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15/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19485

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 juin 2005, 19485


Tribunal administratif N° 19485 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mars 2005 Audience publique du 15 juin 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19485 du rôle, déposée le 16 mars 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Cape-

Palmas (Liberia),

de nationalité libérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation ...

Tribunal administratif N° 19485 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mars 2005 Audience publique du 15 juin 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19485 du rôle, déposée le 16 mars 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Cape-

Palmas (Liberia), de nationalité libérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 28 janvier 2005 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Virginie VERDANET, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

__________________________________________________________________________

Le 15 mars 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 7 mai 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par décision du 28 janvier 2005, notifiée à l’intéressé en mains propres en date du 18 février 2005, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous seriez parti du Libéria en juin 2003 pour tout d’abord aller en Côte d’Ivoire, puis ensuite le 25 février 2004 vous auriez quitté ce pays en bateau pour l’Europe. Arrivé dans un endroit qui vous serait inconnu, un homme vous aurait conduit au Luxembourg.

Il résulte de vos déclarations que votre père aurait été tué en 1991 par les rebelles en raison de son refus de leur donner de l’argent, argent qu’il n’aurait pas eu. En juillet 2003, les rebelles du groupe MODEL seraient venus chez vous et vous auraient emmené avec eux, cependant votre mère s’y opposant, aurait été tuée. Vous auriez été entraîné afin de vous battre au côté desdits rebelles. Cependant la nuit suivante vous vous seriez échappé de leur camp et vous seriez rentré chez vous. Vous auriez réalisé que tout le monde se serait enfui, vous en auriez fait de même en allant vous réfugier dans les bois. Vous y auriez rencontré un homme qui vous aurait amené avec d’autres personnes auprès d’un pêcheur. Ce dernier vous aurait tous embarqués en bateau pour la Côte d’Ivoire. Vous seriez resté auprès d’une organisation humanitaire jusqu’au 25 février 2004. Finalement, vous auriez à nouveau rencontré quelqu’un qui vous aurait aidé en vous faisant monter sur un bateau pour aller en Europe.

Vous déclarez avoir quitté votre pays en raison de la guerre.

Enfin, vous n’êtes membre d’aucun parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

En l’espèce, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A.,§2 de la Convention de Genève. En effet, force est de constater tout d’abord que concernant votre sentiment général d’insécurité dû à la guerre, un tel sentiment ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Ensuite, la situation a totalement changé depuis l’époque de votre départ, de sorte que votre crainte y afférente n’est plus fondée. En effet, le président Charles Taylor a été évincé pour laisser place à un gouvernement transitoire jusqu’aux élections d’octobre 2005 et la guerre civile est terminée depuis août 2003. La mission des Nations Unies installée au Libéria compte plus de 15.000 militaires et policiers déployés dans tout le pays afin d’assurer le maintien de la paix. Actuellement, des réfugiés libériens retournent dans leur pays avec l’aide du HCR, déjà 5.160 ont été rapatriés au cours de l’année 2004.

En outre, les rebelles ne sauraient être assimilés à des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ressort de l’audition que vous avez vécu pendant environ un an et demi en Côte d’Ivoire sans faire état de problèmes relatifs à la Convention de Genève. Il vous aurait été ainsi tout à fait possible de vous y installer définitivement.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 16 mars 2005, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 28 janvier 2005.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le demandeur soulève en premier lieu un moyen d’annulation tiré de ce que la décision ministérielle déférée serait entachée d’illégalité pour défaut de motivation suffisante en violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ainsi que de l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 et de l’article 1, section A, 2 de la Convention de Genève.

Conformément à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité, toute décision qui refuse de faire droit à la demande d’un administré doit indiquer “ les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base ”. Cette obligation de motivation d’une décision administrative rendue dans le cadre de demandes d’asile déclarées non fondées par le ministre compétent est d’ailleurs reprise par l’article 12, alinéa 2 de la loi précitée du 3 avril 1996.

C’est cependant à tort que le demandeur entend se baser également sur l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève pour conclure que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration n’aurait pas motivé la décision en question, étant donné que cette disposition ne contient aucune obligation de motivation d’une décision à rendre par les autorités compétentes en application de la Convention de Genève.

En l’espèce, le moyen tiré de l’insuffisance de la motivation manque cependant de fondement, comme l’a relevé à juste titre le représentant étatique.

En effet, il se dégage du libellé sus-énoncé de la décision ministérielle critiquée du 28 janvier 2005 que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs tant en droit qu’en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur.

En second lieu, le demandeur reproche au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration de méconnaître la réalité et la gravité des persécutions qu’il risquerait de subir en cas de retour dans son pays d’origine en raison de son refus d’intégrer les rangs des rebelles et de la situation générale instable régnant au Liberia. Il expose plus particulièrement qu’il aurait dû quitter son pays d’origine, le Liberia, pour se réfugier d’abord en Côte d’Ivoire et ensuite au Luxembourg, au motif que ses parents auraient été assassinés par des rebelles du groupe MODEL, qu’il aurait été détenu par ces rebelles qui auraient également essayé de le faire entrer de force dans leurs rangs, mais qu’il aurait réussi à leur échapper. Il précise qu’un retour dans son pays d’origine ne serait pas possible, principalement, en raison du fait que les rebelles du groupe MODEL, qui auraient voulu l’enrôler et dont il aurait fui les rangs, feraient actuellement partie du gouvernement provisoire, et, d’autre part, en raison de la situation généralement tendue régnant actuellement au Liberia et des difficultés des forces onusiennes à maintenir l’ordre et la paix.

Enfin, il soutient que le ministre compétent ne saurait lui reprocher de ne pas être resté en Côte d’Ivoire au vu de la circonstance qu’« on ne lui donnait pas à manger tous les jours » et au vu des récents conflits en Côte d’Ivoire.

Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2004, V° Recours en réformation, n° 12).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 7 mai 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les actes de persécution allégués par le demandeur n’émanent pas de l’Etat, mais de rebelles. S’agissant ainsi d’actes émanant de certains groupements de la population, il y a lieu de relever qu’une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce, force est non seulement de constater que le demandeur reste en défaut d’établir que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics, qui étaient en place dans son pays d’origine au moment des faits incriminés, étaient incapables d’assurer un niveau de protection suffisant, étant relevé qu’il ressort des déclarations du demandeur telles que relatées dans le compte-rendu de son audition qu’il n’a pas recherché concrètement la protection des autorités en place, de sorte que les éléments du dossier ne permettent pas de conclure à l’existence d’une attitude générale de refus de protection des autorités compétentes susceptibles de sous-tendre utilement la demande d’asile sous examen, mais en outre, la situation générale régnant au Liberia a largement évolué depuis l’époque du départ du demandeur au mois de juin 2003, étant donné que le Conseil de Sécurité des Nations Unies a adopté le 19 septembre 2003 une résolution en vue de la mise en place d’une opération de maintien de la paix en déployant des forces onusiennes sur place avec la mission notamment d’assurer la sécurité intérieure du pays et de soutenir la démobilisation et le désarmement des forces rebelles, qu’un cessez-le-feu a été décidé et qu’en date du 14 octobre 2003, un gouvernement transitoire a été mis en place et au regard de cette évolution positive de la situation générale au Liberia et en l’absence d’éléments quelconques de nature à étayer un risque concret de recrudescence des violences, les faits mis en avant par le demandeur, tenant essentiellement à des actions de forces rebelles, ne sont plus de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SPIELMANN, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 15 juin 2005 par le vice-président en présence de M. LEGILLE, greffier.

s. LEGILLE S. CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19485
Date de la décision : 15/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-15;19485 ?

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