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29/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19042

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 juin 2005, 19042


Numéro 19042 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 décembre 2004 Audience publique du 29 juin 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19042 du rôle, déposée le 17 décembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat

à la Cour, assisté de Maître Virginie ADLOFF, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ord...

Numéro 19042 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 décembre 2004 Audience publique du 29 juin 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19042 du rôle, déposée le 17 décembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, assisté de Maître Virginie ADLOFF, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pristina (Kosovo/Etat de Serbie-

Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 27 septembre 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 15 novembre 2004 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 février 2005;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 14 mars 2005 par Maître Edmond DAUHIN pour compte de Monsieur …;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Virginie ADLOFF et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

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Le 11 mai 2004, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en dates des 19 et 21 mai 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par décision du 27 septembre 2004, notifiée par courrier recommandé du 28 septembre 2004, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté Pristina/Kosovo le 4 mai 2004 pour aller en Albanie. De là, une camionnette vous aurait emmené au Luxembourg. Vous précisez que la camionnette aurait été placée sur un bateau.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 11 mai 2004.

Vous n’auriez pas fait votre service militaire. Vous auriez été convoqué mais, à ce moment-là, vous vous seriez trouvé en Allemagne. Vous n’auriez pas eu de problème par la suite. Vous seriez membre du parti LDK, comme toute votre famille. Votre père et votre sœur auraient été actifs dans ce parti.

Le 17 mars 2004, on aurait jeté une grenade dans la cour de votre maison et on aurait mis le feu à l’église orthodoxe, à côte de chez vous. Deux hommes masqués vous auraient traité d’espions à la solde des Serbes et vous auraient conseillé de quitter le Kosovo. Vous pensez que ces hommes masqués seraient des membres de l’UCK. Votre père aurait été frappé et votre frère menacé de mort. Vous n’auriez pas porté plainte de peur des représailles.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate d’abord que, même si vous étiez simple membre du LDK, ceci ne vous plaçait pas dans une position particulièrement exposée. En ce qui concerne la grenade qu’on aurait jetéee dans votre cour, rien n’indique que vous étiez personnellement visé puisqu’on a, au même moment, mis le feu à l’église à côté de chez vous. Quant aux hommes masqués qui seraient passés chez vous, je note que vous ignorez qui ils sont et que vous n’avez pas porté plainte contre eux, de sorte que vous êtes mal venu d’invoquer un manque de protection de la part des autorités. D’ailleurs, ces personnes inconnues que vous craignez, en supposant ce fait établi, ne sauraient être assimilées à des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Il résulte de votre récit que vous éprouvez un sentiment d’insécurité davantage qu’une crainte de persécution au sens de la Convention précitée.

De plus, il ne ressort pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous établir dans une autre ville ou dans une autre région pour éviter ces hommes masqués et profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Finalement, le Kosovo, pour un Albanais, ne saurait être considéré comme un territoire dans lequel des persécutions sont à craindre.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 29 octobre 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du même ministre du 15 novembre 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 27 septembre 2004 et confirmative du 15 novembre 2004 par requête déposée le 17 décembre 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que lui-même et toute sa famille auraient été membres d’un parti luttant démocratiquement pour un Kosovo multiethnique, que sa famille se serait réfugiée à l’étranger durant la guerre et qu’ils seraient donc considérés comme des traîtres à la patrie par les autres Kosovars. Le demandeur expose que lui-même et sa famille auraient fait l’objet de menaces de la part « d’éléments incontrôlables ou, peut-être, à dessein non contrôlés » et qu’ils auraient tous quitté le Kosovo surtout après que leur ferme aurait été détruite. Il soutient qu’il n’y aurait pour lui pas de retour possible au Kosovo « tant que celui-ci ne sera pas policé ».

Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Le demandeur fait valoir en termes de réplique que le caractère périlleux des menaces proférées à son encontre ne saurait être nié au vu de sa situation personnelle, au motif notamment qu’il se serait enfui à l’étranger au moment de son enrôlement et qu’il serait dès lors considéré comme un traître et soupçonné de collaboration avec les Serbes. Quant au défaut de demande de protection de la part des autorités en place, le demandeur affirme que ces autorités seraient en partie constituées d’anciens membres du parti adverse et que les menaces proférées à son encontre viseraient notamment le cas où il s’adresserait aux autorités.

Il argue finalement que sa situation de persécution se serait pas limitée à son village ou sa région d’origine et que l’impossibilité d’une fuite interne serait prouvée par l’éparpillement de sa famille en des lieux inconnus de lui afin d’échapper au danger de mort.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2004, v° Recours en réformation, n° 12).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions des 19 et 21 mai 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile.

En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Par ailleurs, même en admettant la réalité de l’engagement politique du demandeur au sein du parti LDK, des menaces et de la mise à feu de sa ferme dont il déclare avoir été la victime, le tribunal est néanmoins amené à constater que les actes concrets de persécution invoqués par le demandeur paraissent essentiellement émaner de personnes privées étrangères aux autorités publiques, de sorte qu’ils s’analysent dans cette mesure en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. Il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, si le demandeur tend certes à décrire une situation d’insécurité et de conflit généralisé dans son pays d’origine, il n’a soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate. En effet, le simple fait de prétendre que les autorités actuellement en place au Kosovo ne seraient pas en mesure de lui assurer une protection efficace sans faire état d’une tentative concrète de recherche de protection à travers notamment le dépôt d’une plainte, n’est pas de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part desdites autorités, étant relevé que les motifs mis en avant pour justifier sa peur de solliciter leur protection, s’ils s’expliquent dans le cadre d’une situation générale instable, ne sont pas pour autant de nature à justifier son attitude.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 29 juin 2005 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19042
Date de la décision : 29/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-29;19042 ?

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