néanmoins ni les circonstances exactes de sa mort en ce qui concerne l’identité de ces meurtriers ni les motifs ayant conduit à l’assassinat n’ont été établis. Les menaces proférées par des Albanais à l’encontre de sa fille en ce qu’elle subirait le même sort que son frère, à les supposer établies, relèvent d’une tentative d’intimidation, surtout en considération du fait que depuis la mort de son frère se sont écoulés six ans, sans que les demanderesses n’aient concrètement fait l’objet de violences.

Pour le surplus, les risques allégués par les demanderesses se limitent essentiellement à leur ville d’origine au Kosovo et elles restent en défaut d’établir qu’elles ne peuvent pas trouver refuge dans une autre partie du Kosovo ou au Monténégro où Madame … est née, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité des demandeurs d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

4 UNHCR Position on the Continued International Protection Needs of Individuals from Kosovo, August 2004, p. 5 4 Il convient encore d’ajouter que la présence au Luxembourg de la fille de Madame …, qui s’est vue accorder le statut de réfugié, ne saurait avoir une incidence sur le bien-fondé ou le mal-fondé de la demande d’asile des demanderesses, étant donné que cet élément ne saurait automatiquement faire conclure à l’existence d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans le chef de ces dernières, étant donné que les situations des demanderesses sont à examiner individuellement et que les craintes de persécution qu’elles invoquent pour prétendre à l’octroi du statut de réfugié doivent s’avérer suffisamment caractérisées dans leur propre chef pour leur valoir l’octroi du statut sollicité, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Il résulte de ce qui précède, que les craintes dont les demanderesses font état s’analysent en substance en un sentiment général d’insécurité lequel ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demanderesses aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 juin 2005 par :

Mme Lamesch, juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef Schmit Lamesch 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19426
Date de la décision : 29/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-29;19426 ?

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