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20/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19824

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 juin 2005, 19824


Numéro 19824 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mai 2005 Audience publique du 20 juin 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19824 du rôle, déposée le 18 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Roland MICHEL, avocat à la Cour, in

scrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Makua...

Numéro 19824 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mai 2005 Audience publique du 20 juin 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19824 du rôle, déposée le 18 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Roland MICHEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Makua Village (Somalie), de nationalité somalienne, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 11 avril 2005 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 mai 2005;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2005 par Maître Roland MICHEL pour compte de Monsieur …;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Virginie ADLOFF, en remplacement de Maître Roland MICHEL, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 juin 2005.

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Le 30 mars 2004, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur ABO fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en dates des 19 juillet et 3 août 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par décision du 11 avril 2005, notifiée le 18 avril 2005, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du même jour et les rapports d’audition du 19 juillet et 3 août 2004.

Il ressort du rapport de Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté la Somalie par bateau le 20 février 2004, pour arriver dans un endroit inconnu en Europe à partir duquel on vous aurait conduit au Luxembourg en voiture.

Il résulte de vos déclarations qu’en 2001 vous seriez revenu de la ferme et à l’entrée du village vous auriez vu des gens en train de crier et de vous conseiller de vous enfuir. Vous auriez alors attendu le calme et vous seriez allé voir votre famille. Vous auriez découvert votre mère décédée, elle aurait été tuée. Votre sœur et votre femme auraient été blessées, elles seraient décédées les jours suivants. Votre épouse aurait été violée. Au moment où vous auriez tenté d’aider votre sœur encore vivante, on vous aurait tiré dans le dos et vous vous seriez évanoui. Au réveil, vous auriez été entouré de personnes en train de vous retirer la balle du dos.

Trois ans plus tard, vous vous seriez converti de la religion musulmane à la religion chrétienne grâce à des prêcheurs venus dans votre village. Les autres villageois n’aimant pas les chrétiens se seraient fâchés, ils auraient utilisé de la magie noire contre vous et auraient brûlé votre maison. Vous seriez allé de ce fait retrouver un prêtre dénommé Thomson à Kismayo. Il vous aurait conseillé de quitter le pays car votre vie serait en danger en raison de votre changement de religion.

De cette façon, après présentation à un homme blanc vous seriez monté à bord d’un bateau pour vous exiler.

Vous déclarez craindre les habitants de votre village, de même que la crise politique qui sévirait en Somalie.

Vous précisez qu’il n’y aurait aucune police dans votre pays.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique, cependant vous seriez sympathisant du parti « somalia national front », qui serait un parti majoritaire et très puissant en Somalie. Vous n’auriez fait face à aucun problème personnel en raison de cette sympathie.

Tout d’abord, il convient de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Ensuite, force est de constater qu’aucune preuve n’est apportée pour corroborer les faits allégués, et de toute façon, à supposer ces faits établis, ils ne sauraient, en eux-mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, §2 de la Convention de Genève. En l’espèce, la crise politique et les exactions commises qui en découlent constituent un climat d’insécurité générale et non des actes personnels de persécution. En effet, lors de l’audition vous dites que des membres de votre famille sont morts mais que ce n’était pas personnel « it wasn’t personal » (p.9). Les personnes responsables de ces actes, ces rebelles, ne sauraient être assimilées à des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Il en est de même pour les habitants de votre village.

De plus, le simple fait d’avoir changé de religion ne saurait à lui seul fonder une demande en obtention du statut de réfugié. Surtout que votre crainte concerne et se limite à votre village. Il vous aurait donc été possible de vous installer ailleurs, notamment à Kismayo où se trouve le prêtre que vous connaissiez, et en conséquence bénéficier d’une fuite interne. Cet aspect est pris en compte dans la reconnaissance du statut de réfugié. Il convient d’ailleurs de remarquer que vous appartenez à l’ethnie majoritaire de la Somalie, de même qu’à un parti politique très puissant, selon vos propres allégations, de sorte qu’aucun obstacle ne s’oppose à une délocalisation.

Enfin, notons l’évolution de la situation en Somalie avec l’investiture d’un nouveau président de transition en octobre 2004. Le Conseil de sécurité salue les progrès accomplis depuis lors dans le processus de réconciliation nationale, de même que les efforts du Bureau politique des Nations Unies pour la Somalie dans l’appui apporté au gouvernement fédéral de transition pour l’application des accords arrêtés à la conférence de réconciliation nationale et dans l’instauration de paix. Par ailleurs, un renforcement de la présence de l’ONU est prévu, celui-ci se traduira par l’augmentation des effectifs du Bureau politique des Nations Unies dans les domaines notamment de relations politiques et militaires, de la police civile et du désarmement.

Ainsi, une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social n’est établie, vous n’alléguez aucune crainte qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 18 mai 2005, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de cette décision ministérielle du 11 avril 2005.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

Le demandeur reproche d’abord au ministre le non-respect de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 concernant la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes et de l’article 12 de la loi prévisée du 3 avril 1996 en ce que la décision critiquée ne comporterait qu’une motivation stéréotype.

Le demandeur est cependant malvenu de critiquer la motivation de la décision litigieuse, étant donné, d’une part, que la décision ministérielle du 11 avril 2005 énonce clairement et exhaustivement les motifs à la base du rejet de la demande d’asile du demandeur et, d’autre part, que le demandeur reste en défaut de faire valoir un quelconque élément de nature à préciser le caractère lacuneux de ladite motivation.

Quant au fond de sa demande d’asile, le demandeur expose que sa famille aurait été massacrée par des rebelles lors d’émeutes dans son village, qu’il aurait abandonné la religion musulmane pour adopter la foi chrétienne et que ses voisins, n’ayant « guère apprécié sa conversion », l’auraient menacé et intimidé avec de la magie noire et auraient même brûlé sa maison. Il estime que les habitants de son village devraient être qualifiés d’agents de persécution au sens de la Convention de Genève et que l’existence d’une possibilité de fuite interne ne saurait être retenue dans son chef en renvoyant à l’insécurité existant en Somalie qui ne le mettrait pas à l’abri d’être persécuté dans une autre région. Il affirme que, malgré la continuation des négociations de paix, la Somalie continuerait à être marquée par la poursuite des affrontements entre les différentes factions partiellement en violation d’accords de cessez-

le-feu, que des milliers de personnes continueraient à fuir les combats et qu’après 12 années de conflits internes, il lui serait impossible de faire foi à un gouvernement de transition incapable d’assurer la stabilité et la sécurité du pays.

Le représentant étatique soutient que le ministre compétent aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Le demandeur renvoie en termes de réplique aux événements récents concernant la Somalie et plus particulièrement aux problèmes pour fixer le siège du gouvernement de transition, par ailleurs formé dans la capitale kenyane de Nairobi, lesquels auraient abouti notamment en mars 2005 à des affrontements physiques entre politiciens somaliens réunis à Nairobi et à des combats dans l’une des villes somaliennes en lisse pour accueillir le gouvernement de transition. Le demandeur ajoute que même l’envoi de troupes de maintien de la paix par l’Union Africaine serait affecté par la situation sécuritaire, de manière que les rebelles ne seraient pas un groupe minoritaire d’agitateurs, mais une force politique réelle. Le demandeur argue finalement que la sorcellerie ferait partie du quotidien en Afrique et qu’elle serait donc de nature à susciter des craintes réelles.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2004, v° Recours en réformation, n° 12).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions respectives en dates des 19 juillet et 3 août 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

D’abord, il faut relever que l’assassinat en 2001 de membres de la famille du demandeur par des rebelles remonte trop loin dans le temps pour pouvoir être pris en considération dans le cadre de l’appréciation d’une crainte actuelle de persécution dans le chef du demandeur.

Ensuite, même en admettant la réalité des persécutions invoquées par le demandeur du fait de son changement de religion, force est de constater que ces dernières se limitent à son village d’origine et que le demandeur ne fait état d’aucune circonstance qui l’empêcherait de s’installer dans une autre partie de son pays d’origine afin d’échapper à ces persécutions. En effet, la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, v° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Ensuite, quant au renvoi par le demandeur à la situation générale dans son pays d’origine pour dénier l’existence d’une possibilité de fuite interne, il convient de constater que l’instabilité rémanente en Somalie n’est pas à elle seule une cause suffisante pour fonder une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève et que le demandeur n’établit pas un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans l’ensemble de son pays d’origine, de manière que les craintes par lui avancées s’analysent en substance en un sentiment général de peur insuffisant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 20 juin 2005 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19824
Date de la décision : 20/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-20;19824 ?

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