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13/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19255

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 juin 2005, 19255


Numéro 19255 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 février 2005 Audience publique du 13 juin 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19255 du rôle, déposée le 3 février 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à

la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le ...

Numéro 19255 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 février 2005 Audience publique du 13 juin 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19255 du rôle, déposée le 3 février 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Tenkodogo (Burkina Faso), de nationalité burkinabé, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 22 novembre 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 5 janvier 2005 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2005;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2005 par Maître François MOYSE pour compte de Monsieur …;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Virginie VERDANET, en remplacement de Maître François MOYSE, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 juin 2005.

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Le 23 août 2004, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en dates des 16 septembre et 1er octobre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par décision du 22 novembre 2004, notifiée par courrier recommandé du 24 novembre 2004, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 26 août 2004 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 16 septembre 2004.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 26 août 2004 que vous auriez quitté le Burkina Faso en juillet 2004 pour vous rendre en Côte d’Ivoire où vous auriez fait la connaissance d’une personne qui vous aurait fait entrer dans un bateau à Abidjan. Vous ignorez dans quel port vous auriez accosté, vous ajoutez simplement y avoir pris un train vers une destination inconnue qui se serait avérée être le Luxembourg. Vous y avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le 23 août 2004. Vous précisez lors de l’audition du 16 septembre 2004 n’avoir rien payé pour votre voyage. Vous présentez une copie d’un extrait du registre des actes de l’Etat Civil de votre commune de naissance délivré le 24 décembre 1992.

Il résulte de vos déclarations que lors de vos études supérieures à Ouagadougou/Burkina Faso vous auriez été membre d’une association estudiantine « ANEB ». En 1997, cette association aurait appelé à la grève afin de manifester contre le traitement inégalitaire entre étudiants et contre les conditions dégradées de l’université. Une marche aurait été organisée jusqu’au rectorat où vous auriez été interceptés par la police. Quelques personnes, dont vous même, auraient été arrêtées par la police, frappées et emmenées dans les locaux de la sûreté nationale. Vous auriez été relâché après trois jours et on vous aurait ordonné d’arrêter vos activités. Vous auriez pourtant continué ce qui vous aurait valu des menaces. En mars 1997, alors que vous auriez été en moto, deux personnes assises également sur une moto vous auraient donné un coup de pieds de sorte que vous seriez tombé de la moto. En juin 1997, vous auriez alors décidé de quitter le Burkina Faso pour la Côte d’Ivoire. Vous pensez toujours être recherché au Burkina Faso.

Vous auriez séjourné de juin 1997 à juillet 2004 en Côte d’Ivoire où vous auriez travaillé comme enseignant. Vous auriez quitté ce pays à cause de la crise politique y régnant et parce que les burkinabés seraient accusés être les responsables de cette crise. Vers mai-juin 2004 vous auriez été arrêté par les forces de l’ordre, en fait des jeunes patriotes parce que les burkinabés seraient soupçonnés de vouloir déstabiliser le régime ivoirien en place. Ces personnes vous auraient ordonné de quitter la Côte d’Ivoire et auraient confisqué votre passeport et votre carte d’identité. Vous faites également état de diverses intimidations et agressions liées au fait que vous seriez burkinabés et considéré comme menace.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et vous ne faites pas état d’autres problèmes au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Force est cependant de constater que des contradictions et invraisemblances dans votre récit laissent planer des doutes quant à l’intégralité de votre passé et au motif de fuite invoqué. Ainsi, vous indiquez auprès du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté votre pays d’origine en juillet 2004 pour la Côte d’Ivoire, lors de l’audition vous déclarez pourtant avoir quitté le Burkina Faso en juin 1997 et que vous auriez pris un bateau en Côte d’Ivoire en juillet 2004, sans pour autant préciser que vous seriez retourné dans votre pays natal. Vous avez également étalé auprès de la police luxembourgeoise avoir pris un train pour le Luxembourg, or lors de l’audition auprès de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration vous dites que vous seriez descendu du bateau à l’intérieur d’un conteneur qui par la suite aurait été monté sur un camion et ce serait ce camion qui vous aurait emmené au Luxembourg. Il est également peu probable que vous n’ayez rien payé pour votre voyage en Europe.

Quoi qu’il en soit et même à supposer vos dires comme vrais, ils ne sauraient, en eux-mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, suffire pour fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, §2 de la Convention de Genève. Le fait que vous auriez été arrêté et menacé au Burkina Faso en 1997 à cause de vos activités au sein d’une association estudiantine ne saurait fonder une demande en obtention du statut de réfugié étant donné que ces faits sont trop éloignés dans le temps. Vous pensez être toujours recherché, raison pour laquelle vous ne seriez pas en mesure de retourner au Burkina Faso. Or de telles affirmations relèvent de la pure allégation et de simples craintes hypothétiques qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable ne sauraient constituer des motifs visés par la Convention de Genève.

En ce qui concerne les motifs pour lesquels vous auriez quitté la Côte d’Ivoire, ils ne sont aucunement pertinents eu égard à votre demande d’asile. En effet, la Convention de Genève prend en compte uniquement les persécutions subies dans le pays d’origine du demandeur ou s’il n’a pas de nationalité dans le pays où il a sa résidence habituelle. Vous vous dites être burkinabés et présentez à cet effet un extrait du registre des actes de l’Etat de votre commune de naissance délivré le 24 décembre 1992.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 20 décembre 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du même ministre du 5 janvier 2005, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 22 novembre 2004 et confirmative du 5 janvier 2005 par requête déposée le 3 février 2005.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

Le demandeur reproche d’abord au ministre le non-respect de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 concernant la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes et de l’article 12 de la loi prévisée du 3 avril 1996 en ce que les décisions critiquées n’auraient pas été « correctement motivées ».

Le demandeur est cependant malvenu de critiquer la motivation des décisions litigieuses, étant donné, d’une part, que la décision ministérielle du 22 novembre 2004 énonce clairement et exhaustivement les motifs à la base du rejet de la demande d’asile du demandeur et, d’autre part, que le demandeur reste en défaut de faire valoir un quelconque élément de nature à indiquer le caractère lacuneux de ladite motivation.

A l’appui de son recours, le demandeur fait encore valoir qu’il aurait poursuivi depuis 1995 des études supérieures à l’université de Ouagadougou au Burkina-Faso, que les conditions de la plupart des étudiants se seraient dégradées au cours des études, du fait notamment de l’arbitraire des autorités dans l’admission des étudiants et de l’attribution de logements et de bourses, qu’il aurait alors adhéré à l’ANEB (Association nationale des étudiants du Burkina) et qu’il aurait participé en 1997 à l’organisation d’une grève et d’une manifestation d’étudiants dont le but aurait été de se rendre au rectorat puis au bureau du Premier Ministre. Le demandeur expose que lors de cette manifestation, la police aurait barré le chemin aux manifestants et tiré des coups de feu, qu’il aurait été arrêté avec une dizaine de personnes, qu’il aurait été emmené dans les locaux de la sûreté nationale pour y être retenu durant trois jours en le maintenant sans sommeil durant une nuit et le privant de nourriture durant deux jours et qu’il n’aurait été libéré que grâce à la poursuite de la manifestation par les étudiants. Le demandeur ajoute qu’avant sa libération, les policiers lui auraient enjoint d’arrêter immédiatement ses activités au sein du mouvement estudiantin sous peine de se faire tuer, qu’un autre mouvement estudiantin proche du gouvernement aurait ensuite tenté de saborder les activités de l’ANEB dont les membres auraient dû se réunir en cachette et qu’il aurait continué à recevoir des menaces du fait de son activité au sein de l’ANEB, ayant notamment été renversé avec sa moto par des personnes inconnues en rentrant après une réunion de l’ANEB. Le demandeur conclut que ces faits, qui l’auraient amené à quitter le 12 juin 1997 le Burkina-Faso en direction de la Côte d’Ivoire fonderaient une crainte justifiée de persécution dans son chef.

Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2004, v° Recours en réformation, n° 12).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions en dates des 16 septembre et 1er octobre 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, abstraction même faite de certaines incohérences du récit du demandeur, au vu du fait que les événements dont il se prévaut se sont déroulés au cours de l’année 1997 déjà et qu’il a quitté le Burkina Faso en juin 1997, l’admission au statut de réfugié impliquerait la preuve concrète par le demandeur qu’il risquerait encore à l’heure actuelle de subir des persécutions en raison de ses activités au sein de l’ANEB durant l’année 1997. Or, au-delà de sa simple affirmation de l’existence d’un tel risque, le demandeur restant entièrement en défaut de soumettre un quelconque élément de nature à corroborer cette pétition, le tribunal est amené à conclure que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 13 juin 2005 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19255
Date de la décision : 13/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-13;19255 ?

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