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20/06/2005 | LUXEMBOURG | N°18890

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 juin 2005, 18890


Numéro 18890 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 novembre 2004 Audience publique du 20 juin 2005 Recours formé par Madame … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18890 du rôle, déposée le 22 novembre 2004 au greffe du tribun

al administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau d...

Numéro 18890 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 novembre 2004 Audience publique du 20 juin 2005 Recours formé par Madame … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18890 du rôle, déposée le 22 novembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, agissant tant en son nom propre qu’en celui de son enfant mineur ……, tous les deux de nationalité chinoise, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 11 juillet 2003 portant en l’état rejet de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour provisoire en faveur de son époux, Monsieur …, d’une décision du même ministre du 25 avril 2004 portant rejet d’une nouvelle demande tendant aux mêmes fins, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 26 août 2004;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 mars 2005.

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Suite à sa demande afférente du 17 juillet 2001, Madame …, préqualifiée, bénéficia, dans le cadre de la campagne dite de régularisation de certaines catégories de personnes en situation irrégulière, d’une autorisation de séjour et d’un permis de travail A pour un poste de plongeuse auprès de l’employeur Palais d’Asie SA, les deux valables jusqu’au 25 novembre 2003.

En date du 17 janvier 2003, le ministre de la Justice accorda une autorisation de séjour jusqu’au 25 novembre 2003 au fils de Madame …, Monsieur ……, né le 29 novembre 2002 à Luxembourg.

Suite à la demande soumise le 4 juin 2003 par Madame … en vue d’une autorisation de séjour provisoire en faveur de son époux, Monsieur …, le ministre de la Justice y prit position par courrier du 11 juillet 2003 libellé comme suit :

« Comme suite à votre demande, par laquelle vous sollicitez une autorisation de séjour provisoire en faveur de votre époux, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

Votre demande pourra être reconsidérée du moment où vous serez en possession d’un permis de travail B, délivré en votre nom par le ministère du Travail.

Je tiens dès à présent à vous informer que la demande est à déposer soit dans le pays d’origine de l’intéressé, soit dans le pays où il est autorisé à résider, auprès d’une représentation diplomatique ou consulaire du Luxembourg ».

En date du 18 novembre 2003, le ministre du Travail et de l’Emploi accorda à Madame … un permis de travail B valable jusqu’au 17 novembre 2007 pour un poste de plongeuse auprès de l’employeur Palais d’Asie SA.

Par deux décisions du 19 novembre 2003, le ministre de la Justice accorda à Madame … et à son fils la prolongation de leur autorisation de séjour jusqu’au 17 novembre 2004.

Par courrier du 24 novembre 2003, le ministre de la Justice attira l’attention de Madame … sur le point suivant :

« Comme suite à votre demande, par laquelle vous sollicitez une autorisation de séjour en faveur de votre époux, j’ai l’honneur de vous informer que la demande est à déposer soit dans le pays d’origine de l’intéressé, soit dans le pays où il est autorisé à résider, auprès d’une représentation diplomatique ou consulaire du Luxembourg.

Je tiens à vous informer que la demande est à compléter avec les pièces reprises sur le formulaire en annexe ».

Par formulaire déposé le 8 décembre 2003, Madame … sollicita l’obtention d’une carte de séjour en sa faveur.

En dates des 23 et 30 mars 2004, Madame … déposa au ministère de la Justice un dossier de pièces concernant sa demande en obtention d’une autorisation de séjour en faveur de son époux ….

Par courrier du 25 avril 2004, le ministre de la Justice prit position face à cette dernière demande dans les termes suivants :

« J’ai l’honneur d’accuser réception des documents concernant l’objet sous rubrique.

Toutefois, j’ai le regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête, alors qu’il ressort de votre contrat de bail que le logement, dont vous et votre fille disposez, n’est pas assez spacieux pour héberger une personne supplémentaire, étant donné qu’il ressort de votre contrat de bail, qu’il ne pourra être occupé qu’au maximum par deux personnes.

Pour le surplus, comme je vous informait [sic] dans mon courrier du 24 novembre 2003, la demande aurait dû être déposée soit dans le pays d’origine de l’intéressé, soit dans le pays où il est autorisé à résider, auprès d’une représentation diplomatique ou consulaire du Luxembourg ».

Le recours gracieux à l’encontre de cette décision de rejet du 25 avril 2004 introduit par Madame … à travers un courrier de son mandataire du 20 juillet 2004 fut rencontré par une décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 26 août 2004 libellée comme suit :

« J’ai l’honneur d’accuser réception de votre courrier du 20 juillet 2004, adressé au Ministre de la Justice, concernant l’objet sous rubrique.

Après avoir procédé au réexamen du dossier de votre mandante, je suis toutefois au regret de vous informer qu’à défaut d’éléments pertinents nouveaux, je ne saurais réserver une suite favorable à sa demande et je ne peux que confirmer la décision du Ministre de la Justice du 25 avril 2004.

En effet, les courriers du Ministre de la Justice du 24 novembre 2003 et 25 avril 2004, adressés à Madame …, l’informaient que la demande aurait dû être déposée soit dans le pays d’origine de l’intéressé, soit dans le pays où il est autorisé à résider, auprès d’une représentation diplomatique ou consulaire du Luxembourg ».

Par requête déposée le 22 novembre 2004, Madame …, agissant tant en son nom propre qu’en celui de son enfant mineur ……, a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation des décisions prévisées du ministre de la Justice du 11 juillet 2003 et du 25 avril 2004, ainsi que de la décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 26 août 2004.

Dans la mesure où le recours est dirigé contre la décision du ministre de la Justice du 11 juillet 2003, force est de relever que cette décision est munie, conformément à l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 concernant la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, d’une instruction sur les voies de recours ouvertes à son encontre et qu’elle a été notifiée le 18 juillet 2003 à Madame … au commissariat de proximité de Bonnevoie, ainsi qu’en témoigne le rapport afférent n° R-

1434/2003 du 1er août 2003 du commandant dudit commissariat. Le délai légal pour recourir à l’encontre de cette décision ayant partant expiré le 18 octobre 2003, il s’ensuit que le recours sous analyse est à déclarer irrecevable pour tardiveté dans la mesure où il entend déférer ladite décision du 11 juillet 2003.

Aucune disposition légale n’instaurant un recours au fond en matière d’autorisation de séjour, le recours est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi pour autant qu’il est dirigé contre les décisions prévisées des 25 avril et 26 août 2004.

La demanderesse se prévaut de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH », pour soutenir que la nécessité de l’ingérence de l’autorité publique dans sa vie familiale et celle de son fils à travers le refus de l’autorisation en faveur de Monsieur YE ne serait pas établie à suffisance et ne répondrait partant pas au critère de proportionnalité. Elle estime dans ce contexte que le refus d’une autorisation de séjour en faveur de son époux entraînerait une limitation anormale de leur relation mutuelle et de celle avec leur enfant commun au vu de la distance géographique qui les séparerait et qu’elle-même aurait au Luxembourg toutes ses attaches socioprofessionnelles. Elle ajoute que le refus d’une autorisation de séjour en faveur de son époux constituerait pour ce dernier une entrave à son obligation de cohabitation avec elle, telle qu’instaurée par le Code civil.

L’article 8 de la CEDH dispose :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est incontestable que ledit article 8 de la CEDH n’entend pas remettre en cause la compétence de principe de chaque Etat de prendre des mesures en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que ladite disposition implique que l’autorité étatique investie du pouvoir de décision en la matière n’est pas investie d’un pouvoir discrétionnaire, mais qu’en exerçant ledit pouvoir, elle doit tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées.

Or, en l’espèce, il convient de relever, d’après les éléments du dossier soumis au tribunal, que la demanderesse et Monsieur YE se sont mariés le 22 mars 1993 à Zhanjiang (Chine) et ont mené une vie familiale en Chine avant que la demanderesse n’ait résidé au Luxembourg à partir du 19 mai 1997. En outre, Monsieur YE a bénéficié depuis juin 2001 d’autorisations de séjourner au Portugal et a ainsi pu s’installer en Europe afin d’être plus près de son épouse. Par ailleurs, le dossier révèle que la demanderesse a entrepris de multiples démarches afin d’obtenir un titre de séjour en faveur de son époux. Force est également de relever que la demanderesse et son époux ont procréé un enfant commun dont la naissance a été déclarée par le père pardevant l’officier de l’état civil de la Ville de Luxembourg. Ces éléments constituent un faisceau d’indices qui permet de conclure à l’existence d’une vie familiale effective au sens de l’article 8 de la CEDH entre la demanderesse, Monsieur YE et leur fils, de manière que le refus déféré d’accorder une autorisation de séjour à Monsieur YE est à qualifier d’ingérence dans cette vie familiale qui ne peut ainsi être justifiée que par l’un des motifs énoncés au paragraphe 2 dudit article 8.

A cet égard, il y a lieu de constater que la demanderesse dispose du moins depuis mars 2002 d’un emploi stable en tant que plongeuse dans un restaurant et a l’essentiel de ses attaches au Luxembourg, tout comme son enfant qui est né au Luxembourg.

Le refus d’une autorisation de séjour est justifié par les ministres successivement compétents par deux motifs, à savoir d’abord celui tiré du défaut d’un logement suffisamment spacieux et ensuite celui du non-respect de l’obligation pour l’intéressé de déposer une demande d’autorisation auprès d’une représentation diplomatique ou consulaire du Luxembourg soit dans son pays d’origine, soit dans le pays où il est autorisé à résider.

Or, il convient de constater, quant au premier motif de refus, que la demanderesse a fait soumettre avec son recours gracieux du 20 juillet 2004 un nouveau contrat de bail du 31 mars 2004 qui ne comporte plus de clause limitant le nombre de personnes admises à résider dans le logement en question et qui précise que celui-ci comporte « cuisine équipée, 2 chambres, salle de bains, salle à manger ». A défaut d’éléments plus concrets quant à la non-

adéquation de ce logement pour héberger la demanderesse, Monsieur YE et leur fils, le motif afférent tel qu’invoqué dans les décisions attaquées ne peut pas être considéré comme suffisamment établi pour tenir en échec le droit au respect de la vie familiale de la demanderesse et de son enfant.

Quant au second motif de refus, il se justifie en principe par le but légitime de requérir un ressortissant d’un Etat tiers de déclarer d’avance, et tout en résidant encore dans son pays d’origine, son intention de venir séjourner au Luxembourg et d’obtenir ainsi les autorisations et documents requis à cet effet avant son arrivée. Cependant, force est de constater que la situation de l’espèce n’est pas celle d’une personne sans attaches au Luxembourg intentant de venir seule au Luxembourg, mais celle d’une personne mariée dont l’épouse réside déjà légalement au pays et où cette dernière entend entreprendre les démarches administratives requises afin d’obtenir pour son conjoint un titre de séjour au Luxembourg. Dans ces circonstances, le motif tiré du non-respect de ladite obligation ne peut pas être considéré comme suffisamment justifié par l’un des motifs visé par l’article 8 paragraphe 2 de la CEDH.

Il se dégage de l’ensemble des développements qui précèdent qu’en refusant l’autorisation de séjour en faveur de Monsieur YE, les ministres successivement compétents n’ont pas respecté le droit au respect de la vie familiale de la demanderesse et de son enfant, tel que consacré par l’article 8 de la CEDH, de sorte que les décisions attaquées des 25 avril et 26 août 2004 encourent l’annulation pour violation de la loi, sans qu’il n’y ait encore lieu d’examiner les autres moyens soulevés par la demanderesse.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclaré justifié, partant annule la décision du ministre de la Justice du 25 avril 2004, ainsi que la décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 26 août 2004, renvoie l’affaire devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en prosécution de cause, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 20 juin 2005 par le premier juge en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE SCHROEDER 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18890
Date de la décision : 20/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-20;18890 ?

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