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06/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19414

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 juin 2005, 19414


Tribunal administratif N° 19414 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er mars 2005 Audience publique du 6 juin 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19414 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avo

cats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie et Monténégro), de ...

Tribunal administratif N° 19414 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er mars 2005 Audience publique du 6 juin 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19414 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du 17 décembre 2004 attribuée au ministre de la Justice et déclarant sa demande en obtention du statut de réfugié non fondée ainsi que d’une décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration datée du 31 janvier 2005 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Nicky STOFFEL le 6 mai 2005 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, en présence de Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES à l’audience publique du 30 mai 2005, Maître Nicky STOFFEL n’ayant été ni présente, ni représentée.

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Le 7 octobre 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Monsieur … fut entendu en date du 28 octobre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande.

Par décision datant du 14 décembre 2004, lui notifiée par courrier recommandé expédié le 28 décembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, l’informa de ce que sa demande avait été rejetée comme étant non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, au motif qu’il ne ferait valoir aucune crainte raisonnable de persécution pour une des raisons prévues par la Convention de Genève.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 26 janvier 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit une décision confirmative le 31 janvier 2005.

Par requête déposée le 1er mars 2005, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation et subsidiairement en annulation contre les décisions ministérielles précitées.

A l’appui de son recours il expose appartenir à la minorité bochniaque du Kosovo et avoir connu régulièrement des problèmes avec la population albanaise locale du fait que ses cousins auraient été policiers sous le régime serbe.

Il insiste encore sur le statut toujours incertain du Kosovo et se réfère aux violences au Kosovo ayant eu lieu en mars 2004.

Dans son mémoire en réplique il se réfère à « la dernière prise de position du UNHCR » de mars 2005 pour mettre en exergue les problèmes d’insécurité et d’instabilité sévissant au Kosovo, et notamment pour souligner que les personnes suspectées de collaboration avec les Serbes seraient spécialement menacées de représailles.

Le délégué du Gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation ; quant au fond, il conclut au bien-fondé des décisions litigieuses.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises, de sorte que le recours en annulation, formulé à titre subsidiaire, est irrecevable.

Le recours principal en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est pour sa part recevable.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. En effet, une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions.

S’il résulte en effet des déclarations du demandeur telles qu’actées au procès-

verbal d’audition que celui-ci appartient à la minorité bochniaque du Kosovo et est membre du parti politique SDA, il n’a cependant pas connu de réels problèmes du fait de cette double appartenance, hormis quelques provocations émanant de membres d’un autre parti politique, que lui-même relativise (« Ce n’étaient pas des problèmes directs et concrets (…) » et un sentiment latent d’insécurité causé par de jeunes provocateurs albanais.

En revanche, il résulte de ses déclarations que la raison de sa fuite est à rechercher dans le fait que la population albanaise lui ait prétendument reproché que l’un de ses cousins ait été policier sous le régime serbe (« Mes problèmes concrets (…) sont liés au fait que mon cousin est policier. Mon cousin a quitté le Kosovo lorsque moi je suis revenu et à cause de cela ils s’en sont pris à moi » (…) « La raison principale [de la fuite] est que mes cousins ont travaillé comme policiers pendant le régime serbe »).

Force est cependant de constater que les deux incidents relatés par le demandeur ne revêtent pas un caractère de gravité laissant supposer un danger sérieux pour sa personne.

En effet, le demandeur relate avoir été frappé en 1999 par un Albanais qui aurait reproché au demandeur et à son père d’avoir des cousins qui avaient servi les Serbes en tant que policiers, mais relativise lui-même cet incident en l’attribuant au fait que son agresseur avait bu (« à chaque fois qu’il avait bu il commençait à provoquer les gens »).

Il expose encore avoir été impliqué en 2000 dans une bagarre avec un Albanais qui, suite à une dispute avec le père du demandeur au sujet d’un vélo, aurait commencé à les menacer et à les traiter de « famille policière », de sorte que la dispute aurait dégénéré en échange de coups, auquel le demandeur avait d’ailleurs activement participé.

Là encore, le demandeur affirme que l’origine de cette bagarre serait à rechercher dans le fait que l’agresseur s’adonnait à la boisson : « Tout est de la faute de notre voisin qui buvait tout le temps (…) A chaque fois qu’il rentrait ivre chez lui et qu’il passait devant notre maison il nous insultait d’espions et de serbes ».

Enfin, le demandeur admet encore ne pas avoir personnellement subi de persécutions, mais avoir vécu dans la peur, et ce surtout depuis les troubles de mars 2004.

Il y a cependant lieu de souligner, en ce qui concerne les incidents ayant eu lieu entre le 15 et le 19 mars 2004, que les Bochniaques n’étaient pas la cible directe des affrontements. En effet il est relaté dans la troisième partie du rapport intitulé « Situation of minority groups by region in light of the turmoil in march 2004 » que « Kosovo Serbs were the primary target of inter-ethnic violence. … Finally, whereas Bosniaks and Gorani did not become a direct target of the violence, in some locations they felt sufficiently at risk that they opted for precautionary movements, or where evacuated by police, to safer places1» et encore « The few Bosniaks and Gorani who were displaced during the mid-March unrest have returned to their home communities. Returnees and remainees have resumed the same levels of freedoms they enjoyed prior to the events.2».

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le tribunal est appelé à statuer contradictoirement en l'espèce, encore que le demandeur n'était pas représenté à l'audience publique à laquelle l'affaire fut plaidée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 juin 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 1 Update on the Kosovo Roma, Ashkaelia, Egyptian, Serb, Bosniak, Gorani and Albanian communities in a minority situation, UNHCR Kosovo, June 2004, p. 31 et 32.

2 Update on the Kosovo Roma, Ashkaelia, Egyptian, Serb, Bosniak, Gorani and Albanian communities in a minority situation, UNHCR Kosovo, June 2004, p. 46.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19414
Date de la décision : 06/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-06;19414 ?

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