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13/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19301

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 juin 2005, 19301


Numéro 19301 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 février 2005 Audience publique du 13 juin 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19301 du rôle, déposée le 11 février 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à

la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le ...

Numéro 19301 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 février 2005 Audience publique du 13 juin 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19301 du rôle, déposée le 11 février 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Jazon (Libéria), de nationalité libérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 13 janvier 2005 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2005;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2005 par Maître François MOYSE pour compte de Monsieur …;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Virginie VERDANET, en remplacement de Maître François MOYSE, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 juin 2005.

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Le 7 novembre 2003, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en dates des 5 décembre 2003 et 23 janvier 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, une audition complémentaire par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration ayant eu lieu le 31 août 2004.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par décision du 13 janvier 2005, notifiée par courrier recommandé du 17 janvier 2005, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il ressort du rapport de Service de Police Judiciaire que vous ne présentiez aucun document d’identité. Vous auriez quitté votre pays en bateau, mais vous n’avez aucune idée au sujet de la suite de votre voyage.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez, avec votre sœur, été capturés par des rebelles du groupe MODEL. Ils vous auraient fait pression afin que vous soyez des leurs et pour les aider à recruter d’autres personnes. Vous auriez refusé et auriez été battu en conséquence. Votre sœur aurait été violée par plusieurs rebelles, elle aurait perdu beaucoup de sang et ne la nourrissant pas, elle serait décédée. Finalement afin d’éviter d’être tué vous auriez accepté ce qu’ils demandaient. Vous auriez été envoyé avec un autre jeune pour recruter des gens, accompagné de deux rebelles. Vous auriez réussi à vous échapper avec le second garçon, qui par la même occasion aurait emporté un sac contenant de l’argent, sac appartenant aux rebelles. Vous auriez rencontré sur votre chemin un certain Jacob qui vous aurait hébergé durant 2 jours et en échange d’une somme d’argent il vous aurait fait monter ainsi que votre compagnon sur un bateau. Vous seriez de cette façon arrivé en Europe dans un endroit inconnu après 17 jours de voyage. Vous auriez pour finir pris un bus pour arriver au Luxembourg, grâce à l’aide d’un blanc.

Vous déclarez que les rebelles seraient à votre recherche, et qu’en cas de retour au Libéria vous seriez tué. Vous désirez vivre en paix et travailler au Luxembourg.

Enfin, vous n’êtes membre d’aucun parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Ensuite, à défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il convient de souligner que vous avez menti, et ce avec persistance, lorsque vous avez répondu par la négative au fait d’avoir été dans un autre pays de l’Union Européenne et de ne jamais avoir demandé l’asile ailleurs. En effet, selon nos informations, vous avez été demandeur d’asile aux Pays-Bas dès mai 2001 et ce, sous une autre identité à savoir « Kevin ROBERT », accompagnée d’une autre date de naissance, c’est à dire le 1er janvier 1981. Par conséquent, une telle constatation entraîne de sérieux doutes quant à l’authenticité de l’entièreté de votre récit. A ce sujet, l’article 6 2b) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. Tel sera le cas notamment lorsque le demandeur a délibérément fait de fausses déclarations verbales ou écrites au sujet de sa demande, après avoir demandé l’asile ».

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

De plus, vous mentionnez le fait d’avoir été capturé par les rebelles 3 ou 4 mois avant l’audition. Or, même à supposer que vous soyez retourné au Libéria après être resté entre 2001 et 2003 aux Pays-Bas avant de revenir en Europe respectivement au Luxembourg, cette supposition est ébranlée par le fait que vous précisez qu’à votre départ Charles Taylor était président. Ce qui se trouve être erroné puisque non seulement Charles Taylor a été évincé en août 2003 pour laisser place à un gouvernement transitoire, mais de plus la mission des Nations Unies était déjà présente à ce moment là et la guerre civile terminée. Il s’ensuit que votre récit n’est pas crédible et votre crainte dénuée de fondement.

De toutes façons, les rebelles ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, votre désir de travailler au Luxembourg ne rentre pas dans le cadre de la prédite Convention.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 11 février 2005, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de cette décision ministérielle du 13 janvier 2005.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

Le demandeur reproche d’abord au ministre le non-respect de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 concernant la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes et de l’article 12 de la loi prévisée du 3 avril 1996 en ce que la décision critiquée n’aurait pas été « correctement motivée ».

Le demandeur est cependant malvenu de critiquer la motivation de la décision litigieuse, étant donné, d’une part, que la décision ministérielle du 13 janvier 2005 énonce clairement et exhaustivement les motifs à la base du rejet de la demande d’asile du demandeur et, d’autre part, que le demandeur reste en défaut de faire valoir un quelconque élément de nature à indiquer le caractère lacuneux de ladite motivation.

A l’appui de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, le demandeur expose que lui-même et sa sœur auraient été capturés par des rebelles du mouvement « Model » qui lui auraient remis des armes et l’auraient forcé de rejoindre leur mouvement, que face à son refus, ces rebelles l’auraient frappé et auraient violé sa sœur, qu’ils les auraient retenus encore et fait pression sur lui afin de rejoindre leurs rangs sous peine de tuer sa sœur et que les rebelles lui auraient montré un soir sa sœur en sang, laquelle serait morte peu après faute de nourriture et de soins. Le demandeur continue qu’il aurait alors accepté l’offre des rebelles afin de sauver sa vie et qu’il se serait enfui lors de sa première sortie avec les rebelles en vue de recruter de gré ou de force d’autres membres. Le demandeur en déduit qu’au vu de ses pensées pacifistes et de son refus de se battre aux côtés des rebelles, le traitement subi de la part des rebelles devrait être considéré comme persécution au sens de la Convention de Genève et qu’il craindrait à juste titre pour sa vie si les rebelles le retrouvaient. Le demandeur argue finalement qu’on ne saurait retenir qu’il aurait volontairement menti quant à une demande d’asile antérieure en Europe, vu qu’il « a voulu indiquer simplement que, ayant été contrôlé dans la rue en Hollande, les autorités l’ont forcé à demander l’asile contre son gré, du fait de son statut d’illégal. Il n’a ainsi jamais voulu être un réfugié en Hollande ».

Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2004, v° Recours en réformation, n° 12).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions respectives en dates des 5 décembre 2003, 23 janvier et 31 août 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, c’est d’abord à bon droit que le ministre relève le fait que le demandeur n’a pas avoué l’existence du dépôt antérieur d’une demande d’asile aux Pays-Bas sous une autre identité et l’incidence de cette fausse indication et de son séjour aux Pays-Bas sur la crédibilité de son récit.

Ensuite, le demandeur fait en substance état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre par des rebelles en raison de son refus de rejoindre leurs rangs et estime que la crainte afférente pourrait être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié au vu de la situation instable et non sécurisée dans son pays d’origine.

Force est dès lors de constater que le demandeur se prévaut d’actes de persécution émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains groupements de la population, il y a lieu de relever qu’une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-

qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, la situation a fondamentalement changé au Libéria par la signature en août 2003 d’un accord entre le gouvernement libérien, les forces rebelles, les partis politiques et des représentants de la société civile et par l’instauration en date du 14 octobre 2003 d’un gouvernement de transition. S’y ajoute qu’une force internationale (UNMIL) a été instaurée par la résolution n° 1509 du Conseil de Sécurité des Nations Unies du 19 septembre 2003 avec la mission notamment d’assurer la sécurité intérieure du pays et de soutenir la démobilisation et le désarmement des forces rebelles.

Face à cette évolution positive de la situation générale au Libéria et en l’absence d’éléments quelconques de nature à étayer un risque concret de recrudescence des violences, les faits mis en avant par le demandeur, tenant essentiellement à des actions de forces rebelles, ne sont plus de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours en réformation doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 13 juin 2005 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19301
Date de la décision : 13/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-13;19301 ?

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