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27/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19542

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 juin 2005, 19542


Tribunal administratif N° 19542 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mars 2005 Audience publique du 27 juin 2005

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Recours introduit par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19542 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 mars 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des a

vocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Lagos (Nigeria), de nationalité nigériane, actuel...

Tribunal administratif N° 19542 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mars 2005 Audience publique du 27 juin 2005

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Recours introduit par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19542 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 mars 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Lagos (Nigeria), de nationalité nigériane, actuellement détenu au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 22 novembre 2004, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2005 ;

Vu la lettre de Maître Nicky STOFFEL déposée au greffe du tribunal administratif le 20 juin 2005 par laquelle elle informe le tribunal de ce qu’elle n’a plus mandat dans la présente affaire ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle litigieuse ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en sa plaidoirie.

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Le 5 novembre 2003, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu en date des 22 mars et 29 avril 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par décision du 22 novembre 2004, lui notifiée en mains propres le 10 janvier 2005, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté Lagos par bateau en octobre 2003 avec l’aide d’un ami de votre oncle travaillant au port. Le voyage aurait duré 16 jours et vous auriez accosté quelque part en Europe. Vous ne pouvez pas donner plus de précisions sur le port d’arrivée et vous ignorez combien ce voyage aurait coûté. Un homme blanc à qui vous auriez raconté votre histoire vous aurait payé un billet pour le Luxembourg où vous seriez arrivé après cinq à sept heures de trajet. Vous n’avez pas gardé le billet de train et vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Vous dites que votre sœur serait décédée le 4 juin 2003 à Lagos. Suspecté par sa mort, votre oncle aurait consulté un médecin indigène qui lui aurait révélé que votre père serait mêlé dans la mort de votre sœur. Votre père aurait pourtant tout démenti. Un jour, votre père se serait senti mal et vous aurait demandé de l’emmener chez votre médecin de famille, mais il vous aurait emmené dans une petite maison dans un endroit sombre. Vous y auriez trouvé des hommes vêtus en noir et blanc. L’un d’eux vous aurait touché sur le front et vous auriez perdu connaissance. Vous vous seriez réveillé à votre maison. Le lendemain votre père vous aurait dévoilé qu’il serait leader d’un culte secret appelé « ROF – Reform Ogboni Fraternity » et que vous devriez prendre sa place à sa mort, ce que vous auriez pourtant refusé.

A sa mort en septembre 2003, les membres du culte ROF auraient réclamé que vous preniez la place de votre père et vous auraient donné deux semaines de réflexion. Ils auraient menacé de vous tuer au cas où vous refuseriez. Après le délai de réflexion, vous auriez de nouveau réitéré votre refus à joindre le ROF. Les membres du culte vous auraient alors enlevé et emmené dans un endroit. Votre frère y serait venu ensemble avec des voisins et une bagarre aurait éclaté. Vous auriez ainsi réussi à vous enfuir et vous seriez rentré chez vous pour aller chercher de l’argent. Vous vous seriez ensuite caché chez votre oncle et vous auriez pris un bateau trois jours plus tard.

Vous précisez avoir ignoré que votre père serait membre du culte ROF qui pratiquerait selon vos dires des rituels de sacrifices humains. Vous auriez peur de vous faire tuer par les membres de ce culte parce que vous auriez refusé de prendre le trône. Vous n’auriez pas demandé de protection aux autorités policières du Nigeria.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et vous ne faites pas état d’autres problèmes.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Force est cependant de constater qu’il est peu plausible que vous ne sachiez pas dans quel port européen vous auriez accosté alors que ce serait un ami de votre oncle travaillant de surplus au port de Lagos qui vous aurait fait entrer dans le bateau. Vous dites également y avoir pris un train pour le Luxembourg et que vous auriez été en possession d’un billet de train sur lequel le lieu de départ a forcément figuré. Enfin, notons que vous auriez passé cinq à sept heures dans le train, ainsi vous avez eu largement le temps de vous rendre compte ou de vous informer dans quel train vous vous trouveriez et par où il serait passé.

A cela s’ajoute qu’il résulte des informations en nos mains que contrairement à vos dires, la « Reform Ogboni Fraternity », n’est pas une société secrète réservée aux hommes.

En effet, il s’agit d’une organisation indigène charitable dont le but est nullement de s’enrichir comme vous le prétendez, mais la promotion de la culture africaine et croyant en la fraternité des hommes et du « self-improvement ». La ROF ne sacrifie nullement des êtres humains et le refus de joindre cette organisation n’est pas puni par la mort. Il est également peu probable que vous ne sachiez que peu de choses sur cette organisation alors que [vous] auriez dû en devenir un leader local.

Quoi qu’il en soit et même à supposer les faits que vous alléguez comme établis, ils ne sauraient constituer une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, §2 de la Convention de Genève. En effet, les membres de ce soi-disant culte ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention. A cela s’ajoute qu’il ressort clairement du rapport de l’audition que vous n’avez pas requis la protection des autorités de votre pays pour vous protéger contre ces individus et il n’est également pas démontré que celles-ci seraient dans l’incapacité de vous fournir une protection. Votre crainte purement hypothétique de vous faire tuer par ces membres traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre de son mandataire du 10 février 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale le 21 février 2005.

Par requête déposée le 23 mars 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision initiale du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 22 novembre 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le recours principal en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre compétent d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile, au motif que sa situation aurait été intolérable dans son pays d’origine, étant donné qu’il y aurait légitimement pu craindre d’être la victime d’actes de persécution de la part de membres du ROF, organisation qu’il qualifie d’organisation religieuse occulte exerçant des « rites et cultes lugubres » et qui ferait des sacrifices humains. Il dresse encore le tableau des problèmes qu’a connu le Nigeria, soutenant qu’encore à l’heure actuelle, la situation générale y resterait instable et dangereuse, dès lors qu’une criminalité violente y progresserait.

Le représentant étatique soutient que le ministre compétent aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, faisant état de sa crainte d’actes de persécution provenant de membres du culte ROF, même abstraction faite de ce que les affirmations du demandeur restent à l’état de simples allégations, le demandeur se prévaut d’actes de persécution émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains éléments de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf.

Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités en place encourageraient, voire toléreraient de tels actes.

S’y ajoute que le demandeur aurait pu trouver refuge dans une autre partie de son pays d’origine, étant donné que le demandeur exprime seulement un sentiment général d’insécurité en raison de la situation générale instable régnant dans son pays, mais non pas de risques concrets d’être personnellement exposé à des actes de persécution et que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm.

2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 27 juin 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19542
Date de la décision : 27/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-27;19542 ?

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