La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/05/2005 | LUXEMBOURG | N°18958

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 mai 2005, 18958


Numéro 18958 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2004 Audience publique du 26 mai 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18958 du rôle, déposée le 8 décembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Benoît ARNAUNÉ-GUILLOT,

avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ...

Numéro 18958 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 décembre 2004 Audience publique du 26 mai 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18958 du rôle, déposée le 8 décembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Benoît ARNAUNÉ-GUILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Korce (Albanie), de nationalité albanaise, ayant demeuré à L-…, et demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 13 septembre 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 10 novembre 2004 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2005;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en sa plaidoirie à l’audience publique du 14 mars 2005.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 5 juillet 2004, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 22 juillet 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par décision du 13 septembre 2004, notifiée par courrier recommandé du 22 septembre 2004, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du même jour ainsi que le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 22 juillet 2004.

Vous auriez quitté l’Albanie le 2 juillet 2004 pour aller en Macédoine. De là, vous auriez pris place dans un camion pour venir à Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 5 juillet 2004.

Vous auriez fait votre service militaire de 1982 à 1985.

Vous seriez membre du Parti Legaliteti. Vous expliquez que ce parti serait favorable à la restitution des terres confisquées à leurs anciens propriétaires, alors que le Parti Socialiste s’y opposerait. Or, votre père aurait été propriétaire de plus de cent hectares de terres, dont vous devriez hériter, votre frère et vous. Vous auriez donc reçu des lettres anonymes de menaces visant à vous faire quitter l’Albanie. Votre frère serait parti en Grèce. En mai 2004, votre salon de barbier aurait brûlé, vous seriez sûr que les socialistes seraient les auteurs de ce méfait. Vous auriez, sans succès, porté plainte à la police. Vous ajoutez que, si votre parti gagnait les prochaines élections, vous seriez prêt à retourner en Albanie.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Notons d’abord que la simple appartenance à un parti d’opposition ne saurait suffire pour obtenir le statut de réfugié. De plus, vous n’exerciez pas de fonction au sein de ce parti et vous n’étiez donc pas dans une position particulièrement exposée.

En ce qui concerne l’incendie de votre salon de barbier du mois de mai 2004, son origine politique est loin d’être prouvée. Vous affirmez que la police n’a rien fait mais cela reste à l’état de pure allégation. Le fait que, deux mois après votre plainte, les auteurs de l’infraction ne soient pas encore sous les verrous n’est pas une preuve de l’inaction des autorités. Je note aussi que vous seriez d’accord à rejoindre votre pays en cas de victoire de votre parti aux prochaines élections. J’en déduis que vous éprouvez un sentiment d’insécurité davantage qu’une crainte de persécution telle que prévue par la Convention de Genève.

De façon générale, la situation politique en Albanie s’est considérablement stabilisée. Depuis 2002, le dialogue est ouvert entre le Parti Socialiste et les démocrates. De plus, ce pays se trouve, depuis des années, placé sous la surveillance de l’OSCE. Il résulte d’un rapport dressé en février 2004 par l’OSCE que, si de nombreux problèmes subsistent en Albanie, les réformes progressent et la protection des droits de l’homme s’améliore. Ce rapport ne fait pas état d’actions de nature politico-

criminelle contre lesquels le pouvoir en place refuserait d’intervenir ou serait dans l’impossibilité d’intervenir. Notons aussi que la Suisse considère maintenant l’Albanie comme un pays sûr.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 21 octobre 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du même ministre du 10 novembre 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 13 septembre 2004 et confirmative du 10 novembre 2004 par requête déposée le 8 décembre 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre d’avoir fait abstraction de certains des éléments à la base de sa demande d’asile et concernant à la fois la situation générale dans son pays d’origine et sa situation personnelle. Il expose à cet égard qu’il serait membre du parti politique pro-royaliste « Legaliteti » dont la revendication majeure serait la restitution des terres confisquées à leurs propriétaires, parmi lesquels se trouverait également sa propre famille qui aurait vu ses terres confisquées sous le régime d’Enver HOXHA. Il motive sa fuite d’Albanie par le fait que son salon de barbier aurait été incendié et que sa plainte afférente n’aurait connu aucune suite, de sorte qu’il ne bénéficierait pas d’une protection adéquate en Albanie. Il ajoute que lui-même et sa famille auraient reçu des menaces en raison de son appartenance audit parti politique, son frère et deux de ses sœurs s’étant exilés en Grèce en raison des mêmes problèmes, de manière que les éléments par lui soumis dépasseraient le simple sentiment d’insécurité. Il fait valoir que la situation générale en Albanie serait toujours instable, de sorte qu’il n’y pourrait pas bénéficier d’une protection appropriée.

A titre subsidiaire, le demandeur invoque l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en soutenant que « le but poursuivi par l’Administration visant à reconduire à la frontière le requérant n’est en aucune façon proportionné, dans ses conséquences, à la gravité de l’atteinte au droit du demandeur au respect de sa vie privée et familiale ».

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2004, v° Recours en réformation, n° 12).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 22 juillet 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, si le récit du demandeur paraît a priori crédible, il faut relever que lors de son audition, il a déclaré pouvoir produire un certain nombre de pièces à l’appui de ses dires.

Or, force est au tribunal de constater que, suivant les éléments lui soumis, le demandeur est resté en défaut de ce faire, de sorte que la crédibilité prima facie de son récit s’en trouve affectée.

Par ailleurs, même en admettant la réalité de l’engagement politique du demandeur au sein du parti politique « Legaliteti », des menaces et de la mise à feu de son salon dont il déclare avoir été la victime, le tribunal est néanmoins amené à constater que les actes concrets de persécution invoqués par le demandeur paraissent essentiellement émaner de personnes privées étrangères aux autorités publiques, à savoir plus particulièrement de certains milieux politiques, de même qu’ils s’analysent dans cette mesure en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.

En outre, s’il est vrai que le demandeur met en cause également la disposition des forces de l’ordre à mener les investigations requises pour identifier les auteurs de ces attaques, l’existence d’une persécution de la part de l’Etat ne saurait être admise dès la commission d’un acte de persécution de la part d’une personne quelle soit ou non au service des autorités publiques, mais seulement dans l’hypothèse où les autorités spécifiquement compétentes pour la poursuite et la répression des actes de persécution commis, soit encouragent ou tolèrent ces actes, soit sont incapables d’entreprendre des démarches d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion contre la commission de tels actes de la part de telles personnes.

Dans les deux hypothèses, il faut en plus que le demander d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en exergue par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carier : Qu’est qu’un réfugié ?, p. 113, n° 73 et suivants).

Si en l’espèce la motivation des personnes présentées comme ayant commis les actes de persécutions allégués est susceptible d’avoir trait à l’activité politique du demandeur, les éléments du dossier ne permettent cependant pas de retenir que le demandeur a établi un défaut de volonté ou l’incapacité des autorités en place dans son pays d’origine pour lui assurer un niveau de protection suffisant, ni encore le défaut de toute poursuite des actes de persécution commis à son encontre.

En outre, il y a lieu de constater que les risques allégués par le demandeur se limitent essentiellement à sa région d’origine et qu’il reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie de l’Albanie, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, v° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Finalement, l’invocation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’est pas pertinente en l’espèce, étant donné que les décisions critiquées ne contiennent pas une mesure d’éloignement du territoire national à l’égard du demandeur. Pour le surplus, le simple fait de tomber dans le champ d’application de cet instrument juridique international n’autorise pas une personne à se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. L’examen du statut de réfugié fait l’objet d’une appréciation au cas par cas à la lumière des normes juridiques existantes régissant les conditions d’octroi du droit d’asile, à savoir la Convention de Genève.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 26 mai 2005 par le premier juge en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE SCHROEDER 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18958
Date de la décision : 26/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-26;18958 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award