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25/05/2005 | LUXEMBOURG | N°18804a

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 mai 2005, 18804a


Tribunal administratif N° 18804a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 octobre 2004 Audience publique du 25 mai 2005 Recours formé par Monsieur … et son épouse Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18804a du rôle, déposée le 29 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembour

g, au nom de Monsieur …, né le … (Albanie), et de son épouse Madame …, née le… , tous les...

Tribunal administratif N° 18804a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 octobre 2004 Audience publique du 25 mai 2005 Recours formé par Monsieur … et son épouse Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18804a du rôle, déposée le 29 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Albanie), et de son épouse Madame …, née le… , tous les deux de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 28 juillet 2004 déclarant non fondée leur demande en obtention du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative rendue sur recours gracieux par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en date du 27 septembre 2004 ;

Vu le jugement rendu en date du 25 avril 2005 dans l’affaire inscrite sous le numéro 18804 du rôle ;

Vu l’audition des demandeurs ainsi que du témoin Xxx … ayant eu lieu en date du 2 mai 2005, ainsi que les procès-verbaux d’audition respectifs ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2005 par le délégué du Gouvernement ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2005 par Maître Frank WIES pour compte des demandeurs ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport complémentaire à l’audience publique du 23 mai 2005 en présence de Maître Frank WIES et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH qui se sont tous les deux rapportés à leurs écrits respectifs .

En date du 15 janvier 2004, Monsieur … et son épouse, Madame …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 1 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus en date du même jour par un agent de la police grand-ducale sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Ils furent entendus en outre séparément en date du 3 mars 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 28 juillet 2004, le ministre de la Justice informa les époux …-… de ce que leur demande avait été refusée comme étant non fondée aux motifs que leurs dires reflèteraient surtout un sentiment d’insécurité générale qui ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Il a relevé à cet égard que Monsieur … n’aurait subi aucune persécution ni aucun mauvais traitement et que le fait pour Madame … d’avoir été interpellée par des gens masqués dans la rue ne suffirait pas pour fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, tout en notant qu’elle n’avait porté plainte ni pour le décès de son père ni pour les menaces dont elle fait état et qu’elle ignorerait par ailleurs les raisons prétendument politiques ayant conduit à la mort de son père.

Le ministre a relevé finalement que la situation politique en Albanie se serait considérablement stabilisée et que depuis 2002, le dialogue serait ouvert entre le parti socialiste et le parti démocratique.

Le recours gracieux que les époux …-… ont fait introduire par courrier de leur mandataire datant du 2 septembre 2004 à l’encontre de la décision ministérielle prévisée s’étant soldé par une décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, entre-temps en charge du dossier, datant du 27 septembre 2004, leur notifiée par voie de courrier recommandé expédié le 28 septembre 2004, ils ont fait introduire, par requête déposée en date du 29 octobre 2004, un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions ministérielles prévisées des 28 juillet et 27 septembre 2004.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font état notamment de persécutions généralisées à l’égard de la famille … en raison d’activités politiques anti-communistes du père de Madame …, persécutions qui auraient perduré plus particulièrement après l’assassinat par balles de ce dernier en date du 3 avril 2001 et qui auraient justifié l’octroi du statut de réfugié dans le chef du frère de Madame …, Monsieur Xxx …, par décision ministérielle du 17 mars 2003.

Eu égard à la similarité de situation invoquée par les demandeurs et au caractère en partie très succinct des déclarations actées dans les procès-verbaux d’audition constituant la base de ce dossier, le tribunal, avant tout autre progrès en cause, a ordonné une mesure d’instruction complémentaire consistant à entendre, lors d’une comparution personnelle, les demandeurs … et …, ainsi que de citer en tant que témoin le frère de Madame …, Monsieur Xxx ….

Dans son mémoire après enquête, le délégué du Gouvernement fait état de certaines contradictions au niveau des dépositions des demandeurs et du témoin. Il relève dans ce 2 contexte qu’il serait frappant que le frère de la demanderesse a exposé que sa sœur Zzz était en Grèce depuis son mariage, donc depuis 6 ou 7 ans, tandis que la requérante affirme que cette même sœur est partie en Grèce après le décès de son père seulement, soit en 2001. Il fait également état du fait que la demanderesse a déclaré lors de son audition initiale en date du 3 mars 2004 s’être rendue de temps en temps en Grèce pour travailler, pour relever que rien ne l’aurait empêché de suivre les traces de sa sœur et de demander l’asile politique en Grèce à ce moment-là. Le représentant étatique souligne finalement une différence de témoignage de taille en ce qui concerne les visites familiales des … aux … en ce sens que Monsieur … a précisé que son épouse et lui-même ont fait la navette entre Shkoder et le village pour échapper à ceux qui les auraient intimidé, tout en ayant ajouté que de temps en temps ils auraient été accompagnés par les frères Yyy et Xxx, ainsi que la mère de Madame … qui eux-

aussi auraient été menacés en ville, tandis que le frère de la demanderesse, pourtant directement concerné d’après ses déclarations, n’a pas parlé de menaces, dans ce contexte mais de simples visites de courtoisie sans raison particulière.

Le délégué du Gouvernement déduit de ces contradictions que les demandeurs auraient visiblement tenté de dramatiser leur situation et de faire passer pour des persécutions ce qui en réalité ne constituerait qu’un sentiment général d’insécurité.

Les demandeurs insistent de leur côté sur une confusion au niveau des déclarations en ce sens que le fait pour Monsieur Xxx … d’avoir indiqué que sa sœur Zzz a quitté la maison depuis son mariage ne signifierait pas pour autant que ce départ de la maison familiale ait nécessairement coïncidé avec son départ vers la Grèce, alors que Madame Zzz … aurait effectivement d’abord quitté la maison familiale suite à son mariage, mais n’aurait quitté l’Albanie en direction de la Grèce que suite à l’assassinat de son père. Concernant les contradictions relevées concernant les visites familiales des … chez la famille …, ils rappellent que déjà lors de sa première audition en date du 3 mars 2004, Monsieur … avait relaté les menaces dont lui et son épouse auraient été victimes et que ce dernier point n’aurait jamais été contesté par le ministre.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

En l’espèce, il est constant que Madame … est issue d’une famille d’opposants à l’ancien régime communiste et que son père, Monsieur …, fut victime d’un assassinat en date 3 du 13 avril 2001, peu de temps après son retour en Albanie, sans que les circonstances exactes n’aient pourtant pu être déterminées avec certitude. Si le récit présenté en cause porte certes à croire que cet assassinat s’inscrit dans un contexte de représailles politiques en raison de l’activisme politique de feu Ttt …, il n’en demeure cependant pas moins que les situations de Madame … et de son époux sont à examiner individuellement et que les craintes de persécution qu’ils invoquent pour prétendre à l’octroi du statut de réfugié doivent s’avérer suffisamment caractérisées dans leur propre chef pour leur valoir l’octroi du statut sollicité.

Tel que relevé à juste titre par le ministre à l’appui de la décision litigieuse, le fait que d’autres membres de la famille des demandeurs ont obtenu le statut de réfugié ne saurait valoir en tant que tel comme motif d’octroi du statut en l’espèce, le tribunal étant amené à apprécier la situation des demandeurs au regard des éléments fournis en cause.

Il s’ensuit qu’il y a lieu d’évaluer la situation respective des demandeurs par rapport aux événements qu’ils ont vécu personnellement notamment après le décès de Monsieur Ttt …, étant entendu que depuis l’événement en question, près de trois années se sont écoulées avant que les demandeurs ne se sont présentés aux autorités luxembourgeoises.

Or, force est de constater que les difficultés relatées et ayant trait à cette période ne revêtent pas un caractère de gravité suffisant pour valoir l’octroi du statut de réfugié. En effet, si le tribunal peut certes admettre que la situation générale en Albanie peut encore à l’heure actuelle paraître moins sécurisante pour les demandeurs que la vie par eux escompté au Luxembourg, il laisse pourtant d’être convaincu du degré de gravité allégué, étant donné que d’après les déclarations de Madame … tel qu’actées dans le procès-verbal d’audition du 3 mars 2004, elle a eu à plusieurs reprises l’occasion de passer la frontière grecque pour y travailler, de manière à avoir disposé d’une possibilité effective de s’adresser aux autorités dudit pays, signataire de la Convention de Genève, pour solliciter le bénéfice du statut de réfugié si elle s’était sentie sujette à des craintes de persécution répétées de la part des autorités en place, voire dépourvue de toute possibilité de protection de la part des mêmes autorités par rapport à des menaces émanant de personnes inconnues. Concernant finalement les menaces invoquées, leur caractère grave et répété allégué laisse encore d’être établi à suffisance en cause, alors que les indications précises fournies à cet égard par Monsieur … dans le cadre de son audition ayant eu lieu en date du 2 mai 2005 relatives au fait que c’était suite à des intimidations par des personnes masquées qui se seraient présentées à leur domicile à Shkoder que lui-même ainsi que sa femme, ses deux beau-frères et sa belle-mère ont été contraints de rejoindre le village, n’ont pas été utilement confirmées par les autres personnes concernées, qui n’ont pas fait état de ce contexte, pourtant marquant, de fuite.

A partir de l’examen de l’ensemble des déclarations faites en cause par les époux …-… et par Monsieur Xxx …, tel que celles-ci ont été relatées dans les différents comptes rendus figurant au dossier, ainsi que de l’ensemble des moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et des pièces produites en cause, le tribunal arrive dès lors à la conclusion que les demandeurs n’ont pas établi à suffisance des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef l’existence d’une crainte actuelle de persécution pour l’une des causes énoncées dans la Convention de Genève.

Il s’ensuit que le recours en réformation laisse d’être fondé.

4 Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

vidant le jugement interlocutoire du 25 avril 2005 ;

déclare le recours inscrit sous le numéro 18804 du rôle non fondé et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 mai 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18804a
Date de la décision : 25/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-25;18804a ?

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