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16/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19928

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 juin 2005, 19928


Tribunal administratif Numéro 19928 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 juin 2005 Audience publique du 16 juin 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19928 du rôle et déposée le 9 juin 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Ohaozera (Niger

ia), de nationalité nigériane, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étra...

Tribunal administratif Numéro 19928 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 juin 2005 Audience publique du 16 juin 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19928 du rôle et déposée le 9 juin 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Ohaozera (Nigeria), de nationalité nigériane, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 1er juin 2005, prorogeant une mesure de placement audit Centre de séjour provisoire pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question, mesure de placement initialement instituée le 6 avril 2005 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH au greffe du tribunal administratif en date du 14 juin 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 juin 2005.

Suivant décision du 6 avril 2005 du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », Monsieur … fut placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour la durée d’un mois.

Le ministre, suivant décision du 4 mai 2005, prorogea la décision de placement initiale pour une nouvelle durée d’un mois.

Suivant décision du 1er juin 2005, notifiée le 6 juin 2005, la décision de placement fut prorogée une nouvelle fois pour une durée d’un mois.

Ladite décision repose sur les considérations suivantes :

« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu mes arrêtés pris en date des 6 avril et 4 mai 2005 décidant du placement temporaire de l’intéressé ;

Considérant que l'intéressé est démuni d’un titre de voyage valable ;

-

qu'il ne dispose pas de moyens d'existence personnels légalement acquis ;

-

qu'il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’un laissez-passer a été demandé aux autorités nigérianes à plusieurs reprises ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement dans l’attente de l’établissement d’un laissez-

passer par les autorités nigérianes ».

Par requête déposée le 9 juin 2005 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision ministérielle du 1er juin 2005 portant prorogation de son placement.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre ladite décision. Ledit recours ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le recours subsidiaire en annulation est dès lors irrecevable.

A l’appui de son recours, Monsieur … soutient en premier lieu que la décision ministérielle du 6 juin 2005 serait nulle, au motif que l’arrêté ministériel du 4 mai 2005, ayant prorogé une première fois la décision de placement initiale, aurait cessé de « produire ses effets » en date du 4 juin 2005, sans qu’il n’ait été « informé valablement de la décision de prorogation de sa décision de rétention dans le délai légal ».

A l’audience des plaidoiries, le mandataire du demandeur a cependant déclaré renoncer audit moyen.

Pour le surplus, Monsieur … estime que l’autorité administrative reste en défaut d’établir l’existence d’une nécessité absolue, justifiant la prise de la décision litigieuse, condition pourtant posée par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée. Il précise plus particulièrement qu’« il ne saurait partant être question de motiver la décision querellée de façon identique à la motivation gisant à la base de la première décision de placement », qu’il aurait déjà fait l’objet de cinq placements « infructueux » en vue de son éloignement et que l’autorité ministérielle ne serait pas en mesure de garantir et d’affirmer avec un minimum de certitude une possibilité effective de refoulement dans son pays d’origine, surtout eu égard au fait que les démarches effectuées par les autorités luxembourgeoises « se sont avérées stériles » face à l’attitude réticente des autorités nigérianes à délivrer un laissez-passer. Dans ce contexte, le demandeur soutient encore que la rétention serait disproportionnée eu égard à sa situation personnelle, de sorte que sa privation de liberté ne serait pas conforme à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soutient qu’il y aurait une nécessité absolue de maintenir le demandeur au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière en attendant une réponse de l’Ambassade du Nigeria à Bruxelles et que les démarches entreprises par l’autorité administrative auraient été suffisantes.

Quant aux rétroactes de l’affaire, tels qu’ils se dégagent de deux jugements du tribunal administratif du 28 octobre 2004 (n° 18761 du rôle) et du 3 juin 2005 (n° 19853 du rôle), il convient de rappeler que Monsieur …, après avoir été débouté de sa demande d’asile au Luxembourg par décision du 18 février 2004, s’est rendu en Suède en printemps 2004 pour y présenter une nouvelle demande d’asile sous une autre identité. En novembre 2004, il s’est rendu en Allemagne pour y poser de nouveau une demande d’asile. Il a été remis par les autorités allemandes aux autorités luxembourgeoises le 6 avril 2005, date à laquelle la décision de rétention a été prise à son égard.

Concernant l’absence de démarches suffisantes entreprises et par conséquent l’absence de « nécessité absolue » en résultant, pourtant nécessaire à la prorogation de la décision de placement, il appartient au tribunal d’analyser si le ministre a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’une nécessité absolue rend la prorogation de la décision de placement inévitable.

En effet, l’article 15, paragraphe 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, dispose que « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite par le ministre de la Justice à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».

Etant relevé qu’une mesure de rétention est indissociable de l’attente de l’exécution d’un éloignement d’un étranger non autorisé à séjourner légalement sur le territoire luxembourgeois, il incombe à la partie défenderesse de faire état et de documenter les démarches qu’elle estime requises et qu’elle est en train d’exécuter, afin de mettre le tribunal en mesure d’apprécier si un éloignement valable est possible et est en voie d’organisation, d’une part, et que les autorités luxembourgeoises entreprennent des démarches suffisantes en vue d’un éloignement ou transfert rapide du demandeur, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté, d’autre part (cf. trib. adm. 15 juillet 2004, n° 18357 du rôle).

D’après les rétroactes de l’affaire, les autorités luxembourgeoises ont contacté le 7 avril 2005 l’ambassade du Nigeria à Bruxelles afin de se voir délivrer un laisser-passez en vue de l’éloignement de Monsieur …. Suite à la réponse de l’ambassade du Nigeria désirant rencontrer personnellement Monsieur …, les autorités luxembourgeoises ont contacté la police grand-ducale en date du 18 avril 2005 afin de voir organiser le voyage sous escorte de Monsieur … à l’ambassade nigériane à Bruxelles. La présentation de Monsieur … auprès de l’ambassade à Bruxelles a eu lieu le 18 mai 2005. A l’ambassade, il a été identifié comme étant un ressortissant nigérian, mais selon les autorités de l’ambassade, Monsieur …, sans passé criminel, devrait se présenter après son élargissement auprès de l’ambassade pour y demander de son propre gré un laissez-passer.

Suite à cette position de l’ambassade, un courrier de la part des autorités luxembourgeoises fut adressé en date du 25 mai 2005 à l’ambassadeur en précisant que :

« … Mr …’s legal stay in Luxembourg ended on April 1st, 2004. He had more than 13 months to organize his voluntary return. Refusing a voluntary return to Nigeria, he travelled illegally to Germany, and was transferred back to Luxemburg on April 6th, 2005 on the basis of the European Community law.

We are afraid that, if we let him out of the detention centre for illegal foreigners to organize his voluntary return, he will once again try to travel illegally to another Member State of the European Union and that we then have to start the return procedure once more.

Regarding the circumstances of Mr …’s case I would be grateful if you could deliver a travel document. If Mr … is opting for a voluntary return he will just be accompanied by the police to the plane without being escorted to Nigeria.

Please note that a return on a voluntary basis is offered to every Nigerian national in irregular situation in Luxembourg if he has non criminal record… ».

Il se dégage encore d’une note au dossier datée du 1er juin 2005 que l’ambassade du Nigeria a reçu la seconde demande de laissez-passer du 25 mai 2005, que le dossier serait en voie de traitement et qu’une décision de l’ambassadeur parviendrait bientôt aux autorités luxembourgeoises.

Finalement, il ressort du dossier que les autorités luxembourgeoises ont adressé un rappel à l’ambassade du Nigeria en date du 9 juin 2005, dans lequel elles se sont référées à plusieurs entretiens téléphoniques en vue d’obtenir la délivrance du laissez-passer en faveur de Monsieur ….

Au vu des diligences ainsi déployées, le tribunal est amené à retenir que des démarches suffisantes ont été entreprises en vue du transfert du demandeur vers le Nigeria. Le délai couru ne semble pas excessif eu égard à la considération que les autorités luxembourgeoises ont dû organiser matériellement la présentation sous escorte de Monsieur … auprès de son ambassade à Bruxelles, en présence des problèmes rencontrés ensuite avec les autorités nigérianes et au vu de l’absence de collaboration de Monsieur … dans le passé, qui n’a jamais pris une initiative pour rentrer dans son pays d’origine mais qui a présenté des demandes d’asile en Suède et en Allemagne sous de fausses identités.

Quant à l’absence de précision quant à la date du transfert, force est de préciser que la certitude quant à l’aboutissement effectif de la mesure de refoulement n’est pas une prémisse conditionnant la validité d’une décision de rétention (cf. trib. adm. 11 mai 2005, n° 19665a du rôle). Même si les autorités luxembourgeoises compétentes ne sont pas en mesure d’indiquer la date envisagée pour le transfert, étant donné qu’elles sont dans l’attente de la réception d’un laissez-passer de la part des autorités nigérianes, les divers rappels téléphoniques et par écrit auprès des autorités nigérianes, dont le dernier datant du 9 juin 2005, permettent raisonnablement de conclure que les perspectives d’obtenir un laissez-passer dans un proche avenir sont données.

Le moyen non autrement explicité que la rétention serait contraire à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme laisse d’être fondé en droit et en fait. En effet, d’une part, l’article 5 § 1 point f de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours et le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures respectivement d’éloignement et de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays (cf. trib. adm. 22 mars 1999, n° 11185 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Droits de l’homme, n° 6 et autres références y citées) et, d’autre part, même si le demandeur a fait l’objet d’une rétention administrative en août 2004, laquelle fut prorogée à deux reprises, il n’en tire aucune conclusion et n’invoque aucun moyen de légalité devant aboutir à l’annulation de la décision faisant l’objet du présent recours. S’il est exact que les démarches antérieures effectuées par les autorités luxembourgeoises en 2004 afin d’obtenir un laissez-passer n’ont pas abouti, il n’en reste pas moins que les faits dont le tribunal est actuellement saisi diffèrent des faits tels que soumis à l’époque au tribunal. Il en résulte que le demandeur ne saurait conclure au vu de l’absence de délivrance par les autorités nigérianes d’un laissez-passer en 2004 que l’actuelle procédure serait également vouée à l’échec.

Quant au moyen soulevé par le demandeur relativement au caractère disproportionné de la mesure de placement, il est constant que le demandeur est placé, non pas dans un établissement pénitentiaire, mais au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, créé par le règlement grand-ducal précité du 20 septembre 2002. Or, force est de constater que le centre en question est a priori à considérer comme un établissement approprié au sens de la loi précitée de 1972, étant donné que le demandeur est en séjour irrégulier au pays, qu’il n’existe aucun élément qui permette de garantir au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration sa présence au moment où il pourra être procédé à son éloignement, à moins que le demandeur ne fasse état d’un élément ou d’une circonstance particuliers justifiant à son égard un caractère inapproprié du Centre de séjour provisoire.

Dans ce contexte, Monsieur …, dans son mémoire en réplique, soutient qu’il subirait « un régime de semi-détention », au motif qu’il serait « détenu tous les jours dans les conditions d’un détenu au sens pénal du terme entre 17.30 heures du soir jusqu’à 12 heures du matin ».

Le délégué du gouvernement, sans contester l’affirmation du demandeur quant à sa liberté de circulation dans l’enceinte dudit centre, explique ce régime par un problème de surpopulation respectivement un manque d’effectifs au niveau du personnel de surveillance.

Force est de retenir, que même si la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le bloc des retenus n’est pas idéale, ladite situation est néanmoins acceptable et le Centre de séjour provisoire peut être considéré comme établissement approprié, au vu notamment de la stricte séparation des retenus avec les détenus de droit commun du Centre pénitentiaire à Schrassig et du fait que le demandeur n’a fait état d’aucun élément personnel duquel il ressortirait que les limites apportées à sa liberté de circulation seraient disproportionnées par rapport à l’objectif d’une mesure de placement.

Au vu de ce qui précède, le recours sous analyse n’est fondé dans aucun de ses moyens et le demandeur doit en être débouté.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 16 juin 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill Reproduction certifiée conforme à l’original.

Luxembourg, le 21 novembre 2016 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19928
Date de la décision : 16/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-16;19928 ?

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