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26/05/2005 | LUXEMBOURG | N°19351

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 mai 2005, 19351


Tribunal administratif N° 19351 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 février 2005 Audience publique du 26 mai 2005

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Recours formé par Monsieur X., …, contre un arrêté grand-ducal de nomination, en présence de Madame Y., …

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 23 février 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur X., juge d'instruction au

tribunal d'arrondissement de Luxembourg, demeurant à L-…, tendant à la réformation, subsidiairement...

Tribunal administratif N° 19351 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 février 2005 Audience publique du 26 mai 2005

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Recours formé par Monsieur X., …, contre un arrêté grand-ducal de nomination, en présence de Madame Y., …

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 23 février 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur X., juge d'instruction au tribunal d'arrondissement de Luxembourg, demeurant à L-…, tendant à la réformation, subsidiairement à l’annulation d'un arrêté grand-ducal du 27 novembre 2004 portant nomination de Madame Y., juge au même tribunal, au poste de juge de paix à Luxembourg;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Jean-Lou Thill., demeurant à Luxembourg, du 24 février 2005, portant signification dudit recours à Madame Y., préqualifiée;

Vu le mémoire en réponse déposé le 10 mars 2005 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal le 1er avril 2005 par Maître Philippe STROESSER au nom du demandeur Monsieur X., préqualifié;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal le 12 avril 2005 par le délégué du gouvernement;

Vu les pièces versées et notamment l'arrêté critiquée;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Cyril CHAPON, en remplacement de Maître Philippe STROESSER et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH entendus en leurs plaidoiries respectives.

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Le 11 octobre 2004, le procureur général d'Etat lança un appel de candidatures pour un poste de juge de paix à Luxembourg.

2 Cinq magistrats de l'ordre judiciaire posèrent leur candidature, dont Monsieur X., juge d'instruction au tribunal d'arrondissement de Luxembourg, ainsi que Madame Y., juge au même tribunal.

Par avis du 20 octobre 2004, le procureur général d'Etat retraça la carrière professionnelle des cinq candidats en les présentant par ordre d'ancienneté. Il proposa d'écarter la demande du candidat le plus ancien en rang à cause d'un empêchement légal et proposa la nomination de Monsieur X., second en rang, dans les termes suivants: "Monsieur X. est le premier en rang parmi les quatre candidats restants. Il possède les qualités morales et professionnelles requises et je propose sa nomination comme juge de paix à Luxembourg." Par arrêté grand-ducal du 27 novembre 2004, Madame Y., troisième en rang parmi les cinq candidats ayant présenté une demande, fut nommée juge de paix à Luxembourg.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 février 2005, Monsieur X.

a introduit un recours en réformation, sinon en annulation contre l'arrêté grand-ducal en question.

Ses moyens peuvent être résumés comme suit:

- en l'absence de communication des motifs à la base de la décision entreprise, il ne saurait en vérifier ni l'existence ni leur légalité;

- la décision serait contraire à une pratique administrative constante suivie au niveau de la magistrature, consistant à nommer à un poste vacant le candidat en rang utile dont la demande a été favorablement avisée par le procureur général d'Etat. Etant généralement suivie, cette pratique constituerait pour l'administration une règle de droit qu'elle se serait imposée à elle-même et dont elle ne saurait se départir dans un cas individuel, par application du principe "tu patere legem quam ipse fecisti." Une telle pratique serait objectivement justifiée par la nécessité de garantir l'indépendance de la magistrature et la séparation des pouvoirs, ainsi que par le souci d'éclairer et de guider l'administration dans le choix du candidat à retenir. Il ne serait par conséquent pas permis au ministre de la Justice de choisir un candidat sans que la demande de celui-ci n'ait été au préalable avisée favorablement par le procureur général d'Etat et qui n'aurait donc pas été présenté par le pouvoir judiciaire;

- Madame Y. aurait été nommée sans que sa demande n'ait été précédée d'un avis du procureur général d'Etat. Or, un tel avis serait un acte préparatoire obligatoire s'incorporant à l'acte administratif de nomination et constituant un élément fondamental de sa légalité;

- la décision serait encore contraire au principe de l'égalité devant la loi, en vertu duquel un traitement différent d'administrés se trouvant dans une même situation de fait serait prohibé, à moins que cette différenciation soit objectivement justifiée. Or, toutes les nominations à un poste dans la magistrature judiciaire seraient précédées d'un avis favorable du procureur général d'Etat.

Aucun texte de loi ne prévoyant en la matière un recours en réformation, le tribunal doit se déclarer incompétent pour en connaître.

Le recours subsidiaire en annulation, respectant les conditions de forme et de délai, est recevable.

3 Au fond, le délégué du gouvernement s'oppose à la demande en faisant valoir qu'aucun texte n'imposerait au Grand-Duc de suivre l'avis du procureur général d'Etat en procédant à la nomination d'un magistrat de l'ordre judiciaire.

Concernant les motifs qui ont conduit à la nomination de Madame Y., il explique que depuis un certain temps, les nominations des magistrats se font en général une fois par an, à savoir pour le 16 septembre, ceci pour tenir compte de la formation des magistrats par l'Ecole nationale de la magistrature française et en vue d'éviter le plus possible la perturbation de l'organisation du service pendant l'année judiciaire, les magistrats étant alors tous à leurs postes respectifs à la rentrée judiciaire.

Eu égard au congé accordé en cours d'année à un juge de paix pour pouvoir occuper un poste en dehors de la magistrature, le procureur général d'Etat se serait vu obligé de rompre avec cette pratique et de lancer un appel de candidatures pour le poste devenu vacant le 11 octobre 2004.

Concernant le moyen tiré de l'absence de communication des motifs à la base de la décision litigieuse, il y a lieu d'examiner si elle remplit les conditions posées par l'article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes qui dispose dans son alinéa 1er que toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux, consacrant ainsi expressément le principe général que toute décision administrative doit être légalement motivée, et dans son alinéa 2 que la décision doit formellement indiquer les motifs par l'énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base entre autres lorsqu'elle refuse de faire droit à la demande de l'intéressé et lorsque, intervenant après procédure consultative, elle diffère de l'avis émis par l'organisme consultatif.

En cas de pluralité de candidats pour un poste, la décision de nomination d'un d'entre eux au poste vacant présente deux aspects, l'un positif, à savoir la nomination du candidat retenu, et l'autre, négatif, à savoir le refus du ou des candidats non retenus.

Il y a partant lieu d'examiner la teneur de l'obligation de motivation en la forme de la décision de nomination dans ses deux aspects, positif et négatif, étant précisé qu'en toute hypothèse, la décision dans son ensemble doit reposer sur des motifs légaux.

Une telle décision impliquant un choix doit formellement indiquer les motifs qui ont amené l'auteur de la décision à préférer un candidat aux autres dans la mesure où elle constitue une décision de refus dans le chef des candidats non retenus.

Dans son aspect positif, elle doit encore en toute hypothèse contenir la motivation du choix opéré lorsqu'elle s'écarte, comme en l'espèce, de l'avis émis par l'organisme consultatif, à savoir par le procureur général d'Etat. Il est indifférent, à ce sujet, que l'avis ait été facultatif ou non; à partir du moment où il a été sollicité, il fait partie de la procédure.

Or, dans le cas d'espèce, l'arrêté de nomination ne contient aucune motivation, ni dans son aspect positif, ni dans son aspect négatif, ayant conduit au choix finalement opéré.

Admettre cependant qu'en général, une telle absence de motivation vicierait la décision en question en ce qu'elle violerait une formalité substantielle destinée à protéger l'administré 4 contre l'arbitraire de l'administration, et devrait partant entraîner l'annulation de l'acte, sauf, le cas échéant, la renonciation de l'administré qui se contenterait d'une motivation fournie ex post, conduirait à des résultats pour le moins insolites, d'une part, et contraires à l'économie générale de la procédure administrative non contentieuse, d'autre part.

D'une part, en effet, une annulation sur la seule base d'un défaut de motivation formelle ne serait, en général, d'aucune utilité pour l'administré qui se verrait, après un jugement d'annulation, opposer dans la nouvelle décision administrative, les motifs à la base de la décision de refus, ces motifs étant pour le surplus, selon toute vraisemblance, connus de lui puisque l'administration les lui aura opposés dans le cadre de l'instruction du recours contentieux dirigé contre la première décision non motivée.

D'autre part, le règlement grand-ducal du 8 juin 1979, précité, prévoit expressément en son article 7 la sanction de l'absence de motivation d'une décision administrative qui doit être motivée, à savoir que les délais de recours tant contentieux qu'administratifs ne courent qu'à partir de la communication des motifs. Les auteurs du projet de règlement grand-ducal ont estimé, en effet, qu'il "serait peu satisfaisant de considérer ce défaut comme un vice de forme substantiel devant entraîner l'annulation de la décision. En effet, si les motifs étaient valables, l'administration pourrait reprendre la même décision, et, dans certains cas, même pourrait y être obligée. Pour éviter de tomber dans un formalisme stérile, il paraît plus approprié de censurer cette omission par une sanction moins radicale, permettant de sauvegarder les intérêts des parties en cause, savoir la suspension des délais tant administratifs, gracieux ou de tutelle, que contentieux." (projet de règlement grand-ducal, commentaire des articles, doc.

parl. n° 2313, p. 9, sub art. 7).

Sanctionner une telle omission par la nullité de la décision serait partant contraire aux intérêts bien compris des administrés et aux intentions des auteurs du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

Concernant l'aspect négatif de l'arrêté de nomination en ce qu'il n'a pas retenu certaines candidatures, sans en expliciter les motifs, une telle décision implicite de refus d'accéder à une demande, par la force des choses, ne respecte pas l'article 6, alinéa 2 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979, précité, qui exige la motivation formelle des décisions qui refusent de faire droit à la demande de l'intéressé.

Complémentairement aux motifs conduisant à ne pas sanctionner par la nullité la décision positive de nomination non motivée, il y a lieu d'ajouter qu'une annulation systématique des décisions implicites de refus pour défaut de motivation permettrait, d'une part, à des administrés mal inspirés, voire mal intentionnés, d'inonder l'administration de demandes ne présentant aucune chance de succès, mais obligerait celle-ci d'y répondre moyennant une motivation adéquate, sous peine de voir annuler la décision de refus implicite en cas de silence gardé à l'égard de telles demandes.

Une telle annulation systématique serait d'autre part difficilement conciliable avec la disposition de l'article 4, par. 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif qui dispose que dans les affaires contentieuses qui ne peuvent être introduites devant le tribunal administratif que sous forme de recours contre une décision administrative, lorsqu'un délai de trois mois s'est écoulé sans qu'il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal administratif. Si le législateur avait voulu considérer 5 systématiquement comme nulles les décisions de refus implicites qui, par la force des choses, ne sont pas formellement motivées, il en aurait comminé la nullité plutôt que de permettre un recours contentieux à leur encontre, ce recours étant, dans une telle logique, automatiquement couronné de succès. Dans cette optique, la jurisprudence belge a soustrait les actes implicites au champ d'application de l'obligation de motiver en la forme les actes administratifs (C.E.

belge 14 octobre 1996, cité in M. LEROY, Contentieux administratif, 3e éd. Bruylant 2004, p.

221).

Il est vrai que tant le silence de l'administration suite à une requête légitime que l'absence de motivation d'une décision peuvent constituer l'administration en faute si elle n'a pas agi en tant qu'administration normalement prudente, diligente et avisée. Un tel comportement doit cependant trouver sa sanction dans les règles de la responsabilité civile et non pas conduire à l'annulation de l'acte si la décision administrative est, par ailleurs, basée sur des motifs légaux quoique non formellement énoncés dans l'acte.

Au niveau du contentieux administratif, une telle absence de motivation entraîne, conformément à l'article 7 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, précité, la seule suspension du délai de recours contentieux.

Il n'en reste pas moins vrai qu'en toute hypothèse, la décision litigieuse doit baser sur des motifs légaux, sous peine de nullité.

Il y a partant lieu d'examiner si la décision de refus de nomination de Monsieur X. au poste de juge de paix est légalement justifiée.

La réponse à cette question suppose l'examen préalable des autres moyens invoqués par le demandeur à l'appui de son recours, tirés de ce qu'en la matière, le pouvoir de nomination aurait une compétence liée.

Le moyen tiré de ce que, en substance, il ne serait pas permis au ministre de la Justice de choisir un candidat à un poste dans la magistrature judiciaire sans que sa demande n'ait été avisée favorablement par le procureur général d'Etat, laisse d'être fondé.

D'une part, en effet, le pouvoir de nomination afférent appartient au Grand-Duc et non pas au ministre de la Justice.

D'autre part, outre la circonstance qu'en fait, le demandeur reste en défaut d'établir que le Grand-Duc nomme systématiquement les magistrats proposés par le procureur général d'Etat, une telle attitude serait encore illégale. Il appartient en effet au pouvoir de nomination d'exercer personnellement son pouvoir d'appréciation, ce qui entraîne, entre autres, qu'il ne peut pas s'estimer lié par les avis émis par des chefs de corps (v. Ph. QUERTAINMONT, Le contentieux de la nomination des magistrats devant le Conseil d'Etat, J.T. 2004, p. 691, n° 8).

S'il est d'ailleurs vrai qu'en ce qui concerne certains magistrats limitativement énumérés par la Constitution, la Cour supérieure de justice dispose d'un pouvoir de présentation – qui laisse encore au pouvoir de nomination une marge d'appréciation puisque ledit organisme doit présenter trois candidats pour un poste – le procureur général d'Etat ne s'est vu investir d'un tel droit par rapport à aucun membre de la magistrature judiciaire.

6 Finalement, aucun texte de loi n'exige l'avis du procureur général d'Etat préalablement à une nomination. Ce constat conduit à écarter l'argument selon lequel l'avis dudit magistrat constituerait un acte préparatoire obligatoire s'incorporant à l'acte administratif de nomination et en constituerait un élément fondamental de sa légalité.

Concernant l'argument selon lequel le ministre de la Justice sollicite systématiquement l'avis du procureur général d'Etat avant de proposer au Grand-Duc la nomination d'un magistrat de l'ordre judiciaire, une telle pratique, non consignée dans une règle écrite que l'administration se serait imposée à elle-même et dont l'observation régulière, en fait, n'est pas prouvée, ne saurait entraîner une obligation pour le pouvoir de nomination, sous peine d'ajouter à la loi.

Il y a finalement lieu d'ajouter que dans le cas d'espèce, le procureur général d'Etat a, de manière extrêmement sommaire il est vrai, avisé la candidature de Madame Y., directement en ce qu'il a mentionné son cursus professionnel, et indirectement en ce qu'après avoir présenté les différents candidats, il a recommandé la nomination de Monsieur X..

Il suit des considérations qui précèdent que le pouvoir de nomination jouit en la matière d'un pouvoir d'appréciation qui n'est pas lié, mais discrétionnaire. - Si le droit de l'administration d'apprécier l'existence et l'étendue des besoins de service, ainsi que de choisir le personnel qui, à ses yeux remplit le mieux ces besoins, est discrétionnaire, il n'en est pas pour autant soustrait à tout contrôle juridictionnel dans ce sens que sous peine de consacrer un pouvoir arbitraire, le juge administratif, saisi d'un recours en annulation, doit se livrer à l'examen de l'existence et de l'exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, et vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée.

Dans le cadre du recours contentieux, le délégué du gouvernement a expliqué de manière plausible que le refus de prendre en considération la candidature de Monsieur X. pour le poste à pourvoir était motivé par l'intérêt du service, celui-ci consistant, entre autres, dans le souci de ne pas nommer à un autre poste les magistrats n'occupant le leur que depuis peu de temps. Or, dans le cas d'espèce, Monsieur X. avait été nommé au poste de juge d'instruction près le tribunal d'arrondissement de Luxembourg le 27 juillet 2004, avec effet au 16 septembre 2004, de sorte qu'en cas de nouvelle nomination, il n'aurait occupé le poste en question que pendant un mois environ. Le délégué du gouvernement a encore expliqué qu'une nomination de Monsieur X. aurait par ailleurs entraîné une succession de mouvements d'autres magistrats, dont certains auraient à leur tour été amenés à quitter leurs postes respectifs qu'ils n'occupaient que depuis une époque récente. Il a finalement expliqué que la nomination de Madame Y., juge au tribunal d'arrondissement de Luxembourg depuis le 3 août 1998 et remplacée à son poste par un attaché de justice, n'a pas entraîné de perturbation du service, comme l'aurait risqué une nomination de Monsieur X..

Le tribunal ne dispose pas d'éléments qui seraient de nature à faire admettre que le pouvoir de nomination se soit basé sur des faits matériellement inexacts pour prendre sa décision ou ait arbitrairement écarté la candidature de Monsieur X..

Dans ce contexte, le fait, invoqué par le demandeur à l'appui de son soutènement que la décision serait basée sur des éléments matériellement inexacts, qu'il a été délégué au poste de juge d'instruction le 19 avril 2004 déjà, de sorte que, contrairement à l'affirmation qu'au moment de l'appel de candidatures pour le poste de juge de paix, il n'occupait son poste que 7 depuis un mois, mais depuis une période plus longue, ne porte pas à conséquence, étant donné qu'aux yeux du pouvoir de nomination, il est essentiel qu'un magistrat reste à son poste pendant un laps de temps raisonnable avant de pouvoir en briguer un nouveau et que ce principe, qui remplit les exigences de rationalité et de proportionnalité, ne saurait partant être écarté par le juge administratif. L'affirmation de Monsieur X. que début septembre 2004, il était en charge d'un grand nombre de dossiers en cours, traités et gérés depuis cinq mois et qui auraient, selon lui, pu être repris sans problème par un successeur, loin d'établir que le service n'aurait pas souffert par son départ, démontre plutôt que le fait de se voir charger d'un grand nombre de dossiers pour de nouveau les abandonner après cinq mois seulement constitue un gaspillage contra-productif et contraire à l'intérêt du service.

Cet élément d'appréciation relativise par ailleurs l'importance de l'affirmation non prouvée du délégué du gouvernement selon laquelle les nominations se font en règle pour la rentrée judiciaire. Il ne saurait en effet s'agir que d'une règle de conduite ténue, fréquemment tenue en échec par des événements ne répondant pas à la logique en question, comme les départs à la retraite, les démissions etc., et qu'il y a lieu d'écarter dans ces hypothèses précisément dans l'intérêt du service, pour éviter des vacances de poste trop prolongées.

C'est encore à tort que le demandeur rétorque au délégué du gouvernement que l'intérêt du service ne saurait être apprécié par le représentant étatique, mais que cette tâche incomberait au seul procureur général d'Etat, chef hiérarchique des magistrats qui, dans le cas d'espèce, s'était prononcé en faveur de la candidature de Monsieur X..

En effet, outre le fait que s'il est bien vrai qu'à certains égards, le procureur général d'Etat est le chef hiérarchique de certains magistrats de l'ordre judiciaire, il n'a pas le monopole de l'appréciation de l'intérêt du service, celui-ci appartenant également, en vertu des articles 141 et suivants de la loi modifiée du 7 mars 1980 sur l'organisation judiciaire, à la Cour supérieure de justice et aux chefs de juridiction et de parquets ainsi que, avant tout, au Grand-Duc.

Or, s'il est bien vrai que dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement s'est prononcé d'une manière qui fait apparaître qu'il a personnellement apprécié l'intérêt du service dans le cas d'espèce, toujours est-il qu'il l'a fait en sa qualité de conseiller de gouvernement habilité à conseiller le ministre de la Justice et le Grand-Duc sur les mesures à prendre dans l'intérêt du service.

Il se dégage des considérations qui précèdent que la décision de ne pas procéder à la nomination de Monsieur X. procède de motifs légaux.

Il reste à examiner si l'arrêté litigieux viole le principe d'égalité devant la loi, compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée, le demandeur estimant cette égalité rompue du fait qu'à la différence des autres nominations à des postes dans la magistrature judiciaire, celle de Madame Y. n'a pas été précédée d'un avis favorable du procureur général d'Etat.

Le moyen est basé sur la fausse prémisse que le Grand-Duc ne jouirait en la matière que d'une compétence liée, toute nomination devant être précédée d'un avis, pour le surplus favorable, du procureur général d'Etat. Or, il a été dégagé plus haut qu'un tel avis n'est pas obligatoire et, au cas où il a été sollicité et obtenu, le pouvoir de nomination n'est pas obligé de le suivre.

8 De plus, si le principe d'égalité devant la loi interdit certes d'appliquer des critères distincts aux différents candidats à un poste, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée, le principe en question n'interdit nullement de solliciter un avis pour une candidature et de pas en solliciter pour une autre, de suivre un avis dans un cas et de ne pas le suivre dans un autre, la seule condition tirée du respect du principe d'égalité restant celle d'appliquer les mêmes critères de sélection, au fond, pour les différents candidats pour un même poste.

En l'espèce, il n'est ni établi, ni même allégué que le succès de la candidature de Madame Y. procède de l'application de conditions de fond différentes de celles appliquées à la candidature du demandeur.

Finalement, aucun élément du dossier ne permet d'admettre que ce serait de manière illégale qu'après avoir écarté la candidature de Monsieur X., le pouvoir de nomination a retenu celle de Madame Y.. Dans ce contexte, il y a lieu de souligner que la nomination en question n'est pas intervenue pour des motifs contredisant ceux contenus dans l'avis du procureur général d'Etat.

Il suit de l'ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation laisse d'être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 26 mai 2005 par:

M. Ravarani, président, M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19351
Date de la décision : 26/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-26;19351 ?

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