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06/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19162

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 juin 2005, 19162


Numéro 19162 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 janvier 2005 Audience publique du 6 juin 2005 Recours formé par la société anonyme … SA, … contre des bulletins d’impôt émis par le bureau d'imposition sociétés 2 en matière de bulletins d’impôt sur le revenu des collectivités

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19162 du rôle, déposée le 12 janvier 2005 au greffe du tribunal administr

atif par Maître Pit RECKINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à L...

Numéro 19162 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 janvier 2005 Audience publique du 6 juin 2005 Recours formé par la société anonyme … SA, … contre des bulletins d’impôt émis par le bureau d'imposition sociétés 2 en matière de bulletins d’impôt sur le revenu des collectivités

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19162 du rôle, déposée le 12 janvier 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Pit RECKINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … S.A., ayant son siège social à L- …, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro RC Lux …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à la réformation - des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités pour les années 2001 et 2002 - des bulletins de l’impôt commercial communal pour les années 2001 et 2002 - des bulletins de la retenue d’impôts sur capitaux pour les années 2001et 2002 tous émis le 27 février 2004 par le bureau d'imposition sociétés 2 de l’administration des Contributions directes;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 mars 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 25 avril 2005 par Maître Pit RECKINGER au nom de la demanderesse ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins entrepris;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, et Maître Léon GLODEN, en remplacement de Maître Pit RECKINGER, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 mai 2005.

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Suite au dépôt des déclarations fiscales relatives aux années 2000 et 2001, le bureau d’imposition sociétés 2, conformément aux dispositions des §§ 170 et 205 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », demanda, par courriers des 22 août 2003, 3 octobre 2003 et 7 novembre 2003, des informations supplémentaires à la société … S.A. quant :

1) au nom des locataires de leur immeuble sis rue …, 2) au contenu du contrat emprunt obligataire, 3) aux noms et adresses exacts des souscripteurs à l’emprunt obligataire.

La société … S.A. y prit position par lettres émanant de sa fiduciaire en dates des 4 septembre, 27 octobre et 25 novembre 2003.

En date du 17 décembre 2003, le bureau d’imposition sociétés 2 fit parvenir à la société … S.A. copie des projets d’imposition relatifs aux années 2000 et 2001 et la pria d’y prendre position avant le 7 janvier 2004.

Par courrier du 23 décembre 2003, la société … S.A. formula ses objections à l’encontre des projets d’imposition et contesta qu’il y aurait eu distribution cachée de bénéfices dans son chef.

En date du 27 février 2004, le bureau d’imposition société 2 émit à l’égard de la société … S.A. les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal et de la retenue d’impôt sur le revenu de capitaux, relatifs aux années 2001 et 2002.

Il se dégage des pièces produites en cause que le bureau d’imposition précité a retenu une distribution cachée de bénéfices, expliquée comme suit sur le bulletin de la retenue sur les revenus de capitaux : « Le taux d’intérêt de l’emprunt obligataire est redressé à 5,75%, un taux supérieur est inadmissible puisque tout risque de l’emprunt est couvert par l’immeuble en relation avec l’emprunt ».

Les bulletins d’impôt pour les années 2001 et 2002 imputent dès lors une distribution cachée de bénéfices à la société … S.A. d’un montant de 1.973.433 francs luxembourgeois au titre de l’année 2001 et 49.425,13 EURO au titre de l’année 2002.

La réclamation introduite en date du 27 mai 2004 à l’encontre des prédits bulletins par la société … S.A. étant restée sans réponse de la part du directeur de l’administration des Contributions directes, la société … S.A. a fait introduire, par requête déposée le 12 janvier 2005, un recours contentieux tendant à la réformation des bulletins susvisés de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal et de la retenue d’impôt sur le revenu de capitaux pour les années 2001 et 2002.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8 (3) 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal et de la retenue d’impôt sur le revenu de capitaux en l’absence d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre ces mêmes bulletins. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation.

Quant à la recevabilité du recours Le délégué du Gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours dans la mesure où celui-ci est dirigé contre les bulletins de l’impôt commercial communal émis au titre des années d’imposition 2001 et 2002 en relevant qu’en application du paragraphe 232, alinéa 2 AO, le bénéfice d’exploitation ne peut en principe être valablement critiqué que par une réclamation dirigée contre le bulletin de la base d’assiette.

Le paragraphe 232 alinéa 2 AO dispose comme suit: « Liegen einem Steuerbescheid Entscheidungen zugrunde, die in einem Feststellungsbescheid oder in einem Steuermessbescheid getroffen worden sind, so kann der Steuerbescheid nicht mit der Begründung angefochten werden, dass die in dem Feststellungsbescheid oder in einem Steuermessbescheid getroffenen Entscheidungen unzutreffend seien. Dieser Einwand kann nur gegen den Feststellungsbescheid oder gegen den Steuermessbescheid erhoben werden ».

Il en résulte qu’un bulletin d’impôt proprement dit n’est pas susceptible d’être attaqué par des moyens relatifs à ce qui est tranché par le bulletin de la base d’assiette.

La société … S.A., tout en admettant le principe retenu ci-avant, estime cependant qu’à travers le § 218, alinéa 4 AO, il serait constant que les « réclamations portées par le contribuable contre le bulletin de l’impôt sur les collectivités aboutissent, pour autant qu’elles soient fondées, non seulement à modifier les montants relatés sur lesdits bulletins d’imposition, mais elles donneront également lieu à un redressement automatique des bulletins pris en matière d’impôt commercial communal ».

En l’espèce, force est de constater que la société … S.A. a clairement précisé tant dans ses réclamations que dans son recours introductif d’instance qu’elle entend contester les cotes respectives d’impôt, de sorte que ce faisant, elle a entendu réclamer contre la base d’assiette de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur le revenu et plus particulièrement contre le bulletin d’établissement du bénéfice commercial.

Il appert encore que les bulletins de l’impôt commercial communal litigieux comportent dans le même acte tant le calcul de la base d’assiette globale que celui de l’impôt commercial communal, de sorte qu’en l’espèce, le bulletin de la base d’assiette s’est trouvé réuni au bulletin d’impôt commercial dans un même support matériel.

S’il est bien vrai que tant le bulletin de l’impôt sur le revenu que celui de la fixation de l’impôt commercial communal ne sont pas susceptibles d’être attaqués par des moyens relatifs à ce qui est tranché par un bulletin de la base d’assiette, il en est autrement si le bulletin de la base d’assiette se trouve réuni au bulletin de l’impôt commercial communal dans un même support matériel. Plutôt que de se limiter au sens littéral des termes employés, il convient d’analyser dans ce cas le recours du contribuable selon l’intention qu’il a clairement manifestée, à savoir celle d’agir contre la base d’assiette de l’impôt communal (Pas. adm. 2004, v° Impôts, n° 432, p.461, trib. adm . 14 février 2000, n° 11283 du rôle).

Le recours de la demanderesse tendant formellement à la réformation des bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal est partant recevable dans cette mesure pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

Le recours dirigé contre les bulletins de la retenue d’impôt sur le revenu de capitaux, non autrement critiqué sous cet aspect, est pareillement recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Par ailleurs, comme le soulève à bon droit le délégué du Gouvernement, même si en principe il y a obligation d’une requête séparée pour tout recours, en l’espèce, la recevabilité des recours introduits par requête collective ne soulève pas d’objection, dans la mesure où les recours sont connexes non seulement pour l’impôt sur le revenu des collectivités et le bulletin de la retenue sur les revenus de capitaux de la même année, mais aussi pour les années 2001 et 2002.

A l’appui de son recours, la société demanderesse fait exposer que le bureau d’imposition aurait procédé, à tort, à une rectification des bases d’imposition et du calcul de l’impôt en redressant d’office à 5,75 % le taux d’intérêt de l’emprunt obligataire émis par elle et portant sur un montant principal de 1.500.000 EURO.

Elle fait préciser à ce sujet qu’elle aurait émis durant l’année 2000 des obligations en quatre tranches pour un montant total de 1.500.000 EURO, que chaque tranche aurait été émise pour une durée et un taux d’intérêt différents, en précisant que la première tranche aurait été émise à 200.000 EURO, durée 3 ans, taux 6.5%, la deuxième tranche à 75.000 EURO, durée cinq ans, taux 7%, la troisième tranche à 250.000 EURO, durée dix ans, taux 7,5%, et la quatrième tranche à 975.000 EURO, durée trente ans, taux 10%. Elle relève qu’il y aurait « actuellement quatre détenteurs d’obligations de l’émission décrit ci-dessus dont un seul est également actionnaire, les autres n’ayant aucun lien, ni avec les actionnaires, ni avec les dirigeants de la société ».

Elle soutient que son activité consisterait dans la détention immobilière, la détention de participations dans d’autres sociétés, le développement et la location de programmes informatiques en relation avec les activités de filiales. Elle aurait ainsi acquis un immeuble commercial avec magasins, bureaux et appartements dans les étages à Luxembourg, rue …, au prix de 1.221.920,38 EURO. S’il était vrai que l’immobilier représente la majeure partie de son activité, la société aurait néanmoins d’autres activités, en particulier la détention de participations.

Il serait dès lors faux de prétendre que l’emprunt obligataire serait directement et uniquement lié à l’achat d’un immeuble, de sorte que l’affirmation du bureau d’imposition que « tout risque de l’emprunt est couvert par l’immeuble en relation avec l’emprunt » reposerait sur de fausses prémisses. Elle relève en outre qu’il n’existerait aucune garantie hypothécaire en relation avec l’emprunt et que le taux de l’emprunt est un taux justifiable par rapport aux taux du marché compte tenu des particularités de l’émission privée en question et en particulier des différentes échéances variant entre 3 et 30 ans. Elle se réfère à ce sujet à un rapport établi en date du 19 mai 2004 à sa demande par un expert judiciaire, pour retenir que les taux mis en compte par elle seraient absolument comparables à ceux du marché.

Pour contester l’imputation de la réduction du taux d’intérêt de l’emprunt obligataire en tant que distribution cachée de bénéfices, la société … S.A. nie la qualité d’associé ou de tiers intéressés aux détenteurs d’obligations, à l’exception du souscripteur de la deuxième tranche ainsi le fait que les taux négociés dans le cadre de l’emprunt seraient surfaits, en se référant au rapport d’expertise précité.

Elle conclut dès lors que les intérêts débiteurs en relation avec l’emprunt obligataire seraient déductibles du bénéfice commercial « pour être en relation économique avec l’entreprise ».

Le délégué du Gouvernement relève qu’il appartient au tribunal d’apprécier les faits et notamment si le recours à des sociétés établies aux British Virgin Islands en relation avec l’emprunt obligataire privé s’analyse en une opération juridique plausible.

L’article 164 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après dénommée « LIR », dispose que « (1) Pour déterminer le revenu imposable, il est indifférent que le revenu soit distribué ou non aux ayants droit.

(2) Sont à considérer comme distribution dans le sens de l’alinéa qui précède, les distributions de quelque nature qu’elles soient, faites à des porteurs d’actions, de parts bénéficiaires ou de fondateurs, de parts de jouissance ou de tous autres titres, y compris les obligations à revenu variable donnant droit à une participation au bénéfice annuel ou au bénéfice de liquidation.

(3) Les distributions cachées de bénéfices sont à comprendre dans le revenu imposable. Il y a distribution cachée de bénéfices notamment si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement des avantages d’une société ou d’une association dont normalement il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pas eu cette qualité ».

Les distributions cachées de bénéfices visées par l’article 164 (3) LIR existent si un associé ou un actionnaire reçoit directement ou indirectement d’une société des avantages qu’il n’aurait pu obtenir en l’absence de ce lien. La situation concernée est celle où un gestionnaire prudent et avisé n’aurait pas accordé un avantage similaire à un tiers.

En ce qui concerne la charge de la preuve, il convient de se référer à l’article 59 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives qui dispose que « la preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable ».

Dans cette optique, il y a lieu de retenir que le bureau d’imposition doit procéder à un examen impartial et objectif des déclarations du contribuable et ce n’est qu’en cas de défaut par le contribuable d’éclairer les points paraissant douteux ou à défaut d’éléments mis à sa disposition, que le prédit bureau peut mettre en cause la réalité économique des opérations.

En l’espèce, il est constant que suite à diverses demandes de renseignements, la demanderesse a indiqué à chaque fois les éléments et données demandés par le bureau d’imposition sociétés 2. Il est encore constant que le prédit bureau n’a pas autrement remis en question les déclarations et pièces produites par la demanderesse, de même qu’il a omis de demander des renseignements plus poussés tel que l’identification des bénéficiaires économiques des différentes sociétés en cause et la raison d’être de la structure juridique mise en avant. Ainsi, les éléments de preuve produits par la demanderesse sont de nature à établir l’apparence d’une réalité économique de l’opération sous-jacente et à conforter la régularité de l’emprunt obligataire émis.

Sur base de ces constats, ensemble l’examen des autres informations et pièces du dossier soumis au tribunal, il y a lieu de retenir qu’en l’espèce la partie publique reste en défaut d’établir à suffisance que l’emprunt aurait été en relation avec l’immeuble acheté en 2000, qu’il aurait été émis à des conditions anormales pour une émission obligataire privée et finalement que les quatre détenteurs d’obligations avaient un lien avec les actionnaires ou dirigeants de la société … S.A. et que ces derniers auraient perçu un avantage indu de la société, de sorte que les conditions d’application de l’article 164 (3) LIR ne sont par remplies.

Il suit des considérations qui précèdent que les bulletins d’impôt litigieux encourent la réformation en ce sens que l’imputation à la société … S.A. d’une distribution cachée de bénéfices, d’une part, d’un montant de 1.973.433 francs luxembourgeois au titre de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2001 et, d’autre part, d’un montant de 49.425, 13 Euro au titre de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2002, n’est pas justifiée à suffisance de droit. Il en découle que lesdits montants ne sont pas à prendre en considération pour le calcul de la base d’assiette globale pour le calcul de l’impôt commercial communal concernant les années 2001 et 2002 et par conséquent que la société … S.A. n’est pas tenue d’effectuer y relativement la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de 25% concernant les années 2001 et 2002.

PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, se déclare compétent pour connaître du recours en réformation, déclare le recours recevable, le dit également fondé, par réformation des bulletins déférés, dit qu’il n’y a pas lieu à imputation d’une distribution cachée de bénéfices d’un montant de 1.973.433 francs luxembourgeois pour l’année 2001 et de 49.425, 13 EURO pour l’année 2002, renvoie le dossier au directeur de l’administration des Contributions directes en vue de sa transmission au bureau d’imposition compétent pour exécution, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 juin 2005 par :

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, en présence de M.Schmit, greffier en chef.

Schmit Delaporte 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19162
Date de la décision : 06/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-06;19162 ?

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