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20/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19204

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 juin 2005, 19204


Tribunal administratif N° 19204 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 janvier 2005 Audience publique du 20 juin 2005

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Recours formé par Monsieur … et Madame …, …, contre deux décisions prises par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19204 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 janvier 2005 par MaÃ

®tre Rachel JAZBINSEK, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au no...

Tribunal administratif N° 19204 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 janvier 2005 Audience publique du 20 juin 2005

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Recours formé par Monsieur … et Madame …, …, contre deux décisions prises par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19204 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 janvier 2005 par Maître Rachel JAZBINSEK, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Brésil), et de son épouse, Madame …, née le … (Brésil), tous les deux de nationalité brésilienne, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 2 juillet 2004 par laquelle la délivrance d’une autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg en faveur de Monsieur … a été refusée, ainsi que d’une décision confirmative de refus du même ministre du 22 octobre 2004, prise suite à un recours gracieux introduit en date du 31 août 2004 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 avril 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Entendu le juge rapporteur en son rapport à l’audience publique du 13 juin 2005 en présence de Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES qui s’est référée au mémoire écrit de la partie publique.

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Suite à une demande introduite par Madame …, tendant à l’octroi d’un permis de séjour pour le Grand-Duché de Luxembourg en faveur de son époux, Monsieur …, le ministre de la Justice, par décision du 2 juillet 2004, refusa de faire droit à ladite demande aux motifs qu’« un arrêté de refus d’entrée et de séjour a été pris à son encontre en date du 11 mars 2003, lui notifié le 4 avril 2003 et que l’intéressé est signalé au SIS comme étranger non admissible », la décision continuant comme suit : « Par ailleurs, vous ne disposez pas de moyens d’existence personnels suffisants pour assurer les frais de séjour de votre couple. Au cas où Monsieur … séjournerait au pays, il est invité à quitter le Luxembourg sans délai, sinon un éloignement forcé sera envisagé (…) ».

Le 31 août 2004, le mandataire des époux … fit introduire un recours gracieux en insistant sur le fait que les époux … formeraient un « couple stable et solide » et qu’ils disposeraient des moyens personnels d’existence suffisants pour assurer leur séjour au Luxembourg.

Par courrier daté du 22 octobre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration les informa, qu’après réexamen de leur dossier, il est au regret de ne pas pouvoir rapporter l’arrêté de refus d’entrée et de séjour pris à l’encontre de Monsieur … en date du 11 mars 2003, à défaut d’éléments pertinents nouveaux.

Le 21 janvier 2005, les époux … ont fait introduire un recours en réformation sinon en annulation contre les décisions ministérielles de refus précitées des 2 juillet et 22 octobre 2004.

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

Le recours subsidiaire en annulation, non autrement contesté sous ce rapport, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs concluent à l’annulation des décisions ministérielles litigieuses au motif que le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation des faits en concluant qu’ils ne disposeraient pas de moyens d’existence personnels légalement acquis, alors qu’au contraire ils seraient à même de subvenir à leurs besoins par leurs propres moyens, dans la mesure où ils disposeraient d’un logement adéquat, que Madame … aurait conclu un contrat de travail à durée indéterminée et qu’elle aurait signé une déclaration de prise en charge de son conjoint. Par ailleurs, Monsieur … aurait « deux projets professionnels l’un dans la restauration l’autre dans une troupe de danse qui seront concrétisés dès l’obtention des papiers ».

Enfin, ils font valoir que les décisions se heurteraient à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, au motif qu’elles impliqueraient la rupture de leur vie familiale. Ils précisent à cet effet, qu’ils formeraient un couple depuis presque trois ans, que cette union a été officialisée par leur mariage au Brésil en date du 22 janvier 2004 et que Madame … serait actuellement enceinte.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du Gouvernement rétorque que ce serait à bon droit que le ministre aurait refusé d’accorder une autorisation de séjour à Monsieur … étant donné qu’au vœu de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-

d’œuvre étrangère, une autorisation de séjour peut être refusée si le demandeur ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. Il relève à ce titre qu’aucun des deux époux ne serait titulaire d’un permis de travail, de sorte que les époux … ne pourraient légalement s’adonner à un travail au pays et que même si Madame … aurait conclu un contrat de travail en date du 1er février 2004, cette dernière ne serait plus affiliée à la Sécurité Sociale par son employeur depuis le 3 mars 2004.

Quant à l’atteinte à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, consacrant le droit au respect de la vie familiale, selon le représentant étatique, il faudrait d’abord pour qu’il y ait ingérence au sens de l’article 8, l’existence d’une vie familiale effective et l’impossibilité pour les intéressés de s’installer et mener une vie familiale normale dans un autre pays. Ainsi, dans le contexte d’un regroupement familiale, la vie familiale doit exister avant l’immigration. Or, en l’espèce, tel ne serait pas le cas, dans la mesure où la célébration du mariage au Brésil a eu lieu postérieurement à la décision de refus d’entrée et de séjour du 11 mars 2003.

Aux termes de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger :

- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

En l’espèce, Monsieur … n’est pas titulaire d’un permis de travail, de sorte qu’il n’est pas autorisé à s’adonner à une activité salariée au Luxembourg, la simple expectative d’un travail, aussi longtemps que le ministre compétent n’a pas délivré d’autorisation de travail, étant à elle seule insuffisante pour documenter qu’il dispose de moyens personnels suffisants susceptibles de lui permettre de subvenir à ses besoins de subsistance au pays.

Il est en revanche constant que les demandeurs se sont mariés le 22 janvier 2004 au Brésil de sorte que Monsieur … ne doit pas personnellement disposer de moyens suffisants mais il peut prendre appui sur les revenus de son épouse, étant donné qu’il appartient aussi bien à l’épouse qu’à l’époux d’assurer la direction matérielle de la famille et de contribuer aux charges du mariage (voir trib. adm. 21 mai 2003, n° 15727, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 149, p.227).

Cependant, il ne suffit pas de se prévaloir de manière abstraite des revenus touchés par son épouse, mais de rapporter la preuve, pièces à l’appui, que celle-ci dispose de moyens suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour du demandeur.

Or en l’espèce, l’affirmation afférente de la demanderesse est basée sur la seule production d’un contrat de travail, dont il n’est pas certain qu’il a été suivi d’effet, surtout en présence des affirmations du délégué du Gouvernement qu’elle ne travaillerait plus et qu’elle ne serait plus affiliée auprès des organismes de sécurité sociale, la demanderesse ne disposant par ailleurs pas d’un permis de travail. La demanderesse n’a en outre pas pris position par rapport à l’argumentation développée par le délégué du Gouvernement et elle n’a versé aucune pièce documentant qu’elle perçoit des revenus légalement touchés. Ainsi, l’affirmation quant à l’existence de moyens personnels suffisants n’étant supportée par aucune pièce, la décision de refus de séjour est motivée à suffisance par le seul constat de l’absence de moyens personnels.

Si le refus ministériel se trouve dès lors, en principe, justifié à suffisance de droit par ledit motif, il convient cependant encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par les demandeurs et tiré de la violation de leur droit au respect de leur vie familiale.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont font état les demandeurs pour conclure dans leur chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 CEDH rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

En effet, la garantie du respect de la vie privée et familiale comporte des limites en ce qu’elle suppose d’abord l’existence d’une vie familiale au sens de la disposition de droit international concernée, en l’occurrence une vie familiale qui doit, en tout cas, être préexistante et effective, ainsi que caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres.

Dans ce contexte, il y a lieu de relever que l’article 8 CEDH n’entraîne pas une obligation positive dans le chef des Etats à admettre l’étranger sur son territoire.

En effet, il n’existe en droit luxembourgeois aucune obligation d’accepter l’installation sur son territoire du conjoint. Il ne saurait en être autrement que si les demandeurs font état d’obstacles ou inconvénients majeurs se heurtant à un autre lieu d’installation. 1 En l’espèce, il échet tout d’abord de relever qu’il n’est ni allégué ni établi qu’une vie familiale effective ait existé entre Madame … et Monsieur … antérieurement à leur arrivée au Grand-Duché de Luxembourg et les demandeurs n’ont pas non plus apporté le moindre élément concret duquel il se dégage qu’une vie familiale effective se soit constituée entre eux après leur arrivée au Luxembourg. Le seul élément concret dont dispose le tribunal est la 1 F. Jault-Seske, Le regroupement familial en droit comparé français et allemand, L.G.D.J., p.22 célébration de leur mariage au Brésil le 22 janvier 2004. Il convient encore d’ajouter que les époux …, qui sont tous les deux de nationalité brésilienne, ne font état du moindre élément justifiant qu’ils ne seraient pas en mesure de s’installer ensemble dans leur pays d’origine.

Or faute d’éléments permettant de dégager l’existence de relations familiales effectives, le simple fait de s’être marié, d’autant plus que ce mariage est très récent, n’est pas à lui seul suffisant pour justifier la protection prévue par l’article 8, paragraphe 1er de la CEDH. Le tribunal est dès lors amené à retenir que les demandeurs ne tombent pas sous le champ d’application de ladite disposition et que le moyen y relatif doit être rejeté pour manquer de fondement.

Il s’ensuit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à déclarer non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais ;

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 juin 2005 par:

Mme Lamesch, juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lamesch Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20.6.2005 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19204
Date de la décision : 20/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-20;19204 ?

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