La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19137

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 juin 2005, 19137


Tribunal administratif N° 19137 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 janvier 2005 Audience publique du 27 juin 2005 Recours formé par Madame …, … contre une décision de la ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle en matière de discipline scolaire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19137 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2005 par Maître Gaston VOGEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, étudiante, demeurant à L-

…, tendant à l’annulation d’une décision de la ministre de l’Education nationale et d...

Tribunal administratif N° 19137 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 janvier 2005 Audience publique du 27 juin 2005 Recours formé par Madame …, … contre une décision de la ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle en matière de discipline scolaire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19137 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2005 par Maître Gaston VOGEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, étudiante, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision de la ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle du 14 décembre 2004 confirmant une décision du conseil de classe de la classe X2 AS 7 du Lycée technique pour professions de santé, Centre de formation d’Ettelbrück, du 22 novembre 2004 aux termes de laquelle la demanderesse a été exclue de tous les cours pendant une durée de trois mois avec effet immédiat à partir de la notification de ladite décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 février 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 mars 2005 en nom et pour compte de la demanderesse ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 avril 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Fayza OMAR, en remplacement de Maître Gaston VOGEL, et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

En date du 5 octobre 2004, J. S., élève de la classe X2 AS 7 du Lycée technique pour professions de santé à Ettelbrück, ci-après désigné par le « lycée », fit part à son régent de classe, Monsieur A. S., ainsi qu’à la directrice adjointe dudit lycée, Madame T. T.-H., qu’elle aurait été victime d’actes de harcèlement et de menace de la part de deux élèves, à savoir … et T. K., qui auraient distribué un « flyer » la dénigrant méchamment et qu’elle aurait déposé de ce chef une plainte auprès de la police à Rambrouch.

Par courriers respectifs du 8 octobre 2004, … et T. K. furent chacune convoquées à une réunion du conseil de classe prévue pour le 18 octobre 2004 à 16.00 heures, convocation de la teneur suivante :

« Mademoiselle, Je dois vous informer par la présente que vous êtes suspectée d’avoir commis des insultes graves, des menaces et des actes de violence morale à l’égard de Mademoiselle J. S., membre de la communauté scolaire et élève de la classe X2 AS 7.

Etant donné que l’insulte grave, la menace et les actes de violence commis à l’égard d’un membre de la communauté scolaire constituent une infraction passible d’une mesure disciplinaire conformément à l’article 42 de la loi du 25 juin 2004 portant organisation des lycées et lycées techniques et au règlement grand-ducal du 29 juin 1998 concernant l’ordre intérieur et la discipline dans les établissements d’enseignement secondaire et secondaire technique, je vous convoque par la présente à un conseil de classe, qui se tiendra le 18 octobre 2004 à 16.00 heures au Lycée Technique pour Professions de Santé, Centre de formation Ettelbruck pour statuer en matière disciplinaire.

Vous avez le droit de vous faire assister par une personne de votre choix.

J’attire votre attention sur le fait que, vu la gravité de l’infraction qui vous est reprochée, vous encourez une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’à l’exclusion de tous les cours pendant une durée de trois mois. ( …) ».

Lors de la réunion du conseil de classe du 18 octobre 2004, T. K., accompagnée par Maître Jean-Paul WILTZIUS, et …, accompagnée par un ami, Monsieur M. L., contestèrent les accusations de harcèlement et de menace à l’égard de J. S., de même que la distribution du « flyer » litigieux.

Suivant courrier du 25 octobre 2004 de son mandataire, … contesta « avec la dernière énergie de s’être rendue coupable de quoi que ce soit et elle se réserve d’actionner S. devant les tribunaux compétents pour dénonciation calomnieuse ».

A la même date du 25 octobre 2004, la directrice adjointe et le régent de classe dressèrent un rapport sur les entretiens avec les élèves de la classe X2 AS 7 ayant trait à l’affaire disciplinaire menée à l’égard de T. K. et ….

En date du 15 novembre 2004, la directrice adjointe convoqua les deux élèves dans son bureau pour leur donner la possibilité de réagir « face à la confirmation des accusations par les camarades de classe lors de l’interview de la classe entière en date du 25.10.2004 ».

Lors de cet entretien, … et T. K. répondirent « qu’elles n’ont rien à dire à ce sujet ».

Par courriers du 10 novembre 2004, T. K. et … furent convoquées de se présenter à nouveau devant le conseil de classe pour le 22 novembre 2004.

Suivant courrier de son mandataire du 17 novembre 2004, … fit savoir à la directrice du lycée, Madame M. G., que « la procédure engagée par vous est par conséquent irrégulière » et qu’elle n’entendra pas se présenter devant le conseil de classe à la date du 22 novembre 2004.

Le conseil de classe se réunit en date du 22 novembre 2004 de 15.30 à 19.30 heures pour statuer sur les sanctions à prendre à l’égard de T. K. et …. Lors dudit conseil, quatre élèves furent entendus, ainsi que le victime J. S. en présence de T. K., accompagnée par Maître Jean-Paul WILTZIUS, et de …, accompagnée de sa mère.

Après avoir entendu les témoignages des élèves, le conseil de classe se retira et prononça à l’égard de T. K. et …, avec cinq voix contre une, la sanction de l’exclusion de tous les cours pendant une durée de trois mois avec effet immédiat.

Par courrier recommandé datant du 23 novembre 2004, la directrice et la directrice adjointe s’adressèrent à … dans les termes suivants :

« Mademoiselle, Je dois vous informer par la présente que le conseil de classe de la classe X2 AS 7, ayant siégé en matière de discipline le lundi 22 novembre 2004 et auprès duquel vous avez eu l’occasion de prendre position, a prononcé à votre égard la sanction de l’exclusion de tous les cours pendant une durée de trois mois avec effet immédiat après la notification de la présente.

Les débats pendant le conseil de classe et des témoignages ont en effet établi que vous vous êtes rendue coupable de menaces :

- par des comportements agressifs répétés envers votre camarade de classe J. S. et la verbalisation de menaces dans la salle de classe et dans la cour du Lycée avant le début des cours et pendant les récréations en septembre et début octobre de l’année scolaire 04-05 adressées directement à l’élève J. S., - par la mise en garde de témoins potentiels et notamment la mise en garde des délégués de classe, susceptibles de témoigner devant le conseil de classe, à la fin des cours de la matinée d’hier ;

d’actes de violence morale et d’atteinte aux bonnes mœurs :

- par la production et la distribution de « flyers » au début de l’année scolaire 04-

05, dénigrant vulgairement votre camarade de classe J. S. et montrant des photos de la même élève réalisées pendant les activités pédagogiques de classe en date du 7.11.02 et du 19.05.04 ;

- par la sollicitation de camarades de classe, que vous avez informés de vos agissements et auxquels vous avez montré le « flyer » dans l’enceinte du lycée.

La sanction a été prononcée sur base des articles 20, 41 et 42 de la loi du 25 juin 2004 portant organisation des lycées et lycées techniques et des articles 34, 35, 36 et 37 du règlement grand-ducal du 29 juin 1998 concernant l’ordre intérieur et la discipline dans les établissements d’enseignement secondaire et secondaire technique.

J’attire votre attention sur le fait que vous pouvez introduire contre la présente décision un recours motivé par lettre recommandée auprès du Ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle, dans un délai de huit jours francs après la notification de la présente (…) ».

Par courrier de son mandataire du 30 novembre 2004, … fit introduire un recours gracieux auprès de la ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle, ci-

après dénommée la « ministre », à l’encontre de la décision précitée du conseil de classe du 22 novembre 2004.

Par décision du 14 décembre 2004, la ministre confirma la sanction disciplinaire infligée à … dans les termes suivants :

« Maître, J’ai en main votre lettre du 30 novembre 2004 par laquelle vous m’informez que votre mandante, à savoir Mademoiselle …, introduit un recours contre la décision du conseil de classe en date du 22 novembre 2004 aux termes de laquelle elle a été exclue de tous les cours pour une durée de trois mois.

Ainsi qu’il ressort du dossier, Mademoiselle … a été informée, avant la réunion du conseil de classe, des accusations dont elle fait l’objet. La direction du lycée n’a pas ménagé ses peines pour entendre les personnes concernées et des témoins. Les témoignages devant la direction et reproduits à l’occasion de la réunion du conseil de classe sont consignés dans un rapport contresigné par les élèves en question.

Quant aux faits qui sont à l’origine de l’affaire disciplinaire, ils sont extrêmement graves. D’après les informations dont je dispose, la mère de T. K., l’autre élève qui a fait l’objet de la même sanction que Tania, a pris contact avec la directrice adjointe Madame M.-

T. T. et à cette occasion elle aurait révélé à celle-ci que T. a avoué avoir commis ensemble avec Tania les faits qui sont à l’origine du renvoi de l’école pour la durée de trois mois.

Dans ces conditions, je ne suis pas en mesure de donner une suite favorable à votre recours et par conséquent la décision du conseil de classe prise en date du 22 novembre dernier est maintenue.( …) ».

Par requête déposée en date du 10 janvier 2005, Madame … a introduit un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision prévisée de la ministre du 14 décembre 2004.

Le recours introduit en temps utile contre la seule décision confirmative est valable, étant donné qu’une décision sur recours gracieux, purement confirmative d’une décision initiale, tire son existence de cette dernière et dès lors, les deux doivent être considérées comme formant un seul tout. Le fait de diriger un recours contentieux contre la seule décision confirmative entraîne ainsi nécessairement que le recours est également dirigé contre la décision initiale (cf. trib. adm. 24 avril 2002, n° 13864 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Procédure contentieuse, n° 172).

Aucun recours au fond n’étant prévu en la matière, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse, en se basant sur de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, soutient que le respect des droits de la défense s’imposerait en matière disciplinaire et qu’en l’espèce, la direction du lycée aurait « fait fi des exigences les plus élémentaires quant au respect des droits de la défense et s’est livrée à une instruction digne de l’inquisition ».

Dans ce contexte, elle conclut plus particulièrement à :

- la violation du principe d’impartialité, au motif que l’article 21 de la loi du 25 juin 2004 portant organisation des lycées et des lycées techniques, ci-après dénommée la « loi de 2004 », conférerait compétence au conseil de discipline pour les infractions susceptibles d’entraîner un renvoi définitif de l’élève et que, comme les infractions lui reprochées seraient susceptibles d’être sanctionnées par un renvoi définitif, il aurait appartenu audit conseil de discipline de siéger au lieu du conseil de classe, seule composition en mesure de satisfaire à l’exigence d’impartialité imposée par la Convention européenne des droits de l’homme ;

- la violation du « droit à être informée », au motif que la lettre de convocation de la direction du lycée du 8 octobre 2004 aurait été rédigée en des termes si généraux que la direction ne saurait raisonnablement soutenir l’avoir informé utilement des préventions libellées à sa charge, d’autant plus qu’elle n’a jamais pu obtenir un dossier complet avant la tenue du conseil de classe, attitude qui serait contraire à l’article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

- la violation de son « droit à interroger les témoins », au motif qu’elle n’aurait jamais été convoquée à une seule mesure d’instruction, alors que la direction aurait mené son instruction comme bon lui semble, attitude qui serait de nouveau contraire au prédit article 6 § 3 qui prévoit que tout accusé à le droit « d’interroger ou faire interroger les témoins à charge et d’obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ».

A titre subsidiaire, la demanderesse conteste encore intégralement les faits lui reprochés.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement, après avoir dressé la chronologie des différents phases de l’instruction disciplinaire menée à l’encontre de la demanderesse, relève en premier lieu que la procédure se serait déroulée dans le strict respect des dispositions légales et réglementaires applicables, à savoir celles contenues dans la loi de 2004 et dans le règlement grand-ducal du 29 juin 1998 concernant l’ordre intérieur et la discipline dans les établissements d’enseignement secondaire et secondaire classique, ci-après dénommé le « règlement de 1998 ».

Le représentant étatique estime pour le surplus que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ne saurait trouver application au cas d’espèce, au motif que des contestations sur des droits et obligations de caractère civil ou une accusation en matière pénale ne seraient pas en cause.

Concernant plus particulièrement la violation alléguée du principe d’impartialité, le délégué du gouvernement estime que « mettre en doute l’impartialité de ceux qui ont à juger relève d’une affirmation purement gratuite », d’autant plus que les membres du conseil de classe n’étaient pas directement concernés par les faits qu’ils avaient à apprécier. En relation avec la prétendue compétence du conseil de discipline pour juger des faits reprochés à …, le représentant étatique relève que le conseil de discipline est saisi par le conseil de classe et que dans le cas de figure où le conseil de classe estime que les faits ne méritent pas un renvoi définitif, il n’aurait pas à se dessaisir au profit du conseil de discipline.

Le représentant étatique entend réfuter également la prétendue violation du droit de la demanderesse à être informée, étant donné que la direction et le conseil de classe auraient procédé à l’audition de témoins, qu’il y aurait également eu instruction à décharge, que les motifs à la base de la procédure disciplinaire auraient été indiqués dans la lettre de convocation et que la demanderesse aurait été confrontée avec les faits par la convocation de la direction et lors des conseils de classe en dates des 18 octobre et 22 novembre 2004.

Concernant finalement la prétendue violation du droit de la demanderesse à interroger des témoins, le délégué du gouvernement relève que le contenu des témoignages a été repris dans un rapport signé par les témoins, que la demanderesse a été informée du contenu dudit rapport et qu’elle avait partant la possibilité de prendre position par rapport aux accusations et témoignages. S’il est bien exact que le rapport dressé ne permettait pas à la demanderesse de savoir si un témoignage déterminé émanait « de tel condisciple ou d’un autre », le représentant étatique soutient que l’article 13 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes permet de refuser la communication de pièces si des intérêts publics importants exigent que le secret soit gardé, respectivement en présence d’intérêts privés importants. Partant, la direction du lycée et le conseil de classe, après avoir pesé les intérêts en présence, auraient décidé à bon droit de ne pas mettre en danger l’ordre et la sécurité à l’intérieur du lycée et de la classe litigieuse et, plus particulièrement, la sécurité des élèves fréquentant la classe en question.

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse réaffirme que la procédure en cause aurait dû être soumise aux exigences prévues à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et qu’il aurait appartenu au conseil de discipline, « seul garant des impartialités requises », de décider si les faits à la base de l’affaire méritent un renvoi définitif ou le renvoi de l’affaire devant le conseil de classe pour une autre sanction.

Concernant la violation allégué du droit à être informée, la demanderesse relève que la lettre de convocation du 8 octobre 2004 serait « sans information aucune à part une énumération brute des infractions reprochées », que le 15 novembre 2004, elle aurait été confrontée à des accusations anonymes de ses camarades de classe sans avoir pu les interroger, et que le 22 novembre 2004, malgré un courrier de son mandataire du 17 novembre 2004, elle aurait été condamnée à une exclusion des cours pour une durée de trois mois sans avoir été mise en position de préparer utilement sa défense.

Concernant finalement son droit à interroger des témoins, la demanderesse estime que l’article 13 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, précité, ne saurait justifier « cette atteinte incontestable aux droits de la défense ».

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement estime qu’il est inexact de soutenir que le conseil de discipline soit le seul garant de l’impartialité requise, étant donné qu’aucun des membres du conseil de classe n’était concerné en personne par l’affaire litigieuse. Pour le surplus, le fait que le conseil de classe ait jugé que les faits n’étaient pas suffisamment graves pour être portés devant le conseil de discipline aurait joué en faveur de la demanderesse, étant donné que le conseil de discipline aurait pu prononcer la sanction du renvoi définitif de l’établissement et refuser ce pouvoir d’appréciation au conseil de classe reviendrait à lui attribuer un simple rôle de transmission des affaires au conseil de discipline.

Finalement, le représentant étatique estime que la demanderesse n’a pu se méprendre sur la portée des faits lui reprochés au vu du contenu de la lettre de convocation du 8 octobre 2004 et au vu du fait qu’elle a été confrontée avec les faits lui reprochés à l’occasion d’une convocation par la direction en date du 15 novembre 2004 et lors des conseils de classe en date des 18 octobre et 22 novembre 2004.

La décision attaquée soulève en premier lieu la question de l’applicabilité de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme dans le cadre de la procédure disciplinaire menée à l’encontre de ….

Or, force est de constater que ledit article 6 ne s’applique qu’à une procédure permettant de décider d’une contestation sur « un droit ou une obligation de caractère civil » ou du bien-fondé d’une « accusation en matière pénale » et selon la jurisprudence de la Commission et de la Cour européenne des droits de l’homme, des poursuites disciplinaires ne conduisent pas d’ordinaire à une « contestation sur des droits à caractère civil ou à une décision sur une accusation pénale » (voir Cour européenne des droits de l’homme, arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 23 juin 1981, série A n° 43, page 19, § 42).

Si des poursuites disciplinaires peuvent être décisives pour un droit de caractère civil, par exemple le droit pour un médecin d’exercer la médecine, il convient cependant de retenir en l’espèce que la sanction de l’exclusion de tous les cours pour une durée de trois mois n’a aucune incidence directe sur l’exercice de la profession projetée par …, à savoir d’aide-

soignante, et ceci d’autant plus qu’elle n’était pas en classe terminale du lycée, de sorte que la preuve d’une incidence de la sanction prononcée à l’encontre de … sur des droits de caractère civil ne se trouve pas rapportée et relève du domaine de l’hypothétique.

Concernant la question de savoir si des poursuites disciplinaires concernent une accusation en matière pénale, la Cour européenne des droits de l’homme a défini trois critères, à savoir :

- le point de savoir si le texte définissant la sanction disciplinaire incriminé appartient, d’après la technique juridique de l’Etat défendeur, au droit pénal, au droit disciplinaire ou aux deux à la fois ;

- la nature même de l’infraction ;

- le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé, les sanctions avec privation de liberté pouvant indiquer qu’une « accusation pénale » est en jeu.

Or, en l’espèce, on ne saurait raisonnablement soutenir que les textes de droit interne en cause, à savoir l’article 42 de la loi de 2004 et les articles 34 à 37 du règlement de 1998, appartiennent au domaine du droit pénal en droit luxembourgeois. En effet, les infractions reprochées à … se limitent au milieu scolaire et au maintien de l’ordre dans un lycée et relèvent donc exclusivement du domaine disciplinaire. Pour le surplus, la sanction prononcée, à savoir l’exclusion de tous les cours pour une durée de trois mois ne concerne nullement le domaine pénal.

Partant, le tribunal arrive à la conclusion que la procédure litigieuse ne vise pas une contestation portant sur des droits de caractère civil ou une décision sur une accusation pénale, de sorte que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ne s’applique pas au cas d’espèce.

Il s’ensuit que le tribunal est amené à examiner la régularité de la procédure uniquement eu égard aux dispositions de droit interne applicables telles qu’inscrites dans la loi de 2004 et dans le règlement de 1998.

Concernant en premier lieu le reproche tiré de la non-saisine du conseil disciplinaire pour connaître des faits reprochés à la demanderesse, il convient de se référer à l’article 42 de la loi de 2004 intitulée « les mesures disciplinaires » et plus particulièrement au 4ième alinéa aux termes duquel :

« Les infractions susceptibles d’être sanctionnées par un renvoi définitif du lycée sont portées devant le conseil de discipline du lycée par le conseil de classe. Il s’agit des infractions suivantes :

– insulte grave, la menace, les voies de fait et les actes de violence commis à l’égard d’un membre de la communauté scolaire ; (…) ».

Il convient tout d’abord de retenir que c’est à juste titre que la directrice-adjointe du lycée a, suivant convocation du 15 novembre 2004, invité les titulaires des cours de la classe X2 AS 7 à participer au conseil de classe du 22 novembre 2004 pour statuer en matière disciplinaire à l’égard des élèves T.K. et …, étant donné que l’article 42 de la loi de 2004 ne prévoit pas de saisine directe du conseil de discipline qui peut uniquement être saisi par le conseil de classe.

S’il est exact que les infractions imputées à … sont susceptibles d’être sanctionnées par le renvoi définitif du lycée, le conseil de classe, en sa double qualité d’organe de saisine du conseil de discipline, d’une part, et d’organe susceptible de prononcer directement une mesure disciplinaire, d’autre part, a pu décider de ne pas devoir transmettre ladite affaire devant le conseil de discipline en estimant que les faits reprochés ne méritent pas une sanction disciplinaire supérieure à trois mois d’exclusion de tous les cours. En effet, admettre que le conseil de classe doive communiquer automatiquement les infractions susceptibles d’être sanctionnées par un renvoi définitif devant le conseil de discipline conduirait, comme l’a relevé à juste titre le délégué du gouvernement, à le cantonner dans un simple rôle de transmission automatique desdites affaires au conseil de discipline, intervention qui serait dès lors superflue et aboutirait à nier le pouvoir d’appréciation se dégageant pourtant clairement de l’article 42 de la loi de 2004.

Pour le surplus, il échet encore de noter que la décision du conseil de classe de ne pas transmettre le dossier devant le conseil de discipline a été favorable à …, la mesure susceptible d’être prononcée à son encontre ne pouvant dépasser trois mois d’exclusion de tous les cours.

Dans ce contexte, le reproche que le conseil de classe ne serait pas impartial est dénué de tout fondement. En effet, ledit conseil de classe se compose, aux termes de l’article 20 de la loi de 2004, du directeur du lycée et de tous les titulaires des cours qui figurent au programme de la classe, et lesdits membres n’étaient en l’espèce aucunement concernés par les faits reprochés à la demanderesse qui visaient exclusivement une autre élève du lycée et non pas un titulaire d’un cours, étant ajouté qu’aucun indice d’un comportement ou d’une attitude partiale n’a été allégué et, a fortiori, établi en cause.

Concernant ensuite le déroulement de la procédure disciplinaire menée à l’encontre de … et les reproches tirés d’une instruction défaillante en ce qu’elle n’aurait pas pu obtenir un dossier complet avant la tenue du conseil de classe, qu’elle n’aurait pu interroger des témoins et mener son instruction comme bon lui semble et que la convocation aurait été rédigée dans des termes trop généraux la privant d’une information utile concernant les préventions libellées à sa charge, il y a lieu de relever en premier lieu que, ni la loi de 2004, ni le règlement de 1999 ne contiennent des dispositions spécifiques visant l’instruction des affaires disciplinaires avant la saisine de l’organe compétent pour se prononcer sur une mesure disciplinaire.

Il s’ensuit que le tribunal est amené à examiner in globo si les différentes étapes procédurales de l’affaire en cause ont permis à … d’assurer utilement sa défense.

Il convient de noter en premier lieu que par courrier du 8 octobre 2004, la demanderesse a été convoquée à une réunion du conseil de classe pour le 18 octobre 2004, la convocation précisant que … était suspectée d’avoir commis des insultes graves, menaces et actes de violence morale à l’égard de J. S.. Lors de la réunion du conseil de classe du 18 octobre 2004, … a été confrontée avec le détail des faits lui reprochés. Face aux contestations de …, la direction du lycée a dressé un rapport relatant les entretiens avec divers élèves de la classe X2 AS 7. Il ressort de la deuxième convocation devant le conseil de classe du 10 novembre 2004 que la demanderesse à une nouvelle fois été informée des infractions disciplinaires libellées à son encontre. Pour le surplus, en date du 15 novembre 2004, … a été confrontée aux dépositions contenues dans le rapport retraçant les entretiens avec les élèves de la classe X2 AS 7. Finalement, lors de la réunion du conseil de classe du 22 novembre 2004, … a été confrontée une ultime fois aux accusations et quatre élèves ont été entendus, de même qu’elle a été confrontée à la victime J. S., avant que le conseil de classe ne prononce la sanction disciplinaire de l’exclusion de tous les cours pendant une durée de trois mois avec effet immédiat.

Au vu du déroulement de cette procédure, qui c’est étalée sur six semaines, le tribunal arrive à la conclusion que les droits de la défense de … n’ont pas été violés et que cette dernière a pu utilement préparer et assurer sa défense.

En effet, même si les deux lettres de convocation devant le conseil de classe sont rédigés en des termes relativement généraux, la demanderesse avait néanmoins été informée de façon détaillée des faits lui reprochés, notamment lors du premier conseil de classe du 18 octobre 2004, au moment de son entretien avec la directrice adjointe le 15 novembre 2004 et lors du deuxième conseil de classe le 22 novembre 2004.

S’il est par ailleurs exact que l’identité des élèves qui ont fait les dépositions consignées dans le rapport du 25 octobre 2004 n’a pas été révélée à la demanderesse avant la tenue du conseil de classe en date du 22 novembre 2004, le souci de discrétion de la direction du lycée est cependant compréhensible, étant donné que, d’une part, l’instruction a relevé que la demanderesse avait tenté d’intimider différents témoins, et que, d’autre part, le contenu dudit rapport et des dépositions des quatre élèves entendus en date du 22 novembre 2004 a pu être discuté contradictoirement. A cela s’ajoute qu’en date du 15 novembre 2004, … avait la possibilité de réagir face aux accusations de ses camarades de classe contenues dans le rapport du 25 octobre 2004, mais qu’elle a préféré ne rien dire à ce sujet, de sorte que le tribunal est amené à retenir que la demanderesse avait la possibilité de réagir, déjà avant la tenue du conseil de classe du 22 novembre 2004, à l’intégralité des accusations ressortant du dossier, ce qu’elle a cependant refusé de faire.

Partant, le tribunal arrive à la conclusion que l’instruction disciplinaire menée à l’encontre de … ne l’a pas privée de la possibilité de préparer utilement sa défense et que la procédure ayant aboutie à la décision du conseil de classe du 22 novembre 2004 n’a pas violé ses droits de la défense.

Il s’ensuit que le recours à l’encontre de la décision ministérielle du 14 décembre 2004 est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare cependant non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 27 juin 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19137
Date de la décision : 27/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-27;19137 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award