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20/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19224

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 juin 2005, 19224


Tribunal administratif N° 19224 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 janvier 2005 Audience publique du 20 juin 2005 Recours formé par 1) Madame … 2) Monsieur … 3) Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19224 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 janvier 2005 par Maître Laurent NIEDNER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de 1) Madame …, …

, de nationalité russe, demeurant à … (Russie), …, 2) Monsieur …, …. , de nationalité italie...

Tribunal administratif N° 19224 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 janvier 2005 Audience publique du 20 juin 2005 Recours formé par 1) Madame … 2) Monsieur … 3) Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19224 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 janvier 2005 par Maître Laurent NIEDNER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de 1) Madame …, …, de nationalité russe, demeurant à … (Russie), …, 2) Monsieur …, …. , de nationalité italienne, demeurant à L-… et son épouse, 3) Madame …, de nationalité russe, demeurant à la même adresse, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 27 décembre 2004 refusant de faire droit à la demande introduite par Monsieur … en faveur de sa belle-mère, Madame … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 avril 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Laurent NIEDNER et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 juin 2005.

Par courrier du 20 septembre 2004, Monsieur … et son épouse, Madame …, s’adressèrent au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration pour solliciter un permis de séjour pour la mère de Madame …, Madame …, au motif qu’ils auraient besoin de son aide pour élever et garder leurs deux enfants en bas âge. Ils indiquèrent en outre être déposés à prendre en charge les frais de séjour de Madame … et de l’assurer auprès d’une caisse de maladie pour toute la durée de son séjour. Cette demande fut complétée par l’acte de naissance de Madame …, l’acte de décès de son père, ainsi que par une pièce relative à la pension perçue par Madame … et le cours actuel du rouble face à l’euro.

Par décision du 27 décembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration refusa de faire droit à la demande lui adressée sur base des considérations suivantes :

« Selon le certificat établi par « La direction de la défense sociale de la population ; l’administration de la ville Berezniki » du 27 septembre 2004, votre belle-

mère perçoit une pension lui permettant de garantir son entretien en Russie. Ainsi, il n’existe aucun lien de dépendance financière entre vous et votre belle-mère.

En outre, une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis permettant à l’étranger de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir. Or, votre belle-mère ne remplit pas cette condition. Il est en effet peu probable que les moyens financiers qu’elle touche en Russie soient suffisants pour supporter ses frais de séjour au Luxembourg.

Donc, en application de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers, une autorisation de séjour ne saurait être délivrée à votre belle-mère. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 janvier 2005, les époux …-… et Madame …, ci-après signés par « les consorts … », ont fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prérelatée du 27 décembre 2004.

Le délégué du Gouvernement conclut d’abord à l’irrecevabilité du recours pour libellé obscur en faisant valoir que la requête introductive serait libellée de façon trop imprécise pour y prendre utilement position.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir que la décision déférée leur causerait torts et griefs puisqu’elle serait contre nature et empêcherait l’organisation de leur vie familiale comme ils l’entendent. Ils relèvent plus particulièrement que leurs enfants et respectivement petits-enfants, russophones, devraient pouvoir être gardés par une personne de confiance en l’absence des parents et ce de préférence par un proche qui serait à même de leur parler et de les comprendre.

En ce qui concerne l’absence de moyens personnels, les demandeurs concluent au caractère abusif et manifestement erroné de la décision litigieuse pour ne reposer sur aucun motif admissible, étant entendu que les époux …-… seraient disposés à pourvoir à tous les besoins de Madame … et y seraient même légalement tenus si jamais elle tombait dans le besoin par application des dispositions des articles 205 et 206 du code civil. Ils concluent partant à une violation par la décision déférée de leurs droits fondamentaux tels qu’ils seraient garantis par la Constitution, la Convention européenne des droits de l’homme et les textes de doit européen.

Encore que la requête introductive d’instance n’est pas des plus explicites, elle permet néanmoins de dégager avec une précision suffisante le reproche tant en droit qu’en fait libellé à l’encontre de la décision litigieuse, ceci compte tenu notamment des pièces versées en cause. Les demandeurs, à travers leur demande adressée initialement au ministre, ayant en effet clairement introduit une demande en autorisation de séjour au titre du regroupement familial, leurs moyens sont à entrevoir sur cette toile de fond et permettent de dégager qu’ils considèrent le refus leur opposé comme étant manifestement disproportionné par rapport aux faits de l’espèce et comme opérant une atteinte injustifiée à leur droit du respect à la vie familiale et privée telle que protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le moyen d’irrecevabilité pour cause de libellé obscur laisse d’être fondé.

Aucun recours au fond n’étant prévu en la matière, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours en annulation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond le représentant étatique estime que la décision faisant l’objet du recours serait motivée à suffisance de droit et de fait, étant donné que la rente que l’intéressée touche en Russie, s’élevant à environ 1800 roubles par mois, ne serait pas de nature à lui permettre d’assurer ses frais de séjour au Grand-Duché de Luxembourg, de sorte que le ministre aurait valablement pu se baser sur l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère pour lui refuser l’autorisation de séjour en raison d’un défaut de moyens d’existence personnels suffisants. Il relève qu’à cet égard une prise en charge signée par un membre de la famille ne serait pas à prendre en considération.

Quant à la considération avancée par les demandeurs que c’est en vue de s’occuper des enfants des époux …-… que l’intéressée se proposerait de venir au pays, le délégué du Gouvernement relève que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration avait été saisi d’une demande de permis de travail afférente, mais que celle-ci avait été rejetée en date du 14 avril 2005.

Concernant finalement l’allégation d’une ingérence injustifiée dans la vie familiale des demandeurs, le représentant étatique précise que Madame … n’a jusque alors pas habité auprès de sa fille, de son beau-fils et de ses petits enfants et que c’était précisément pour venir les rejoindre qu’elle a demandé l’autorisation de séjour, de sorte que le ministre ne saurait se voir reprocher d’avoir mis fin à une vie familiale commune en l’espèce.

L’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, en disposant que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : - qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour », énonce non pas positivement les conditions à remplir par les ressortissants étrangers désirant obtenir une autorisation de séjour, mais se résume à l’énonciation limitative de motifs de refus d’entrée et de séjour.

Ledit article 2 accorde ainsi au ministre la possibilité de refuser l’entrée et le séjour à un étranger pour les motifs y énoncés, étant entendu que l’exercice de cette possibilité ne saurait être que facultatif pour le ministre.

En application de l’article 2 prérelaté de la loi modifiée du 28 mars 1972, l’octroi d’un permis de séjour peut être refusé lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers1.

Compte tenu cependant du caractère modique des revenus de Madame …, que le ministre a raisonnablement pu considérer comme étant insuffisants pour couvrir les frais de séjour de l’intéressée au pays, la décision litigieuse s’inscrit dans les prévisions de l’article 2 prérelaté de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée en ce sens qu’il existait en l’espèce une possibilité de refuser l’entrée et le séjour à l’intéressée pour défaut de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, étant entendu que les revenus du couple …-… ne sont pas à considérer comme étant personnels à Madame ….

Il reste dès lors à examiner le moyen des demandeurs basé sur une violation alléguée de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et de vérifier si le ministre, lors de l’exercice de la faculté lui accordée par la loi nationale de refuser l’autorisation de séjour à l’intéressée, a enfreint la disposition internationale ainsi invoquée.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que:

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure 1 cf. trib. adm. 17 février 1997, n° 9669 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 146 et autres références y citées qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Sans remettre en cause la compétence de principe de chaque Etat de prendre des mesures en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, l’article 8 implique que l’autorité étatique investie du pouvoir de décision en la matière n’est pas investie d’un pouvoir discrétionnaire, mais qu’en exerçant ledit pouvoir, elle doit tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées.

Toutefois, la garantie du respect de la vie privée et familiale comporte des limites, en ce qu’elle suppose d’abord l’existence d’une vie familiale au sens de la disposition de droit international concernée, en l’occurrence une vie familiale qui doit, en tout cas, être préexistante et effective, ainsi que caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres.

Dans ce contexte, il y a lieu de relever que conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière, un droit au regroupement familial ne découle pas directement de la Convention1.

En l’espèce, le ministre fut confronté au cas d’une personne adulte, sollicitant un regroupement familial par rapport à sa famille d’origine établie au Grand-Duché de Luxembourg.

Force est d’abord de constater que la vie familiale alléguée a été rompue par le départ volontaire de Madame … de Russie pour venir s’établir sans sa mère au Grand-

Duché de Luxembourg, de sorte que cette rupture n’est pas imputable au fait de l’Etat luxembourgeois.

Force est encore de constater que même à admettre l’existence de liens affectifs entre les demandeurs, alléguée pour justifier la venue de Madame … au Grand-Duché de Luxembourg, il n’en demeure cependant pas moins que ces liens s’analysent en des liens affectifs normaux, caractérisant d’une manière générale les rapports entre une grande-

mère et ses descendants et sont de ce fait insuffisants en tant que tels pour valoir l’admission au bénéfice de la protection prévue pour l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

En effet, concernant plus particulièrement l’hypothèse de personnes adultes désireuses de venir rejoindre leur famille, même nucléaire, dans son pays d’accueil, elles ne sauraient être admises au bénéfice de la protection de l’article 8 que lorsqu’il existe des éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux2.

1 F. Jault-Seske, Le regroupement familial en droit comparé français et allemand, L.G.D.J. bibliothèque de droit privé, tome 265, p. 21 2 Revue trimestrielle des droits de l’homme (60/2004) p. 930 Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent que face au pouvoir souverain de l’Etat de déterminer les conditions d’accès à son territoire et en l’absence de droit au regroupement familial revendiqué sur base d’un texte de loi national ou international applicable aux demandeurs, le ministre a valablement pu refuser le droit de séjour à Madame … sans se heurter aux dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 juin 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20.6.2005 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19224
Date de la décision : 20/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-20;19224 ?

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