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16/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19425

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 juin 2005, 19425


Tribunal administratif N° 19425 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mars 2005 Audience publique du 16 juin 2005 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19425 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2005 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Pec (Etat de Serbie-et-Monténégro

), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation ...

Tribunal administratif N° 19425 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mars 2005 Audience publique du 16 juin 2005 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19425 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2005 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Pec (Etat de Serbie-et-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 13 décembre 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que de la décision confirmative prise par ledit ministre le 31 janvier 2005, suite à un recours gracieux de la demanderesse ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Frank WIES, en remplacement de Maître Olivier LANG, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

Le 12 octobre 2004, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le 20 octobre 2004, Madame … fut entendue par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 13 décembre 2004, notifiée par lettre recommandée expédiée le 17 décembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du même jour et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 20 octobre 2004.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo le 6 octobre 2004 pour vous rendre à Rozaje et à Zagreb. Le 11 octobre 2004, vous auriez quitté Zagreb pour Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 12 octobre 2004.

Vous exposez que vous auriez des ennuis avec les Albanais parce que vous ne parleriez que le serbo-croate. En 2000, des jeunes gens auraient essayé de vous faire monter de force dans leur voiture. On vous aurait insulté. En septembre dernier, en allant au marché, vous vous seriez fait agresser. Vous n’auriez pas osé porter plainte ni à l’UNMIK ni à la KFOR. Vous auriez aussi eu des problèmes avec votre ex-concubin, qui était Albanais, et avec sa famille. Vos parents seraient partis vivre au MNG, mais vous dites n’avoir pas envie de les rejoindre ni de vivre dans cette région-là.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Le fait d’appartenir à une minorité ne suffit pas pour obtenir le statut de réfugié politique.

Je constate que le fait d’avoir eu des problèmes avec des jeunes inconnus en 2000 est trop ancien pour être pris en compte. Quant à l’agression subie au marché en septembre 2004, même commise par des Albanais, elle relève du droit commun. Vous auriez pu porter plainte car, quoique vous ne pensiez, la KFOR et l’UNMIK sont des forces internationales et non des organismes à la solde des Albanais. Quant aux ennuis avec votre ex-ami et sa famille, il s’agit de problèmes d’ordre privé qui n’entrent en rien dans le champ d’application de la Convention de Genève. Ni les Albanais, ni les membres de cette famille ne constituent des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de quitter votre ville ou même le Kosovo pour vous installer ailleurs en Serbie-

Monténégro. Je relève que vos parents vivent au Monténégro et il est irrelevant pour votre dossier que vous ayez ou non envie de les rejoindre.

Je constate donc que vos dires traduisent davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution.

Pour le surplus, en ce qui concerne la situation au Kosovo, notons que depuis mars 2004, un groupe de travail poursuit un fructueux dialogue Pristina/Belgrade, ce qui est un élément essentiel de la normalisation de cette région. En ce qui concerne plus particulièrement la situation des Bochniaques, elle est devenue stable. L’accès de cette minorité aux soins de santé, à l’éducation et aux services essentiels de la vie courante est actuellement garantie presque partout. Il ressort du rapport du UNHCR de juin 2004, sur la situation des minorités au Kosovo qu’en règle générale, les Bochniaques ne doivent plus craindre des attaques directes contre leur sécurité. Plus particulièrement, dans la région de Pec, seuls des problèmes d’ordre linguistique entravent encore leur libre circulation.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 18 janvier 2005, Madame … introduisit par le biais de son mandataire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 13 décembre 2004.

Par décision du 31 janvier 2005, notifiée par lettre recommandée envoyée le 1er février 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale de refus du 13 décembre 2004.

Le 2 mars 2005, Madame … a introduit un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions ministérielles précitées des 13 décembre 2004 et 31 janvier 2005.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle serait originaire du Kosovo, de confession musulmane, qu’elle ferait partie de la minorité bochniaque du Kosovo et qu’elle ne parlerait que le serbo-croate. Elle précise que de 1997 à 1999, elle aurait vécu en concubinage avec un Albanais qui la maltraitait et qu’elle aurait eu à subir les insultes, menaces et gifles des membres de la famille de son concubin. Elle explique qu’elle serait sans nouvelles de ses parents qui auraient fui la guerre pour se réfugier au Monténégro et qu’ils auraient condamné sa relation avec un Albanais. Elle relate que depuis la fin de la guerre, elle aurait dû affronter les agressions, insultes et menaces de la population albanaise, qu’elle aurait ainsi en 2000 fait l’objet d’une tentative d’enlèvement et que ce serait finalement une agression physique en septembre 2004 qui l’aurait amenée à quitter le Kosovo. Elle reproche ainsi au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir considéré tous ces incidents isolément alors qu’ils se situeraient au contraire dans un contexte général de tensions interethniques, rentrant ainsi dans les prévisions de la Convention de Genève. Dans ce contexte, elle fait valoir qu’une vie sans crainte ne serait pas à l’heure actuelle imaginable au Kosovo où la majorité albanaise ne tolérerait pas la présence des Bochniaques, les accusant d’avoir collaboré avec les Serbes, et où ses droits les plus élémentaires seraient bafoués et notamment celui de circuler librement et de parler sa langue maternelle. Elle justifie le fait de ne pas avoir recherché la protection des autorités locales par sa crainte de représailles et conteste l’existence d’une possibilité de fuite interne tout en relevant qu’elle serait sans nouvelles de ses parents vivant au Monténégro. Enfin, elle reproche au ministre compétent de ne pas avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées du fait des persécutions dont elle aurait été victime ainsi que d’avoir méconnu l’impuissance des autorités en place de lui accorder une protection effective.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que le recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition du 20 octobre 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

Ainsi, concernant cette crainte générale exprimée par la demanderesse d’actes de persécution à son encontre en raison de son appartenance à la minorité bochniaque de la part de membres de la population albanaise du Kosovo, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bochniaques, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions, elle n’est cependant pas telle que tout membre de cette minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève.

A cet égard, il y a lieu de constater que suivant la version actualisée du rapport de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo, notamment celle des Bochniaques, datant de juin 2004, il est relaté dans la troisième partie dudit rapport intitulée « Situation of minority groups by region in light of the turmoil in March 2004 » que « Kosovo Serbs were the primary target of inter-ethnic violence.1… Finally, whereas Bosniaks and Gorani did not become a direct target of the violence, in some locations they felt sufficiently at risk that they opted for precautionary movements, or where evacuated by police, to safer places 2 » et encore « The few Bosniaks and Gorani who were displaced during the mid-March unrest have returned to their home communities. Returnees and remainees have resumed the same levels of freedoms they enjoyed prior to the events3 ».

Dans un second rapport datant quant à lui d’août 2004, l’UNHCR souligne que « the security situation for Kosovo Bosniaks and Goranis has remained stable, with no serious incidents of violence reported » ainsi que « whereas the Bosniaks and Goranis 1 Update on the Kosovo Roma, Ashkaelia, Egyptian, Serb, Bosnaik, Gorani and Albanian communities in a minority situation, UNHCR Kosovo, June 2004, p. 31 2 idem p. 32 3 idem p. 46 were not directly targeted during the turmoil in March 2004, in some locations they felt insecure and opted for precautionary movements. Two families were evacuated by the police from the Bosniak Mahalla in Mitrovice/a North, while several others left on their own initiatives. Living in a Serb neighbourhood in Fushe Kosova/Kosovo Polje and seeing their Serb neighbours being attacked, several Gorani families left their homes as a precautionary measure. No other attacks or self-imposed evacuations have been reported, although the two ethnic communities anxiously followed the unfolding developments. The events have inevitably left the communities with a heightened sense of insecurity and in a state of constant alert4 ».

En ce qui concerne les actes concrets de persécution allégués par la demanderesse, il convient de relever d’une part que ses problèmes avec les membres de la famille de son ex-concubin sont d’ordre personnel et familial et ne sauraient être considérés comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Concernant la tentative d’enlèvement alléguée de 2000, au-delà du fait de remonter trop loin dans le temps pour être prise considération, celle-ci rentre plutôt dans un contexte de criminalité de droit commun. Enfin, en ce qui concerne les insultes, menaces et discriminations en relation avec le fait notamment de ne parler que le serbo-

croate et l’incident du marché de septembre 2004, à les supposer établis, force est de relever qu’ils constituent certes des actes condamnables mais sont insuffisants pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie de la demanderesse lui serait, à raison intolérable dans son pays d’origine.

Force est encore de constater que les auteurs de ces agressions ne peuvent pas être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et que la demanderesse reste en défaut d’établir à suffisance de droit que les autorités de son pays d’origine refuseraient de la protéger ou seraient dans l’impossibilité de lui fournir une protection d’une efficacité suffisante, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, la demanderesse n’ayant pas porté plainte auprès des forces de l’ordre et n’ayant entrepris aucune autre démarche auprès des autorités pour tenter d’obtenir leur protection.

De tout ce qui précède, il résulte qu’indépendamment de toutes considérations relativement à une possibilité de fuite interne, les craintes dont la demanderesse fait état s’analysent en substance en un sentiment général d’insécurité lequel ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

4 UNHCR Position on the Continued International Protection Needs of Individuals from Kosovo, August 2004, p. 5 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

donne acte à la demanderesse de ce qu’elle déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 16 juin 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19425
Date de la décision : 16/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-16;19425 ?

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