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06/06/2005 | LUXEMBOURG | N°s18649,18913

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 juin 2005, s18649,18913


Tribunal administratif N°s 18649 et 18913 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 15 septembre et 26 novembre 2004 Audience publique du 6 juin 2005

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Recours formé par Madame …, … contre une décision du directeur du Service National de la Jeunesse et deux décisions de la ministre de la Famille et de l’Intégration en matière d’employée de l’Etat

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JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 18649 du rôle et déposée

le 15 septembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Monique WATGEN, avocat à la Cour, inscrit...

Tribunal administratif N°s 18649 et 18913 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 15 septembre et 26 novembre 2004 Audience publique du 6 juin 2005

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Recours formé par Madame …, … contre une décision du directeur du Service National de la Jeunesse et deux décisions de la ministre de la Famille et de l’Intégration en matière d’employée de l’Etat

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JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 18649 du rôle et déposée le 15 septembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Monique WATGEN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, éducatrice graduée au Service National de la Jeunesse, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du 13 juillet 2004 du directeur du Service National de la Jeunesse l’informant que son contrat de travail du 3 juin 2004, conclu à durée indéterminée et à temps plein avec la ministre de la Famille « ne pourrait prendre effet à compter du 16 juillet 2004 » et d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par la ministre de la Famille et de l’Intégration en date du 18 août 2004 ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 22 septembre 2004 prononçant le sursis à exécution de la décision du directeur du Service National de la Jeunesse du 13 juillet 2004 et de la décision confirmative de la ministre de la Famille et de l’Intégration du 18 août 2004 en attendant que le tribunal se soit prononcé au fond sur le mérite du recours introduit ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2004 par Maître Monique WATGEN en nom et pour compte de la demanderesse ;

II.

Vu la requête inscrite sous le numéro 18913 du rôle et déposée le 26 novembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Monique WATGEN au nom de Madame …, préqualifiée, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision de la ministre de la Famille et de l’Intégration du 10 novembre 2004 l’informant que son engagement comme employée de l’Etat auprès du Service National de la Jeunesse est révoqué avec effet rétroactif au 16 juillet 2003 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 janvier 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 21 janvier 2005 par Maître Monique WATGEN en nom et pour compte de la demanderesse ;

I. et II.

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Monique WATGEN et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

Par contrat de travail du 20 avril 2004, Madame … fut engagée comme éducatrice graduée au Service National de la Jeunesse pour une durée déterminée du 1er mai 2004 au 15 juillet 2004 et ceci avec une tâche partielle à raison de 20 heures par semaine.

Par contrat de travail du 3 juin 2004, Madame … fut engagée dans la même fonction pour une durée indéterminée et à tâche complète à raison de 40 heures par semaine à partir du 16 juillet 2004.

Suivant certificat médical du 1er juillet 2004, le docteur M. G. constata une incapacité de travail temporaire dans le chef de Madame … pour la période du 1er juillet au 12 septembre 2004.

Il ressort encore du résultat de l’examen médical d’embauche du 8 juillet 2004 du médecin de travail S. A.-B. auprès du ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative que Madame … fut déclarée « inapte temporairement » au poste envisagé d’éducatrice graduée.

Par courrier du 13 juillet 2004, le directeur du Service National de la Jeunesse, ci-

après dénommé le « directeur », fit parvenir à Madame … un courrier recommandé de la teneur suivante :

« J’ai l’honneur d’accuser réception de votre examen médical d’embauche du 8 juillet 2004.

Du fait que le médecin de travail compétent du Ministère de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative vous certifie une inaptitude temporaire pour briguer le poste d’éducatrice graduée auprès du SNJ, vous ne remplissez pas, selon l’art. 3- point d) de la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’Etat, les conditions requises pour être admise au service de l’Etat.

De ce fait, le contrat de travail à durée indéterminée à partir du 16 juillet 2004, ne pourra prendre effet.

A toutes fins utiles, je vous signale que conformément à l’article 12 du règlement grand-ducal du 5 mars 2004 concernant la santé et la sécurité du travail et le contrôle médical dans la fonction publique, un examen médical complémentaire pour les candidats à un emploi du secteur public, déclarés inaptes ou inaptes temporairement, peut être effectué par le médecin de contrôle sur demande de la partie intéressée, adressée au médecin de contrôle endéans les 8 jours qui suivent la réception du certificat médical d’embauche (…) ».

Suivant courrier du 22 juillet 2004, Madame …, par l’intermédiaire de son mandataire, introduisit un recours gracieux contre le courrier du 13 juillet 2004 du directeur.

Ledit recours gracieux fut rencontré par une lettre confirmative du 18 août 2004 de la ministre de la Famille et de l’Intégration, ci-après dénommée la « ministre », conçue en les termes suivants :

« J’accuse réception de votre estimée du 22 juillet 2004 concernant le recours gracieux contre une décision prise par M. le Directeur du Service National de la Jeunesse affectant la situation professionnelle de Mme ….

La présente pour vous confirmer la prise de position contenue dans la lettre du 13 juillet 2004 et pour vous informer du maintien de ma position que le contrat de travail à durée indéterminée à partir du 16 juillet 2004 de Mme … ne pourra prendre effet étant donné qu’elle ne remplit pas les conditions requises pour être admise au service de l’Etat selon les dispositions de l’art. 3, pt d) de la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’Etat (…) ».

Par ordonnance du 22 septembre 2004, le président du tribunal administratif prononça le sursis à exécution de la décision du directeur du 13 juillet 2004 et de la décision confirmative de la ministre du 18 août 2004.

Suivant courrier recommandé du 27 octobre 2004, intitulé « ordonnance du Tribunal Administratif du 22 septembre 2004 », la ministre informa Madame … de ce qui suit :

« La présente pour vous informer que j’envisage de révoquer, avec effet rétroactif au 16 juillet 2004, ma décision d’engagement du 3 juin 2004, au motif que vous ne remplissez pas la condition d’aptitude physique requise pour être admise au service de l’Etat en qualité d’employé de l’Etat conformément à l’article 3 sub d) de la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’Etat.

En effet, tant le médecin de travail que le médecin de contrôle du Ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative vous ont déclarée inapte au poste envisagé.

Conformément à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, vous disposez d’un délai de 8 jours pour présenter vos observations. Vous avez également le droit d’être entendue en personne, à condition d’en faire la demande dans les 8 jours (…) ».

Suivant courrier recommandé du 5 novembre 2004, Madame …, par l’intermédiaire de son mandataire, fit parvenir sa prise de position à la ministre.

Par courrier recommandé du 10 novembre 2004, la ministre prit une décision de la teneur suivante :

« La présente pour vous informer que je révoque, avec effet rétroactif au 16 juillet 2004, ma décision d’engagement du 3 juin 2004, au motif que vous ne remplissez pas la condition d’aptitude physique requise pour être admise au service de l’Etat en qualité d’employé de l’Etat conformément à l’article 3 sub d) de la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’Etat.

En effet, tant le médecin de travail que le médecin de contrôle du Ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative vous ont déclarée inapte au poste envisagé.

En vertu de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en dehors des cas où la loi en dispose autrement, l’auteur d’une décision administrative peut procéder au retrait rétroactif d’une décision ayant créé ou reconnu des droits en faveur d’un administré, pendant le délai imparti pour exercer contre cette décision un recours contentieux, ainsi que pendant le cours de la procédure contentieuse engagée contre cette décision.

A toutes fins, veuillez trouver en annexe, copie du résultat de l’examen médical d’embauche du médecin de travail ainsi que l’avis du médecin de contrôle (…) ».

Par une première requête déposée le 15 septembre 2004, Madame … a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre de la décision préindiquée du directeur du 13 juillet 2004 et à l’encontre de la décision confirmative de la ministre du 18 août 2004.

Le 26 novembre 2004, Madame … a encore fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision de la ministre du 10 novembre 2004.

Comme les deux recours sont dirigés contre trois décisions visant le même contrat de travail à durée indéterminée signé entre parties le 16 juillet 2004, il convient, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de les joindre pour les toiser par un seul et même jugement.

Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (cf. trib. adm. 28 mai 1997, n° 9667 du rôle, confirmé par Cour adm. 10 octobre 1997, n° 10082C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Recours en réformation, n° 5 et autres références y citées).

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours de pleine juridiction en la présente matière, le tribunal administratif est incompétent pour connaître des recours en réformation introduits en ordre principal.

Les recours subsidiaires en annulation sont recevables pour avoir par ailleurs été introduits dans les formes et délai de la loi.

Le tribunal n’est pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l’intérêt de l’administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent (cf. trib. adm. 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas.

adm. 2004, V° Procédure contentieuse, n° 226 et autres références y citées).

Les trois décisions attaquées soulèvent une question préalable consistant à savoir si c’est à bon droit que l’administration a pu considérer que l’engagement de Madame … était affecté d’un vice justifiant son annulation, étant notamment relevé qu’une décision de retrait ne se conçoit que pour un des motifs justifiant une annulation de la décision en question.

La demanderesse soutient qu’elle aurait été admise purement et simplement au service de l’Etat par le fait même de la signature du contrat du 3 juin 2004, de sorte que la condition d’admission inscrite à l’article 3 sub d) de la loi du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’Etat, à savoir « satisfaire aux conditions d’aptitude requises pour l’exercice de son emploi », serait inopérante et que la qualité d’employé de l’Etat lui aurait été reconnue dès le jour de la signature du contrat. Cette conclusion s’imposerait d’autant plus que le contrat d’engagement du 3 juin 2004 resterait muet quant à l’assujettissement des engagements contractés réciproquement à une condition suspensive ou résolutoire tirée de l’aptitude physique à exercer la fonction concernée. En effet, selon Madame …, l’Etat aurait eu la possibilité d’attendre le résultat de l’examen médical d’embauche avant de procéder à la conclusion du contrat d’engagement et en se dispensant de cette précaution avant la signature du contrat, la ministre aurait procédé à son engagement définitif, ce dont elle n’aurait pu se défaire que moyennant dénonciation du contrat dans les formes et délai de la loi.

Le délégué du gouvernement estime qu’avant de pouvoir être nommé employé de l’Etat, il faudrait, selon la législation applicable, se soumettre à un examen médical d’embauche. Or, en l’espèce, le médecin du travail aurait constaté en date du 8 juillet 2004 que Madame … serait temporairement inapte à occuper ses fonctions, de sorte que ce serait à bon droit qu’elle aurait été informée que le contrat en question ne pourrait prendre effet à la date prévue, à savoir le 16 juillet 2004. D’après le représentant étatique, à partir du moment où quelqu’un sollicite un emploi à durée indéterminée auprès de l’Etat, il doit impérativement remplir toutes les conditions auxquelles l’exercice de cette emploi est subordonné et en particulier il doit prouver son aptitude à exercer les fonctions en question. Partant, soit le médecin du contrôle constate une aptitude et le contrat pourra prendre ses effets, soit il constate une inaptitude, fut-elle temporaire, et le contrat ne pourra prendre effet à la date initialement prévue.

Aux termes de l’article 2 de la loi du 27 janvier 1972, précitée, « la qualité d’employé de l’Etat est reconnue à toute personne qui remplit les conditions prévues par la présente loi et qui est engagé par l’Etat sous contrat d’employé pour une tâche complète ou partielle et à durée déterminée ou indéterminée dans les administrations et services de l’Etat ».

L’article 3 de ladite loi dispose comme suit :

« Nul n’est admis au service de l’Etat en qualité d’employé s’il ne remplit les conditions suivantes : (…) d) satisfaire aux conditions d’aptitude requises pour l’exercice de son emploi (…) ».

Il est constant en cause que Madame … a été engagée à deux reprises par la ministre comme éducatrice graduée au Service National de la Jeunesse, une première fois par contrat de travail à durée déterminée signé le 20 avril 2004 et une deuxième fois par contrat de travail à durée indéterminée signé en date du 3 juin 2004.

Il ressort encore d’un certificat intitulé « résultat de l’examen médical d’embauche » du 8 juillet 2004, établi par le docteur S. A.-B., que la demanderesse a été déclarée inapte temporairement à occuper le poste d’éducatrice graduée.

Avant toute interprétation, le juge est amené à appliquer les dispositions légales suivant le sens premier qu'elles revêtent, dans la mesure où elles sont claires et précises (cf. trib. adm.

12 janvier 1999, n° 10800 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Lois et règlements, n° 45 et autres références y citées).

Or, au vu de la terminologie claire des articles 2 et 3 de la loi du 27 janvier 1972, précitée, l’aptitude requise pour l’exercice de l’emploi brigué doit s’analyser en une condition dont l’absence empêche que le contrat puisse se former et que le candidat puisse entrer aux services de l’Etat, de sorte que l’inaptitude, qu’elle soit temporaire ou définitive, avant la date du début du contrat, empêche que le candidat potentiel puisse être reconnu en tant qu’employé de l’Etat. En effet, l’article 2 de la loi du 27 janvier 1972, précitée, érige en condition impérative le fait pour un candidat de remplir les conditions prévues par la loi, dont l’aptitude physique telle qu’énoncée à l’article 3 sub. d) de ladite loi.

Ladite solution n’est pas ébranlée par l’attitude peu cohérente de l’Etat ayant consisté, d’une part, à exécuter le contrat à durée déterminée du 20 avril 2004 sans faire passer la demanderesse par l’examen médical d’embauche et, d’autre part, à ne pas faire précéder la signature du contrat à durée indéterminée du 3 juin 2004 de pareil examen.

S’il est certes vrai que la ministre a engagé à deux reprises Madame … en tant qu’employée de l’Etat avant d’avoir vérifié les conditions d’aptitude requises pour l’exercice de l’emploi, le tribunal arrive néanmoins à la conclusion, au vu de ce qui précède, que le contrat d’engagement du 3 juin 2004 n’a pas pu valablement se former, à défaut pour Madame … de remplir toutes les conditions légales.

Nonobstant cette conclusion, il convient cependant encore d’analyser si l’Etat s’est départi de façon légale du contrat du 3 juin 2004, en respectant notamment les règles spécifiques du droit administratif applicables en la matière et plus précisément les dispositions inscrites au règlement grand-ducal du 8 juin 1979 concernant la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, étant relevé qu’une situation même illégale peut créer ou reconnaître des droits en faveur d’un administré, comme ce fut le cas en l’espèce.

Quant au courrier du directeur du 13 juillet 2004 :

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement estime en premier lieu que la lettre du directeur du 13 juillet 2004 ne constitue pas une décision administrative faisant grief, au motif que ladite lettre n’aurait constaté qu’une situation de fait, à savoir une incapacité temporaire de travail documentée par le certificat du médecin de contrôle et que dès lors le contrat de travail ne pourrait prendre effet à la date souhaitée.

La demanderesse, de son côté, estime que la lettre du directeur constitue une véritable décision administrative lui causant grief, notamment eu égard au fait que suite audit courrier elle n’a plus touché de salaire à partir du 15 juillet 2004 et qu’elle s’est vue désaffilier du Centre commun de la sécurité sociale.

Pour le surplus, Madame … affirme que ladite lettre constitue une décision prise par une autorité incompétente. En effet, aux termes de l’article 4 de la loi du 27 janvier 1972, précitée, « l’engagement est effectué, sur avis du ministre de la Fonction publique, par le ministre qui a dans ses attributions l’administration ou le service dont relèvera l’employé (…) ». Partant, ce serait également le ministre du ressort qui aurait compétence pour décider si un engagement doit sortir ses effets ou non.

L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame. Si le caractère décisoire de l’acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n’est pas pour autant une condition suffisante. Pour être susceptible de faire l’objet d’un recours, la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief (cf. trib. adm.

18 mars 1998, n° 10286 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Actes administratifs, n° 4 et autres références y citées).

En l’espèce, il est constant en cause que suivant contrat de travail à durée indéterminée du 3 juin 2004, Madame … a été engagée en qualité d’employé de l’Etat avec effet à partir du 16 juillet 2004 et ceci avant que l’Etat n’ait procédé à l’examen médical d’embauche en vue de vérifier les conditions d’aptitude physique de la demanderesse pour l’exercice de cet emploi. Or, s’il est exact que le directeur dans le prédit courrier du 13 juillet 2004 signale également à la demanderesse la procédure à suivre en vue d’effectuer un contrôle médical complémentaire, ledit courrier doit cependant s’analyser en une décision administrative faisant grief en ce sens qu’elle affecte directement la situation personnelle et patrimoniale de la demanderesse, étant donné que le directeur a été la seule autorité ayant porté à la connaissance de la demanderesse que le contrat de travail signé entre parties ne pourra prendre effet, et que suite audit courrier du 13 juillet 2004, Madame … n’a plus touché son salaire à partir du 15 juillet 2004 et elle s’est vue désaffilier du Centre commun de la sécurité sociale.

Partant, le courrier du directeur du 13 juillet 2004 a produit un effet manifeste sur la situation professionnelle de la demanderesse, de sorte qu’il est à considérer comme décision de nature à faire grief.

Il s’ensuit que c’est à juste titre que la demanderesse soutient que ladite décision a été prise par une autorité incompétente, étant donné qu’aux termes de l’article 4 de la loi modifiée du 27 janvier 1972, précitée, le pouvoir d’engager un employé de l’Etat, et partant également, par respect du parallélisme des formes, toute décision susceptible de mettre fin à cet engagement pour quelque raison que ce soit, appartient au ministre du ressort, à savoir, en l’espèce, la ministre de la Famille et de l’Intégration.

Dès lors, la décision du 13 juillet 2004 du directeur constatant que le contrat à durée indéterminée signé entre parties ne pourra sortir ses effets à partir du 16 juillet 2004 encourt l’annulation pour incompétence de l’auteur l’ayant prise.

Quant à la décision de la ministre du 18 août 2004 :

Madame … soutient que ladite décision serait à annuler pour omission d’une formalité substantielle en ce que la ministre aurait omis avant sa prise de décision du 18 août 2004 de prendre au préalable l’avis du ministre de la Fonction publique, étant donné que ledit courrier serait à analyser comme résiliation unilatérale d’un contrat d’engagement, résiliation qui, aux termes de l’article 5 de la loi du 27 janvier 1972, précitée, ne pourrait être prononcée que sur avis du ministre de la Fonction publique.

C’est cependant à juste titre que le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen, étant donné que ledit courrier n’est pas à considérer comme une résiliation du contrat d’engagement du 3 juin 2004, mais comme décision constatant que le contrat d’engagement de la demanderesse n’a pas pu prendre effet au motif qu’elle ne remplit pas les conditions d’aptitude requises pour être admise au service de l’Etat, de sorte que l’avis du ministre de la Fonction publique n’était pas requis.

S’il est encore exact que la ministre, dans sa décision du 18 août 2004, confirme la position du directeur contenue dans le courrier du 13 juillet 2004, directeur qui était incompétent pour prendre pareille prise de position, tel que relevé ci-avant, la décision « confirmative » de la ministre ne devient cependant pas automatiquement nulle en raison de l’incompétence initiale du directeur, étant donné que la ministre, dans sa décision du 18 août 2004 ne se prononce pas sur la compétence du directeur à pouvoir prendre pareille décision, mais fait uniquement sienne le contenu de ladite décision, à savoir que la demanderesse ne remplit pas les conditions requises pour être admise au service de l’Etat.

La demanderesse critique ensuite une violation des dispositions inscrites à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, au motif que la ministre aurait révoqué une décision antérieure lui ayant reconnu des droits, et plus précisément les droits lui reconnus par le contrat d’engagement à durée indéterminée et à temps plein signé le 3 juin 2004.

Le délégué du gouvernement réfute cette argumentation au motif que la ministre n’aurait pas résilié un contrat d’engagement, mais se serait bornée à constater qu’une des conditions pour accéder au poste de travail visé n’aurait pas été remplie en raison de l’inaptitude physique de la demanderesse à accepter le poste.

L’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, précité, est libellé comme suit :

« Sauf s’il y péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.

Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations ».

Si c’est à juste titre que le délégué du gouvernement soutient que la ministre par sa décision du 18 août 2004 ne se propose pas de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits au profit de Madame …, mais se borne à constater qu’une des conditions pour accéder au poste de travail visé par le contrat à durée indéterminée n’est pas remplie, ladite ministre a néanmoins pris une décision en dehors de l’initiative de la demanderesse, décision qui s’inscrit dans le processus décisionnel entamé par une autorité incompétente, à savoir le directeur, constatant que le contrat d’engagement du 3 juin 2004 ne pourra prendre effet à partir du 16 juillet 2004.

Partant la ministre aurait dû accorder à la demanderesse un délai d’au moins huit jours pour présenter ses observations, face à l’affirmation que le contrat d’engagement du 3 juin 2004 ne pouvait prendre effet et ceci d’autant plus que la demanderesse avait sollicité un examen médical complémentaire auprès du médecin de contrôle du ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative en conformité avec l’article 12 du règlement grand-

ducal du 5 mars 2004 concernant la santé et la sécurité du travail et le contrôle médical dans la fonction publique et qu’elle avait porté à la connaissance de la ministre ce fait par courrier de son mandataire du 22 juillet 2004, rapport qui ne fut communiqué à Madame … qu’en annexe à la deuxième décision ministérielle du 10 novembre 2004.

Il s’ensuit que la décision de la ministre du 18 août 2004 encourt l’annulation pour violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, précité.

Quant à la décision de la ministre du 10 novembre 2004 :

La demanderesse estime que la décision de la ministre du 10 novembre 2004 est à annuler pour « violation du principe général du droit administratif qu’une décision administrative ne saurait produire d’effet rétroactif », étant donné qu’une décision administrative ne saurait produire ses effets vis-à-vis de l’administré que pour l’avenir, c’est à dire à partir de la date à laquelle elle a été prise par l’administration et notifiée à l’intéressé.

Dans ce contexte, ce serait plus particulièrement à tort que la ministre se serait référée à l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, précité, étant donné que la révocation légale avec effet rétroactif de la décision d’engagement du 3 juin 2004 n’aurait été possible que pendant le délai de recours contentieux, en l’espèce trois mois, c’est-à-dire jusqu’au 3 septembre 2004.

Pour le surplus, le retrait rétroactif d’un acte administratif ne serait possible que si l’acte en question serait entaché d’une irrégularité susceptible d’entraîner l’annulation dudit acte, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Le délégué du gouvernement rétorque que la ministre n’aurait pas procédé à un retrait rétroactif d’une décision ayant créé ou reconnu des droits en dehors du délai légal, étant donné que la demanderesse, en introduisant en date du 15 septembre 2004 son premier recours, inscrit sous le numéro du rôle 18649, et ayant pour objet le même contrat de travail, aurait engagé une procédure contentieuse pendant laquelle le retrait rétroactif de la décision ayant créé ou reconnu des droits à la demanderesse, à savoir le contrat d’engagement du 3 juin 2004, serait toujours possible. Pour le surplus, comme les conditions pour la conclusion du contrat d’engagement n’étaient pas remplies, à défaut par la requérante de satisfaire à toutes les conditions auxquelles la nomination en tant qu’employé de l’Etat est subordonnée, la ministre aurait été en droit de procéder à un retrait rétroactif pour une des causes qui auraient justifié l’annulation du contrat d’engagement du 3 juin 2004.

L’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, précité, énonce ce qui suit :

« En dehors des cas où la loi en dispose autrement, le retrait rétroactif d’une décision ayant créé ou reconnu des droits n’est possible que pendant le délai imparti pour exercer contre cette décision un recours contentieux, ainsi que pendant le cours de la procédure contentieuse engagée contre cette décision.

Le retrait d’une telle décision ne peut intervenir que pour une des causes qui aurait justifié l’annulation contentieuse de la décision ».

En l’espèce, il est constant en cause que la ministre a envisagé de procéder au retrait rétroactif de la décision d’engagement du 3 juin 2004 en informant la demanderesse de ses intentions par courrier recommandé du 27 octobre 2004, courrier envoyé en dehors du délai de recours contentieux, tel que cependant exigé par l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, précité.

Or, s’il est exact que la demanderesse, par requête déposée en date du 15 septembre 2004, a exercé un recours contentieux à l’encontre de la décision du directeur du 13 juillet 2004 et d’une première décision de la ministre du 18 août 2004, aucune procédure contentieuse n’a cependant été engagée à l’encontre de la décision ayant créé ou reconnu des droits à la demanderesse, à savoir le contrat d’engagement du 3 juin 2004.

Partant la ministre aurait dû procéder au retrait rétroactif de l’engagement du 3 juin 2004 avant l’expiration du délai de recours contentieux, soit le 3 septembre 2004, étant relevé que ladite ministre avait tous les éléments nécessaires en sa possession au plus tard le 23 juillet 2004, soit le lendemain de l’établissement du certificat médical du médecin de contrôle auprès du ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative, établi sur base de l’article 12 du règlement grand-ducal du 5 mars 2004, précité.

Il s’ensuit que la décision ministérielle du 10 novembre 2004 encourt l’annulation pour non-respect de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, précité, l’examen des autres moyens devenant surabondant.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l'égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître des recours en réformation ;

reçoit les recours en annulation en la forme ;

au fond les déclare justifiés ;

partant annule la décision du directeur du Service National de la Jeunesse du 13 juillet 2004, la décision de la ministre de la Famille et de l’Intégration du 18 août 2004 et la décision de la ministre de la Famille et de l’Intégration du 10 novembre 2004 ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 6 juin 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 11


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : s18649,18913
Date de la décision : 06/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-06;s18649.18913 ?

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