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08/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19436

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 juin 2005, 19436


Tribunal administratif N° 19436 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mars 2005 Audience publique du 8 juin 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19436 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2005 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Balance (Kosovo/Etat de Serbie et

Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la ...

Tribunal administratif N° 19436 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mars 2005 Audience publique du 8 juin 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19436 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2005 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Balance (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 14 décembre 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 31 janvier 2005, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

Le 9 juillet 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 8 décembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 14 décembre 2004, notifiée par lettre recommandée le 17 décembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du même jour et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 8 décembre 2004.

Vous auriez quitté le Kosovo le 3 juillet 2004. Vous auriez voyagé dans une camionnette fermée et vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre trajet jusqu’au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 9 juillet 2004.

Vous n’auriez pas effectué votre service militaire ; vous seriez membre du parti LDK.

Vous exposez que, en votre présence, deux de vos amis auraient déchiré une affiche représentant Hashim THAQI, le président du PDK. Un mois après, vous auriez reçu un courrier anonyme vous mettant en demeure, vos amis et vous, de réparer l’affiche abîmée. Cette missive portait le sceau du PDK. Vous auriez porté plainte à la police. Vous auriez aussi été vous plaindre au LDK et même au PDK, mais personne ne pouvait vous aider. Par la suite, on aurait tiré sur la maison de vos amis. Vous ne vous seriez plus senti en sécurité et vous auriez quitté le Kosovo.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Le fait d’avoir reçu une lettre anonyme, même sur papier à en-tête du PDK est insuffisant pour obtenir l’asile politique. Il s’agit d’une infraction de droit commun comme en commettent parfois certains extrémistes. Ces personnes ne sauraient être considérées comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Quant à votre crainte des membres du PDK, elle est injustifiée car je remarque que vous avez vous-même été demander de l’aide auprès des représentants de ce parti sur votre commune et que vous y avez été reçu courtoisement. De plus, si vous vous étiez senti à ce point menacé dans votre quartier ou dans votre ville, vous auriez pu chercher à vous établir ailleurs au Kosovo ou même ailleurs en Serbie-Monténégro.

Tout au plus, peut-on déduire de votre histoire que vous éprouvez un sentiment général d’insécurité mais pas une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. Pour le surplus, le Kosovo, pour un Albanais, n’est pas à considérer comme un territoire sur lequel des risques de persécution sont à craindre.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 17 janvier 2005 à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 14 décembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit le 31 janvier 2005 une décision confirmative, laquelle fut notifiée à Monsieur … par voie de lettre recommandée expédiée le 1er février 2005.

Le 3 mars 2005, Monsieur … a introduit un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions ministérielles précitées des 14 décembre 2004 et 31 janvier 2005.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de la ville de Balance au Kosovo, de confession musulmane et qu’il aurait été membre du parti politique LDK. Monsieur … expose plus particulièrement que deux de ses amis auraient déchiré en sa présence une affiche du président du parti politique PDK et que par la suite, il aurait reçu, tout comme ses amis, une lettre de menace portant le sceau du parti PDK leur enjoignant de réparer l’affiche abîmée dans un délai de deux semaines sous peine d’être « éliminé ». Après l’expiration dudit délai, des personnes inconnues auraient tiré sur la maison de ses amis, de sorte qu’il ne se serait plus senti en sécurité ce qui l’aurait incité à quitter son pays d’origine pour trouver refuge à l’étranger.

En substance, il reproche au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que le recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 8 décembre 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions. Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal, le récit du demandeur traduisant tout au plus un sentiment général d’insécurité, sans qu’il n’ait fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine. Au contraire, il échet de relever que les faits allégués par le demandeur relativement aux menaces de mort à son encontre par des sympathisants du parti politique PDK, à les admettre comme étant vrais, ont certes trait à des pratiques condamnables, mais ne dénotent pas une gravité telle qu’ils établissent une crainte justifiée de persécution dans le chef du demandeur.

Pour le surplus, force est de constater que Monsieur … se prévaut de menaces émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées, d’ailleurs non autrement identifiées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains éléments de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile.

En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce, le demandeur n’a ni démontré que les autorités en place encourageraient ou toléreraient de tels actes, ni n’a-t-il démontré que celles-ci auraient été dans l’incapacité de le protéger. En effet, le demandeur a précisé lors de son audition qu’il a pu déposer une plainte et que les autorités policières locales étaient disposées à arrêter les auteurs des menaces, à condition de pouvoir les identifier.

Finalement, les craintes invoquées en l’espèce se cristallisent exclusivement autour de la ville de Balance au Kosovo et le demandeur, d’origine albanaise et en tant que tel, membre de la communauté ethnique majoritaire au Kosovo, ne soumet aucun élément pertinent permettant d’établir des raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, et plus particulièrement, dans une autre ville du Kosovo, majoritairement peuplée par des Albanais, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 8 juin 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19436
Date de la décision : 08/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-08;19436 ?

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