La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19549

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 juin 2005, 19549


Tribunal administratif N° 19549 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mars 2005 Audience publique du 27 juin 2005

==========================

Recours formé par les époux … et consorts, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

--------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19549 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 mars 2005 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des

avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le 1er mars 1967 à Gomsiqe (Albanie), et de son épouse Mad...

Tribunal administratif N° 19549 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mars 2005 Audience publique du 27 juin 2005

==========================

Recours formé par les époux … et consorts, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

--------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19549 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 mars 2005 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le 1er mars 1967 à Gomsiqe (Albanie), et de son épouse Madame …, née le 12 mars 1973 à Nanshat (Albanie), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-

6590 Weilerbach, 5, route de Diekirch, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 29 décembre 2004, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 21 février 2005, suite à un recours gracieux des demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

En date du 18 octobre 2004, Monsieur … et son épouse Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux … furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent entendus séparément en date des 9 et 18 novembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 29 décembre 2004, leur notifiée par courrier recommandé expédié le 3 janvier 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du même jour ainsi que les rapports d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration des 9 novembre et 18 novembre 2004.

Vous auriez quitté l’Albanie le 14 octobre 2004. Vous auriez pris place dans un camion à Durres. Vous ignorez tout de votre trajet.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 18 octobre 2004.

Monsieur, vous auriez fait votre service militaire en 1989/1990. Vous ne seriez membre d’aucun parti.

Vous auriez trouvé une place de chauffeur de poids[-lourds] dans une firme dénommée BEKA. Votre frère y travaillait déjà mais il n’aurait pas été satisfait de vous voir engagé à votre tour. Vous auriez été engagé pour effectuer des transports nocturnes seulement. Après trois jours de travail, alors que vous deviez effectuer votre quatrième transport, vous seriez arrivé au travail un peu avant l’heure prévue et vous auriez ainsi assisté au chargement de votre camion. Vous dites que des individus masqués procédaient au chargement, que des policiers y assistaient et que quatre filles étaient prêtes pour embarquer aussi. Cela vous aurait paru suspect et vous auriez été vous renseigner sur le contenu de votre camion. Un de vos collègues vous aurait conseillé de vous taire et votre supérieur hiérarchique vous aurait précisé que le trajet serait plus long et que vous deviez compter avec un voyage de deux ou trois jours. Vous auriez pris peur et vous vous seriez enfui. On vous aurait tiré dessus à quatre reprises. Vous auriez tout expliqué à la police qui vous aurait conseillé de vous mettre à l’abri. Vous en déduisez que la police était déjà au courant des activités de la firme BEKA. Vous seriez alors parti à Durres. Le lendemain, vous auriez téléphoné à votre beau-frère pour qu’il se renseigne ; celui-ci vous aurait appris qu’on aurait fait sauter votre maison, que votre père et votre frère serait morts. Votre beau-frère aurait été porter plainte à votre place.

Comme vous ne vouliez plus rester en Albanie, il vous aurait trouvé un passeur pour quitter le pays. Vous seriez restés deux semaines à Durres avant de partir.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Vous ajoutez que, d’après votre mari, il y avait de la drogue dans les sacs de farine qu’on chargeait sur son camion. Finalement, vous affirmez qu’il serait notoire que la police et la mafia travaillent ensemble.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentifs au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par contre, selon l’article 9, alinéa 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

Je constate que vos problèmes sont liés à une bande de trafiquants ou de contrebandiers et que ceci est du domaine privé. Vous affirmez que la police collaborerait avec les milieux mafieux, mais ceci reste à l’état de pure allégation. Vous avez été reçu normalement par la police quand vous avez porté plainte, vos plaintes ont été enregistrées, la police vous a conseillé de vous mettre à l’abri le temps que l’enquête se fasse. Tout ceci démontre dans le chef des autorités une attitude diligente sans défaut.

Il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de rester à Durres le temps de l’enquête ou même de vous y établir définitivement si vous aviez peur de retourner dans votre village. Vous n’apportez pas non plus la preuve d’un lien de causalité entre l’explosion de votre maison qui aurait entraîné le décès de votre père, la mort de votre frère et vos ennuis à la firme BEKA.

Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fond de la Convention de Genève. Tout au plus, éprouvez-vous un sentiment d’insécurité, qui ne fonde pas, lui non plus, une persécution au sens de cette Convention.

Une demande qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 4 février 2005, les époux … introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration à l’encontre de cette décision ministérielle.

Le 21 février 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale du 29 décembre 2004 dans son intégralité, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 24 mars 2005, les époux … ont introduit un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions prévisées des 29 décembre 2004 et 21 février 2005.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration de ne pas avoir apprécié à sa juste valeur leur situation spécifique qui laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans leur pays d’origine. Monsieur … relate avoir vécu ensemble avec sa famille dans un village près de la ville de Shkoder, qu’il aurait été engagé en tant que chauffeur dans une entreprise de transport, qu’il aurait assisté un soir au chargement de son camion, chargement effectué par des personnes masquées et des policiers, et qu’il aurait dû constater que le chargement était probablement de la drogue, ainsi que quatre filles. N’ayant pu obtenir des réponses satisfaisantes quant au contenu de la cargaison et ne voulant être mêlé à ces affaires, Monsieur … expose avoir pris la fuite mais qu’au moment de s’enfuir, une des personnes présentes aurait tiré à quatre reprises sur lui, sans cependant l’atteindre. Par la suite, il se serait rendu à la police pour porter plainte et obtenir une protection pour soi-

même et sa famille, mais la police lui aurait uniquement conseillé de se mettre à l’abri, ce qu’il aurait fait le soir même en allant s’installer dans un hôtel dans la ville de Durres. Le lendemain, il aurait cependant appris par son beau-frère que sa maison aurait été détruite à l’explosif pendant la nuit, que son père aurait trouvé la mort dans cet attentat et que son frère aurait été trouvé assassiné dans un canal. Comme il ne se serait plus senti en sécurité, il aurait décidé de quitter l’Albanie, ensemble avec sa famille, pour venir trouver refuge au Luxembourg.

En substance, les demandeurs reprochent au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Recours en réformation, n° 12).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, si les événements relatés peuvent être considérés comme crédibles au vu des pièces versées au dossier et sont certes condamnables, ils s’inscrivent cependant dans le cadre d’une criminalité de droit commun et comme ils émanent de personnes étrangères aux autorités publiques, à savoir des personnes issues de milieux mafieux, ils s’analysent dans cette mesure en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.

Or, en l’espèce, les demandeurs n’établissent pas à suffisance de droit que les autorités chargées d’assurer la sécurité publique ne soient pas capables de leur assurer un niveau de protection suffisant, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par les demandeurs d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En effet, il ressort des propres déclarations des demandeurs qu’ils ont déposé plainte auprès des autorités policières locales et le fait que cette enquête policière n’ait pas abouti avant leur départ d’Albanie, soit dans un laps de temps de 15 jours, ne démontre pas à lui seul un défaut de protection de la part des autorités en place.

Pour le surplus, il y a lieu de constater que les risques allégués par les demandeurs se limitent essentiellement à leur ville d’origine et qu’il restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent pas trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie de l’Albanie, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf.

trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, v° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef.

Partant le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 27 juin 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19549
Date de la décision : 27/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-27;19549 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award