La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/06/2005 | LUXEMBOURG | N°19853

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 juin 2005, 19853


Tribunal administratif Numéro 19853 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mai 2005 Audience publique extraordinaire du 3 juin 2005 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19853 du rôle et déposée le 24 mai 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigeria)

, de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étr...

Tribunal administratif Numéro 19853 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mai 2005 Audience publique extraordinaire du 3 juin 2005 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19853 du rôle et déposée le 24 mai 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigeria), de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 4 mai 2005 ordonnant la prorogation de son placement pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 27 mai 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Ardavan FATHOLAZHADEH au greffe du tribunal administratif en date du 30 mai 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er juin 2005.

Par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 6 avril 2005, Monsieur… fut placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour la durée d’un mois.

Par une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 4 mai 2005, la rétention de Monsieur… fut prorogée pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision.

Par requête déposée le 24 mai 2005 au greffe du tribunal administratif, Monsieur… a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision ministérielle du 4 mai 2005 portant prorogation de son placement.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre ladite décision. Ledit recours ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours en annulation est dès lors irrecevable.

Quant au fond, Monsieur… invoque en premier lieu que l’autorité administrative resterait en défaut d’établir l’existence, en l’espèce, d’une nécessité absolue, justifiant la prise de la décision litigieuse, condition pourtant posée par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers. Il précise que la seule démarche concrète que les autorités luxembourgeoises auraient entreprise daterait du 7 avril 2005 et que pour le surplus la décision litigieuse resterait en défaut de préciser une date éventuelle de son transfert. Il ajoute que les autorités luxembourgeoises n’auraient déjà pas réussi lors de sa rétention en 2004 à obtenir un laissez-passer auprès des autorités nigérianes.

Enfin il estime que la mesure de placement constituerait une mesure disproportionnée, l’esprit de la loi du 28 mars 1972, ainsi que les travaux parlementaires étant à interpréter dans le sens que le pouvoir exécutif devrait mettre en place une structure spécifique et appropriée pour accueillir les personnes retenues dans l’attente de leur éloignement du pays.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du Gouvernement expose les démarches entreprises et conclut pour le surplus au non fondé du recours introduit.

Dans son mémoire en réplique Monsieur… soutient qu’il bénéficierait d’une « autorisation de séjour toléré au sens de l’article 13, paragraphe 3 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2.

d’un régime de protection temporaire ». En ce qui concerne les démarches entreprises, il estime que celles-ci seraient insuffisantes afin d’assurer son éloignement dans les plus brefs délais. Enfin il fait valoir que la rétention serait disproportionnée eu égard à sa situation personnelle de sorte que sa privation de liberté ne serait pas conforme aux articles 5 et 18 de la Convention européenne des droits de l’homme aux motifs qu’il aurait déjà fait l’objet de quatre mesures de rétention et que les démarches antérieures opérées par les autorités luxembourgeoises en 2004 se seraient déjà soldées par l’absence d’un laissez-passer. Il ajoute qu’au vu de la réponse des autorités nigérianes aux termes de laquelle il devrait se présenter en homme libre devant eux afin d’obtenir un laissez-passer démontrerait à suffisance que la perspective de la délivrance d’un laisser-passez par l’ambassade resterait aléatoire et du moins non convaincant.

Monsieur…, après avoir été débouté de sa demande d’asile au Luxembourg par décision du 18 février 2004, s’est rendu en Suède en printemps 2004 pour y présenter une nouvelle demande d’asile sous une autre identité1. En novembre 2004, il s’est rendu en Allemagne pour y poser de nouveau une demande d’asile. Il a été remis par les autorités allemandes aux autorités luxembourgeoises le 6 avril 2005, date à laquelle la décision de rétention a été prise à son égard.

1 cf. TA 28 octobre 2004, n° 18761 En premier lieu en ce qui concerne la prétendue affirmation non autrement étayée et en plus formellement contestée par le délégué du Gouvernement en ce que Monsieur… bénéficierait du statut de tolérance, il y a lieu d’écarter ce moyen pour manquer en fait étant donné que le demandeur reste en défaut de produire l’attestation de tolérance visée à l’article 13, paragraphe 4 de la loi modifiée du 3 avril 1996.

En deuxième lieu en ce qui concerne l’absence de démarches suffisantes entreprises et par conséquent l’absence de « nécessité absolue » en résultant, pourtant nécessaire à la prorogation de la décision de placement, il appartient au tribunal d’analyser si le ministre a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’une nécessité absolue rend la prorogation de la décision de placement inévitable.

En effet l’article 15, paragraphe 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 dispose que « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite par le ministre de la Justice à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».

Etant relevé qu’une mesure de rétention est indissociable de l’attente de l’exécution d’un éloignement d’un étranger non autorisé à séjourner légalement sur le territoire luxembourgeois, il incombe à la partie défenderesse de faire état et de documenter les démarches qu’elle estime requises et qu’elle est en train d’exécuter, afin de mettre le tribunal en mesure d’apprécier si un éloignement valable est possible et est en voie d’organisation, d’une part, et que les autorités luxembourgeoises entreprennent des démarches suffisantes en vue d’un éloignement ou transfert rapide du demandeur, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté, d’autre part2.

Il résulte des pièces versées au dossier que les autorités luxembourgeoises compétentes ont contacté le 7 avril 2005 l’ambassade du Nigeria à Bruxelles afin de se voir délivrer un laisser-passez pour le compte de Monsieur….

Suite à la réponse de l’ambassade du Nigeria désirant rencontrer personnellement Monsieur…, les autorités luxembourgeoises ont contacté la police grand-ducale en date du 18 avril 2005 afin de voir organiser le voyage sous escorte de Monsieur… vers Bruxelles à son ambassade.

La présentation de Monsieur… auprès de l’ambassade à Bruxelles a eu lieu le 18 mai 2005. A l’ambassade, il a été identifié comme étant un ressortissant nigérian, mais selon les autorités de l’ambassade, Monsieur…, sans passé criminel, devrait se présenter après son élargissement auprès de l’ambassade pour y demander de son propre gré un laissez-passer.

Suite à cette position de l’ambassade, un courrier de la part des autorités luxembourgeoises fut adressé en date du 25 mai 2005 à l’ambassadeur en précisant que :

« … Mr…’s legal stay in Luxembourg ended on April 1st, 2004. He had more than 13 months to organize his voluntary return. Refusing a voluntary return to Nigeria, he travelled illegally to Germany, and was transferred back to Luxemburg on April 6th, 2005 on the basis of the European Community law.

2 cf. TA 15 juillet 2004, n° 18357, www.ja.etat.lu We are afraid that, if we let him out of the detention centre for illegal foreigners to organize his voluntary return, he will once again try to travel illegally to another Member State of the European Union and that we then have to start the return procedure once more.

Regarding the circumstances of Mr…’s case I would be grateful if you could deliver a travel document. If Mr… is opting for a voluntary return he will just be accompanied by the police to the plane without being escorted to Nigeria.

Please note that a return on a voluntary basis is offered to every Nigerian national in irregular situation in Luxembourg if he has non criminal record… ».

Il résulte enfin d’une note au dossier datée du 1er juin 2005, que l’ambassade du Nigeria a reçu la seconde demande de laissez-passer du 25 mai 2005, que le dossier serait actuellement traité et qu’une décision de l’ambassadeur parviendrait bientôt aux autorités luxembourgeoises.

Au vu des diligences ainsi déployées, des démarches suffisantes ont été entreprises en vue d’un transfert rapide du demandeur vers le Nigeria.

Les délais ne semblent pas excessifs au vu du temps nécessité pour l’organisation matérielle de la présentation sous escorte de Monsieur… auprès de son ambassade à Bruxelles et en présence des problèmes rencontrés ensuite avec les autorités nigérianes et l’absence de collaboration de Monsieur… pour faciliter son retour.

Quant à l’absence de date du transfert indiqué, force est de préciser que la certitude quant à l’aboutissement effectif de la mesure de refoulement n’est pas une prémisse conditionnant la validité d’une décision de rétention3. En l’espèce, les autorités luxembourgeoises compétentes ne sont pas en mesure d’indiquer la date envisagée pour le transfert, étant donné qu’elles sont dans l’attente de la réception d’un laissez-passer de la part des autorités nigérianes. A cela s’ajoute que les affirmations du demandeur en ce que la délivrance d’un laissez-passer serait « aléatoire et du moins non convaincant » sont contredites par les pièces versées au dossier et plus spécialement par la note produite datant du 1er juin 2005 de laquelle on peut raisonnablement conclure que les perspectives afin d’obtenir un laissez-passer sont positives.

Le moyen non autrement explicité que la rétention serait contraire aux articles 5 et 18 de la Convention européenne des droits de l’homme laisse également d’être fondé. En effet même si le demandeur a fait l’objet d’une rétention administrative en août 2004, laquelle fut prolongée deux fois, il n’en tire aucune conclusion et n’invoque aucun moyen de légalité devant aboutir à l’annulation de la décision faisant l’objet du présent recours. S’il est exact que les démarches antérieures effectuées par les autorités luxembourgeoises en 2004 afin d’obtenir un laissez-passer n’ont pas abouti et s’il est également exact que par un jugement du tribunal administratif du 28 octobre 2004 (n° du rôle 18357) le bien-fondé de la deuxième prorogation de la mesure de rétention dans le chef de Monsieur… laissait d’être établi au vu de l’insuffisance des démarches entreprises par les autorités luxembourgeoises, il n’en reste pas moins que les faits dont le tribunal est actuellement saisi diffèrent des faits tels que soumis à l’époque au tribunal. Il en résulte que le demandeur ne saurait conclure au vu de l’absence de délivrance par les autorités nigérianes d’un laissez-passer en 2004, que l’actuelle procédure serait également vouée à l’échec.

3 cf. TA 11 mai 2005, n° du rôle 19665a, www.ja.etat.lu.

En ce qui concerne enfin le dernier moyen soulevé ayant trait au caractère approprié du lieu de placement ainsi retenu par le ministre, il échet de constater que par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, modifiant le règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires, le Gouvernement a entendu créer, en application de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 précitée, un Centre de séjour où peuvent être placées, sur ordre du ministre de la Justice, en application de l’article 15 précité, certaines catégories d’étrangers se trouvant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg pour lesquelles ledit Centre de séjour provisoire est considéré comme un établissement approprié en attendant leur éloignement du territoire luxembourgeois.

Or, à défaut par le demandeur d’avoir rapporté un quelconque élément tangible permettant de conclure au caractère inapproprié dudit Centre de séjour par rapport à son cas spécifique, le moyen tenant au caractère inapproprié du lieu de placement retenu en l’espèce laisse d’être fondé.

Au vu de ce qui précède, le recours sous analyse est non fondé dans aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 3 juin 2005 par :

Mme Lamesch, juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lamesch 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19853
Date de la décision : 03/06/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-06-03;19853 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award