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08/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19449

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 juin 2005, 19449


Tribunal administratif N° 19449 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mars 2005 Audience publique du 8 juin 2005 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19449 du rôle et déposée le 7 mars 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des

avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo/Etat de Servie et Monténégro)...

Tribunal administratif N° 19449 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mars 2005 Audience publique du 8 juin 2005 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19449 du rôle et déposée le 7 mars 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo/Etat de Servie et Monténégro), de son épouse, Madame …-…, née le … (Kosovo/Etat de Servie et Monténégro), de leur enfant mineur … , né le … , ainsi que de Monsieur …, né le …. , tous de nationalité serbo-monténégrine, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision d'incompétence du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration, prise le 14 février 2005, pour examiner leur demande d'asile au motif que la compétence afférente reviendrait aux Pays-Bas, Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 9 mars 2005, numéro 19450 du rôle, ayant débouté Monsieur … et consorts de leur demande en sursis à exécution de la décision ministérielle du 14 février 2005;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2005 ;

Vu les pièces versées et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 30 mai 2005 en présence de Maître Radu DUTA, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKE, et de Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES, qui se sont tous les deux rapportés aux écrits respectifs de leurs parties.

Le 20 décembre 2004, Monsieur …, son épouse, Madame …-…, leur enfant mineur …, ainsi que Monsieur …, tous de nationalité serbo-monénégrine, ci-après dénommés "les consorts …", introduisirent oralement une demande en obtention du statut de réfugié politique auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères.

Par décision du 14 février 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration, se basant sur l'article 16, paragraphe 1er du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, ci-après désigné par "le règlement n° 343/2003", se déclara incompétent pour connaître de la demande d'asile en les termes suivants :

« Par la présente, j'accuse réception de votre demande en obtention du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 que vous avez présentée oralement en date du 20 décembre 2004 et je regrette de vous informer qu'en vertu des dispositions de l’article 16§I du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003, ce n'est pas le Grand-Duché de Luxembourg, mais le Royaume des Pays-Bas qui est responsable du traitement de votre demande d'asile.

Le Grand-Duché de Luxembourg n'étant pas compétent pour examiner votre demande, je regrette de ne pas pouvoir réserver d'autres suites à votre dossier (…)».

En date du 8 février 2005, les autorités luxembourgeoises ont sollicité et en date du 14 février 2005, elles ont obtenu, de la part des autorités néerlandaises, un engagement de reprise en charge des consorts ….

Le transfert des consorts … vers les Pays-Bas a été effectué en date du 10 mars 2005.

Par requête déposée le 7 mars 2005, inscrite sous le numéro 19449 du rôle, les consorts … ont introduit un recours tendant à l'annulation de la décision d'incompétence du ministre de la Justice du 14 février 2005, et par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 19450 du rôle, ils ont sollicité du président du tribunal administratif le sursis à exécution de la prédite décision ministérielle.

Par ordonnance du 9 mars 2005, le président du tribunal administratif débouta les consorts … de leur requête tendant au sursis à exécution de la décision ministérielle précitée.

A l’appui de leur recours, les consorts … exposent en premier lieu pour quelles raisons Monsieur … a fui son pays d'origine avec sa famille et pourquoi ils s'estiment en droit d'obtenir le statut de réfugié politique. Aucune indication ne renseigne cependant sur l'itinéraire utilisé pour arriver finalement au Luxembourg, ni sur un séjour préalable ou une introduction d'une demande d'asile aux Pays-Bas ou ailleurs. Il existe par ailleurs une certaine confusion sur le point de savoir s’ils ont résidé en Albanie ou au Kosovo, alors que la requête mentionne les deux comme pays de résidence des demandeurs.

Les consorts … exposent ensuite qu'ils ont dû fuir leur pays d’origine l’Albanie (sic) et demander l’asile à l’étranger. Ils ajoutent que suite aux événements tragiques vécus par eux, Madame … souffrirait d'une profonde dépression ne lui permettant plus un nouveau déplacement aux conséquences incertaines. Ils soulèvent encore que les Pays-Bas leur auraient donné l’ordre de quitter leur territoire sans qu’ils auraient été à même à développer leurs arguments lors d’une audition aux Pays-Bas. Dès lors, comme ils s’estiment persécutés dans leur pays d'origine et qu'ayant reçu l'ordre de quitter le territoire des Pays-Bas, leur vie serait en danger dès qu'ils y retourneraient étant donné que les autorités néerlandaises ne manqueraient pas de les renvoyer vers leur pays d'origine une fois transférés aux Pays-Bas.

En droit, ils font valoir que la décision ministérielle du 14 février 2005 ne serait pas motivée dans la mesure où la simple reproduction du texte de la loi à la base de la décision déférée ne suffirait pas pour répondre aux exigences de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.

Ils considèrent en outre qu'en vertu de l'article 16, paragraphe 4 du règlement 343/2003, la compétence en la matière ne reviendrait plus aux Pays-Bas qui leur auraient formellement ordonné de quitter leur territoire, de sorte la compétence de l'examen de leur demande d'asile reviendrait de nouveau au Luxembourg.

Le délégué du Gouvernement précise en premier lieu que le système Eurodac a révélé l’existence de demandes d’asiles antérieures déposées aux Pays-Bas et en Belgique. Ainsi, les demandeurs auraient d’abord demandé l’asile politique aux Pays-

Bas, puis en Belgique, puis à nouveau aux Pays-Bas pour finalement en déposer une au Luxembourg.

Il conclut ensuite à la motivation suffisante de la décision litigieuse et au bien-

fondé de la décision d’incompétence prise par le ministre au vu des faits de l’espèce.

Le recours en annulation, non autrement contesté, est recevable pour avoir été introduit dans les délai et formes de la loi.

Le moyen d’annulation invoqué par les demandeurs consistant à soutenir que la décision ministérielle attaquée serait entachée d’illégalité pour insuffisance de motivation est à abjuger comme étant non fondé, étant donné que la décision du 14 février 2005 indique de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels le ministre s’est basé pour justifier sa décision d’incompétence, et ces motifs ont ainsi été portés à suffisance de droit, à la connaissance des demandeurs.

Le moyen des demandeurs relatif à la violation de l’article 16 paragraphe 4 du règlement CE n° 343/2003 consiste à soutenir que les Pays-Bas ne seraient plus responsables du traitement de leur demande d’asile, étant donné qu’ils auraient donné l’ordre aux demandeurs de quitter leur territoire, de sorte que la procédure y entamée serait achevée et que dès lors ils seraient libres d’introduire une nouvelle demande d’asile dans un pays qu’ils estiment plus impartial.

Il convient de préciser de prime abord qu’il se dégage du premier considérant du règlement n° 343/2003, précité, qu'une politique commune dans le domaine de l'asile, incluant un régime d'asile européen commun, est un élément constitutif de l'objectif de l'Union européenne visant à mettre en place progressivement un espace de liberté, de sécurité et de justice ouvert à ceux qui, poussés par les circonstances, recherchent légitimement une protection dans la Communauté. Tablant sur l'équivalence des procédures devant assurer la protection des demandeurs d'asile applicables dans les différents Etats membres, le règlement en question fixe des règles de compétence en vue de déterminer l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile émanant d'un ressortissant d'un Etat tiers. Il s'ensuit qu'un demandeur d'asile ne saurait se prévaloir d'un préjudice quelconque qu'il risquerait de subir au cas où sa demande d'asile serait examinée dans un Etat membre plutôt que dans un autre.

Par conséquent, le seul fait que le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration luxembourgeois se soit déclaré incompétent en faveur des autorités néerlandaises n'est pas de nature à causer un préjudice aux consorts ….

Aux termes de l’article 16 (1) du règlement n° 343/2003, précité, « l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile en vertu du présent règlement est tenu de : (e) reprendre en charge, dans les conditions prévues à l’article 20, le ressortissant d’un pays tiers dont il a rejeté la demande et qui se trouve, sans en avoir reçu la permission, sur le territoire d’un autre Etat membre ».

En l’espèce, il est constant que les consorts … ont présenté une première demande d’asile aux Pays-Bas, de sorte que la compétence revient à ce pays en vertu de l’article 5 (2) du règlement précité. Il est encore constant que la demande d’asile est examinée par un seul Etat membre en vertu des dispositions de l’article 3 (1) du règlement, à savoir celui qui est responsable du traitement de la demande. Il en découle que c’est à bon droit que le ministre a conclu à la compétence des autorités néerlandaises pour traiter et assurer le suivi de la demande d’asile des demandeurs.

En effet, il ne saurait en être autrement dans la mesure où les dispositions de l'article 16, paragraphe 1er, et plus particulièrement sub e) du règlement impliquent logiquement qu'un rejet d'une demande d'asile dans un Etat membre produit ses effets dans les autres Etats membres. Admettre le contraire priverait de toute justification les règles de compétence établies par le règlement précité et les priverait par ailleurs de toute efficacité en ce qu'un demandeur d'asile débouté dans un Etat membre pourrait tenter d'obtenir l'asile politique dans chacun des autres Etats membres, dans le cadre de procédures successives, sur base de mêmes faits et arguments ayant motivé la demande initiale.

Cette disposition du paragraphe 1er n’est pas tenue en échec par la disposition de l’article 16, paragraphe 4 du règlement précité, dans la mesure où les conditions d’application de cet alinéa ne sont pas remplies en l’espèce.

En effet, aux termes de l’article 16, paragraphe 4, du règlement précité, « les obligations prévues au paragraphe 1, points d) et e), cessent également dès que l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile a pris et effectivement mis en œuvre, à la suite du retrait ou de rejet de la demande d’asile, les dispositions nécessaires pour que le ressortissant d’un pays tiers se rende dans son pays d’origine ou dans un autre pays où il peut légalement se rendre » .

Ainsi, l’argument tiré de ce qu'au vu du rejet de leur demande d'asile par les autorités néerlandaises, celles-ci ne seraient plus compétentes pour la reprise des demandeurs, est à rejeter, étant donné que le prédit article dispose que l'obligation de reprise cesse dès l'instant que l'Etat membre normalement compétent a pris et effectivement mis en œuvre les dispositions nécessaires pour que le ressortissant d'un pays tiers se rende dans son pays d'origine, hypothèse non vérifiée en l'espèce.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais ;

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 juin 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19449
Date de la décision : 08/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-08;19449 ?

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