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20/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19511

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 juin 2005, 19511


Tribunal administratif Numéro 19511 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mars 2005 Audience publique du 20 juin 2005 Recours formé par Madame … et consorts, …, contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19511 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2005 par Maître Pascale HANSEN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Madame …-…, née le … (Kosovo), de M

onsieur …, né le … (Macédonie) et de Mademoiselle …, née le … (Macédoine), tous de nationali...

Tribunal administratif Numéro 19511 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mars 2005 Audience publique du 20 juin 2005 Recours formé par Madame … et consorts, …, contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19511 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2005 par Maître Pascale HANSEN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Madame …-…, née le … (Kosovo), de Monsieur …, né le … (Macédonie) et de Mademoiselle …, née le … (Macédoine), tous de nationalité macédonienne, demeurant actuellement à L- … , tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration intervenue le 15 décembre 2004, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 21 février 2005 suite à un recours gracieux introduit en date du 28 janvier 2005 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES s’étant rapportée au mémoire de l’Etat à l’audience publique du 13 juin 2005.

Le 17 septembre 2004, Madame …-…, Monsieur … et Mademoiselle …, dénommés ci-

après les « consorts … », introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date des 22 et 25 octobre 2004, les consorts … furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur leurs motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 15 décembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Skopje/Macédoine le 14 septembre 2004 pour aller en taxi à Dragas/Kosovo. De là, vous auriez pris place dans une camionnette et vous seriez venus au Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre trajet.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 17 septembre 2003.

Vous dites appartenir à la minorité goranaise.

Madame, vous exposez avoir vécu au Kosovo jusque fin 1999, date à laquelle vous vous seriez établie en Macédoine. Votre mari serait restée au Kosovo et il aurait disparu.

Vous dites que la vie ne serait pas sûre en Macédoine, qu’il y aurait régulièrement des meurtres. Vous auriez ouvert un restaurant à Skopje et un de vos clients vous aurait téléphoné à plusieurs reprises pour que vous deveniez sa maîtresse. Vous pensez que cet homme appartient à la mafia car il voulait que vous fermiez votre restaurant. D’après vous, ce harcèlement serait dû à vos origines goranaises. Vous ajoutez que le Kosovo ne serait pas une région sûre.

Vous, Monsieur, vous n’auriez pas fait votre service militaire. Vous auriez été convoqué mais vous n’y seriez pas allé ; en effet, vous feriez de la dépression et vous seriez sous médicaments. Cette insoumission n’aurait pas entraîné de poursuites. Vous exposez que les droits de l’homme seraient bafoués en Macédoine, qu’il y règnerait un climat de haine vis-

à-vis des Goranais. Les Albanais vous reprocheraient de mal parler leur langue. Les Macédoniens ne vous aimeraient pas non plus. Vous auriez même subi des provocations dans votre restaurant. Ainsi, pour une petite erreur, un client vous aurait jeté un cendrier à la tête.

Quant au Kosovo, où vous auriez vécu jusqu’en 1999, vous ne voulez pas y retourner. La situation y serait difficile pour les Goranais et votre maison aurait été détruite par les Albanais.

Vous, Mademoiselle, vous dites avoir des problèmes parce que vous ne parlez pas l’Albanais. Vous auriez été menacée et insultée par les Albanais de votre quartier parce que vous êtes Goranaise. Vous n’auriez pas osé circuler librement. Vous confirmez aussi la destruction de la maison familiale au Kosovo.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentifs au fait que, pour invoquer l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate d’abord que n’avez ni l’un ni l’autre subi de persécutions caractérisées mais que vous invoquez surtout l’insécurité du fait de votre appartenance à la minorité goranaise. Cependant, l’appartenance à une minorité n’entraîne pas d’office le statut de réfugié. Les Albanais, qu’ils soient des clients de votre restaurant, des voisins ou des inconnus, ne sauraient être assimilés à des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Le harcèlement que vous fait subir celui qui voudrait faire de vous sa maîtresse est condamnable et pourrait faire l’objet d’une action en justice, mais il s’agit d’un problème d’ordre privé.

Le fait que les Goranais se sentent rejetés tant par les Macédoniens que par les Albanais dénote davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution.

En ce qui concerne la Macédoine, depuis les élections de septembre 2002, la situation politique s’y est stabilisée. Le Country Report on Human Rights Practices de 2003 qualifie la Macédoine de démocratie parlementaire à représentation multi-ethnique et dont le président est élu au suffrage universel. L’international Religious Freedom Report 2004 ne fait état d’aucune discrimination vis-à-vis des musulmans. De ce fait, la Macédoine ne saurait être considérée comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 28 janvier 2005, les consorts … formulèrent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration à l’encontre de cette décision ministérielle.

Le 21 février 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale, « faute d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 21 mars 2005, les consorts … ont introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 15 décembre 2004 et 21 février 2005.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les consorts … exposent être ressortissants de la Macédoine, de religion musulmane et appartenir à la minorité des « Goranais ». Ils soutiennent avoir quitté leur pays en raison de « leur origine ethnique objet de nombreuses discriminations ». Ils précisent à ce sujet que Madame …-… aurait été harcelée par un inconnu désirant qu’elle devienne sa maîtresse, qu’en raison de son refus, l’inconnu l’aurait menacée et la police, qui aurait été contactée, n’aurait rien entrepris. Monsieur … aurait également été agressé à deux reprises et Mademoiselle Elida … aurait été menacée d’être kidnappée par des inconnus.

En substance, ils reprochent au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant la crainte exprimée par les demandeurs d’actes de persécutions de la part des Macédoniens à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité des « Goranais », force est de constater que la situation générale des membres de minorités ethniques, en l’espèce celle des Goranais, n’est pas telle que tout membre de cette minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève.

Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs risquent de subir des persécutions.

Si les demandeurs font certes état d’un certain nombre de problèmes qu’ils rencontrent dans la vie de tous les jours et des discriminations par eux subis, force est cependant de retenir que les faits par eux avancés, non documentés en cause par des éléments tangibles, ne sont pas d’une gravité suffisante pour constituer des actes de persécutions au sens de la Convention de Genève. A cela s’ajoute que les problèmes mis en avant par les demandeurs émanent de personnes privés et non pas de l’Etat, de sorte qu’il appartient aux demandeurs de mettre suffisamment en évidence un défaut de protection de la part des autorités, preuve qu’ils n’ont pas rapportée en l’espèce, étant entendu qu’ils n’ont pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection dans leur chef de la part des autorités en place.

De tout de ce qui précède, il résulte que les craintes dont les demandeurs font état s’analysent en substance en un sentiment général d’insécurité lequel ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 juin 2005 par :

Mme Lamesch, juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lamesch 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19511
Date de la décision : 20/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-20;19511 ?

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