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13/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19899

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 juin 2005, 19899


Tribunal administratif Numéro 19899 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 juin 2005 Audience publique du 13 juin 2005 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19899 du rôle et déposée le 3 juin 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ord

re des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, (Guinée), de nationalité guiné...

Tribunal administratif Numéro 19899 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 juin 2005 Audience publique du 13 juin 2005 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19899 du rôle et déposée le 3 juin 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, (Guinée), de nationalité guinéenne, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 mai 2005 instituant à son égard une mesure de placement pour la durée maximale d’un mois audit Centre de séjour provisoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 9 juin 2005 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 juin 2005.

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Le 10 mai 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après « le ministre », prit à l’encontre de Monsieur … une décision de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour du 10 mai 2005 ;

Considérant que l’intéressé a été transféré de l’Autriche vers le Luxembourg en date du 10 mai 2005 en vertu du règlement (CE) n°343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ;

Considérant que l'intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu'il ne dispose pas de moyens d'existence personnels légalement acquis;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’un laissez-passer sera demandé auprès des autorités guinéennes ;

Considérant que l’éloignement immédiat de l’intéressé n'est pas possible ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite, alors que l'intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement ; » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 juin 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 10 mai 2005.

A l’appui de son recours, le demandeur soutient que les conditions légales pour prononcer une mesure de placement ne seraient pas remplies, étant donné qu’il serait encore actuellement demandeur d’asile ne tombant dès lors pas sous les dispositions de l’article 15 de la loi du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.

En second lieu, le demandeur soutient que la mesure critiquée serait disproportionnée par rapport au but poursuivi par l'autorité administrative et qu’il n’aurait pas été placé dans un établissement approprié.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du Gouvernement relève à titre préliminaire que l’arrêté ministériel déféré, notifié le 10 mai 2005, a perdu ses effets le 13 juin 2005, date des plaidoiries, de sorte que le recours en réformation serait irrecevable.

Concernant le reproche de l’irrecevabilité du recours en réformation pour défaut d’objet, le demandeur se réfère à « ses moyens soulevés dans le cadre de la pièce numéro 3 de son recours introductif d’instance ». Il estime par ailleurs que ce reproche serait à rejeter « au motif que [l’irrecevabilité] constitue une condition supplémentaire non prévue par la loi et ce en violation de l’article 15, paragraphe (9) de la loi du 28 mars », une telle « irrecevabilité » étant selon le demandeur contraire à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme qui lui garantirait le droit à un « recours effectif ».

Il est constant que le demandeur n’est plus à l’heure actuelle placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière sur base de la décision de placement litigieuse, laquelle, limitée à la durée maximum d’un mois en application de l’article 15, alinéa 1er de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, a cessé de produire ses effets à partir du 10 juin 2005, de sorte que la demande de Monsieur …, tendant à voir mettre un terme, par voie de réformation, à la mesure de placement du 10 mai 2005, seule litigieuse en l’espèce, est à considérer comme étant devenue sans objet.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation développée par le demandeur dans son mémoire en réplique. En effet, le fait que le présent recours en réformation soit devenu sans objet ne constitue pas une abnégation du droit du demandeur à un recours effectif, ni une condition supplémentaire insérée dans la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, mais une simple conséquence des caractéristiques inhérentes au recours en réformation, dans le cadre duquel le juge est amené à apprécier la décision déférée quant à son bien-fondé et à son opportunité, avec le pouvoir d'y substituer sa propre décision impliquant que cette analyse s'opère au moment où il est appelé à statuer. En d’autres termes, le tribunal saisi d’un recours en réformation est appelé à statuer au jour des présentes, de sorte à ne plus pouvoir utilement faire droit à la demande lui adressée par rapport à laquelle il est appelé à statuer, l’acte déféré ayant cessé de produire des effets.1 Il convient de retenir que s’il est vrai qu’au jour de l’introduction du recours en réformation, tendant à obtenir la mise en liberté de Monsieur …, le demandeur justifiait d’un intérêt à agir, dans la mesure où Monsieur … était à cette date toujours retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, force est cependant de constater qu’au moment où le tribunal est appelé à statuer, il ne peut plus utilement faire droit à la demande lui adressée, étant donné que la mesure a cessé de produire ses effets.

Compte tenu de ce changement dans les circonstances de fait, le demandeur a néanmoins sollicité le maintien de son recours en réformation, en limitant toutefois la portée aux moyens de légalité et en limitant son objet à l’annulation de la décision déférée, estimant par ailleurs garder un intérêt à agir suffisant. Il renvoie pour justifier de la persistance de son intérêt à une décision de 2001 du tribunal administratif selon laquelle un demandeur conserverait un intérêt à obtenir une décision relativement à la légalité de la mesure, de la part de la juridiction administrative, « puisqu’en vertu d’une jurisprudence constante des tribunaux judiciaires, respectivement la réformation ou l’annulation des décisions administratives individuelles constitue une condition nécessaire pour la mise en œuvre de la responsabilité des pouvoirs publics du chef du préjudice causé, le cas échéant, aux particuliers par les décisions en question ».

Si, dans une matière dans laquelle la loi a institué un recours en réformation, le demandeur conclut à la seule annulation de la décision attaquée, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où le demandeur se borne à invoquer des moyens de légalité, et à condition d’observer les règles de procédure spéciales pouvant être prévues et les délais dans lesquels le recours doit être introduit (trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693, Pas. adm. 2004, V° Recours en réformation, n° 2, p. 661).

Dès lors, le recours en réformation étant recevable, quoique limité à des moyens d’annulation, le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.2 Il en résulte que le recours est recevable dans la mesure où le demandeur se borne à invoquer des moyens de légalité3 et que l’intérêt à agir du demandeur reste vérifié par rapport à cette demande.

1 Cf. Trib. adm. 4 mars 2005, n°19336 du rôle 2. C.A. 17 mars 2005, n° 19336 du rôle 3 Cf. Trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693, Pas. adm. 2004, V° Recours en réformation, n° 2, p. 661 En effet, si stricto sensu l’intérêt à agir est à apprécier au moment de l’introduction du recours, il n’en reste pas moins que dans le cadre d’un recours au fond, où le tribunal est amené à cristalliser son analyse au jour où il statue, le maintien de cet intérêt à agir doit être vérifié au jour du jugement4.

Etant donné qu'il appartient au demandeur de démontrer son intérêt, le juge administratif doit seulement avoir égard à ce que le demandeur avance à ce sujet.

A cet égard, le demandeur soutient qu’il conserverait un intérêt en ce sens que l’obtention d’une décision d’annulation serait la condition nécessaire pour poursuivre une action en dommages et intérêts contre l’Etat devant les juridictions de l’ordre judiciaire.

Force est cependant de constater que la jurisprudence civile invoquée par le demandeur n’est plus constante mais largement fluctuante alors que dans certains cas, elle a retenu que « le fait que la partie demanderesse n’a pas introduit un recours devant les autorités administratives compétentes pour obtenir l’annulation respectivement la réformation de la décision administrative prise en cause, ne l’empêche pas d’introduire, devant les juridictions judiciaires, une demande en allocation de dommages et intérêts à titre d’indemnisation pour ses prétendus préjudices subis à cause du comportement de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg et des communes… »5. Il y a par ailleurs lieu de relever que la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité de l’Etat et des collectivités publiques permet de poursuivre leur responsabilité sans avoir à fournir la preuve d’une faute dans leur chef.

Il s’ensuit qu’au vu de la situation juridique actuelle, l’obtention d’un jugement d’annulation, respectivement de réformation peut faciliter une demande d'indemnité au juge judiciaire, mais ne constitue plus une condition nécessaire pour la mise en œuvre de la responsabilité des pouvoirs publics. Dès lors, l’intérêt avancé par le demandeur à obtenir l’annulation de la décision déférée ne constitue qu’un aspect accessoire de l'intérêt, qui est en premier lieu de faire disparaître l'acte attaqué de l'ordre juridique, ce qui est la finalité du recours tendant à l’annulation auprès des juridictions administratives.

Or, en l’espèce, l’annulation sollicitée, dans le cadre du recours en réformation, tend moins à faire anéantir un acte illégal – qui a cessé de produire tout effet, étant donné que Monsieur … n’est plus sous l’effet de la mesure de rétention critiquée – qu’à faciliter au demandeur, grâce à une décision d’annulation, l’introduction d’une éventuelle action en responsabilité de l’Etat devant les juridictions ordinaires.

Dès lors, la seule possibilité invoquée par le demandeur d’une action judiciaire en paiement de dommages et intérêts, à défaut d’indication de tout autre intérêt administratif, ne suffit pas à justifier qu’il possède l’intérêt légal requis.

En effet, la thèse suivant laquelle l’introduction ou le projet d’introduire une action en responsabilité suffiraient à eux seuls, à justifier l’existence d’un intérêt pour agir devant les juridictions administratives aboutirait à vider de sa substance la condition de recevabilité que 4 Cf. Trib. adm. 8 décembre 2004, n° 18133, www.ja.etat.lu, confirmé par C.A. 10 mai 2005, n°19168 du rôle 5 Voir notamment trib. arr. (1er section), 1er mars 2004, n° 75235 et 78302 du rôle, confirmé par arrêt civil du 23 mars 2005, n° 29004 et 29070 du rôle) constitue l’exigence d’un intérêt et à dénaturer le recours objectif en annulation devant les juridictions administratives.6 Il suit de l’ensemble des développements qui précèdent qu’à défaut d’intérêt à agir suffisant maintenu au jour où le tribunal est amené à statuer, le recours encourt l’irrecevabilité.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 13 juin 2005 par :

Mme Lamesch, juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lamesch 6 Cf. Trib. adm. 22 avril 2005, n° 19656 du rôle 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19899
Date de la décision : 13/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-13;19899 ?

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