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27/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19521

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 juin 2005, 19521


Tribunal administratif N° 19521 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mars 2005 Audience publique du 27 juin 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19521 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2005 par Maître Sandra CORTINOVIS, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des av

ocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Podujevo (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), de na...

Tribunal administratif N° 19521 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mars 2005 Audience publique du 27 juin 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19521 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2005 par Maître Sandra CORTINOVIS, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Podujevo (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration intervenue le 7 janvier 2005 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre en date du 21 février 2005 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Olivier LANG, en remplacement de Maître Sandra CORTINOVIS, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 11 octobre 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu le 10 décembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 7 janvier 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 11 octobre 2004 que vous auriez quitté le Kosovo le 29 septembre 2004 pour Durres/Albanie où vous seriez resté pendant quelques jours avant de prendre place à bord d’un camion qui vous aurait emmené au Luxembourg, où vous seriez arrivé le 10 octobre 2004. Le dépôt de votre demande d’asile date du lendemain. Vous ne pouvez pas donner d’indications quant au trajet emprunté et vous ne présentez aucune pièce d’identité. Votre carte d’identité émise par la MINUK serait restée à la maison. En 1999, vous avez été demandeur d’asile en Autriche pendant quelques mois.

Vous auriez quitté le Kosovo en raison de problèmes liés au fait que vous seriez sorti avec une fille serbe. En février 2004, deux personnes vous auraient accosté dans un bar et une bagarre s’en serait suivie. Par la suite, vous auriez reçu des lettres de menaces signées par la « AKSH ». Deux jeunes vous auraient agressé en juin/juillet 2004, vous pensez à cause de votre copine serbe. Vous n’auriez pas porté plainte auprès de la police à la suite de ces faits. Votre père vous aurait mis à la porte après une dispute portant sur cette fille serbe.

Vous précisez que vous n‘auriez pas quitté le Kosovo si votre père ne vous avait pas mis à la porte.

Vous auriez peur de vous faire agresser de nouveau, pourtant votre peur ne serait pas liée à vos opinions politiques, religieuses ou à votre groupe social ou national. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et vous dites ne pas avoir subi des persécutions.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je me dois tout d’abord de constater que vous n’êtes pas en mesure de prouver que votre dernier lieu de résidence a effectivement été au Kosovo.

Par ailleurs, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Des jeunes dans un bar, des membres « AKSH » et votre père ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention. Il n’est par ailleurs pas prouvé que les deux agressions soient liées à un quelconque arrière fond politique, ethnique, religieux ou social. A cela s’ajoute que vous n’avez pas demandé de protection auprès des forces onusiennes et il n’est pas établi que ces dernières seraient dans l’incapacité de vous fournir une protection quelconque.

Votre peur traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, d’autant plus que vous dites vous même que vous n’auriez pas quitté le Kosovo si votre père ne vous avait pas mis à la porte.

Il faut également souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Après les violences généralisées de mars 2004, « la situation en matière de sécurité est restée, dans l’ensemble, calme et stable » a indiqué Hédi Annabi, sous-secrétaire général aux opérations de maintien de la paix de l’ONU le 5 août 2004. De nouvelles élections législatives sont prévues pour octobre 2004. Le Kosovo doit également être considéré comme territoire où il n’existe pas en règle générale des risques de persécutions pour les albanais.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre de son mandataire du 9 février 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale le 21 février 2005.

Par requête déposée le 21 mars 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation des décisions précitées du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 7 janvier et 21 février 2005.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. – Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le recours principal en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur soulève en premier lieu un moyen d’annulation tiré de ce que les décisions querellées ne seraient pas suffisamment motivées en fait et en droit, les motifs énoncés étant « purement stéréotypes ».

Ledit moyen d’annulation, basé sur la violation notamment de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes et de l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 est cependant à écarter, étant donné qu’il se dégage du libellé ci-avant repris de la décision ministérielle initiale, que le ministre a énoncé une motivation individuelle circonstanciée tant en droit qu’en fait.

A l’appui de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, le demandeur soutient remplir les conditions pour être admis au statut de réfugié, au motif qu’il aurait été et risquerait d’être victime de persécutions au Kosovo du fait d’avoir appartenu à un parti politique d’opposition, non autrement précisé, et en raison de ses origines. Il ajoute avoir connu des problèmes en raison d’une liaison amoureuse avec une jeune fille serbe et qu’à l’occasion d’une sortie dans un bar, il aurait été attaqué et frappé par des jeunes inconnus, lesquels lui auraient encore fait parvenir des lettres de menace « sous la signature « AKSH » et il impute leur hostilité aux origines serbes de sa copine. Enfin, son père l’aurait « mis à la porte » en raison de cette liaison.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre compétent a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

C’est à juste titre que le délégué du gouvernement relève que dans sa requête introductive, le demandeur fait pour la première fois état d’une prétendue appartenance à un parti politique d’opposition, alors qu’il n’en a jamais été question antérieurement, l’allégation restant par ailleurs non autrement circonstanciée, le nom du parti n’étant même pas précisé, et aucun élément de preuve afférent n’est apporté.

En ce qui concerne les menaces et agression par des inconnus dont le demandeur fait état, force est de constater qu’un arrière-fond politique, religieux, national ou autre, visé par la Convention de Genève, reste purement hypothétique et le demandeur reste en défaut d’établir un refus de protection des autorités de son pays d’origine ou une l’impossibilité de leur part de lui fournir une protection d’une efficacité suffisante, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

S’y ajoute qu’en raison du champ d’action territorialement limité des prétendus agresseurs, le demandeur ne justifie pas l’existence d’une impossibilité de trouver refuge dans une autre ville du Kosovo, étant rappelé que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib.

adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 27 juin 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19521
Date de la décision : 27/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-27;19521 ?

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