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23/05/2005 | LUXEMBOURG | N°19120

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 mai 2005, 19120


Tribunal administratif Numéro 19120 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 janvier 2005 Audience publique du 23 mai 2005

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Recours formé par les époux … et consort, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19120 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 janvier 2005 par Maître Nicolas DECKER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avoc

ats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Gjakove (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), et de son épous...

Tribunal administratif Numéro 19120 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 janvier 2005 Audience publique du 23 mai 2005

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Recours formé par les époux … et consort, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19120 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 janvier 2005 par Maître Nicolas DECKER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Gjakove (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), et de son épouse, Mme …, née le ,,, à Gjakove, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur …, tous de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 6 décembre 2004 par laquelle ledit ministre a rejeté un recours gracieux introduit contre une décision initiale du 15 octobre 2004 ayant déclaré non fondée leur demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 février 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 25 mars 2005 au nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Olivier POOS, en remplacement de Maître Nicolas DECKER, et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 29 septembre 2003, M. … et sa compagne, Mme …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur …, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En dates des 24 novembre 2003, 13 février, 23 mars et 20 juillet 2004, Monsieur … et Madame VEPRORE furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 15 octobre 2004, notifiée par lettre recommandée du 27 octobre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté la Bosnie-Herzégovine pour venir au Luxembourg. Vous auriez voyagé en camion, en voiture et en train.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 29 septembre 2003.

Monsieur, vous n’auriez pas fait votre service militaire et vous n’auriez jamais été membre d’un parti politique.

Vous auriez travaillé à Gjakove/Kosovo jusqu’en 2002 et, ensuite, vous seriez allé en Bosnie-Herzégovine où vous auriez simplement donné un coup de main à un oncle qui tenait un commerce. A Gjakove, vous auriez été agressé à plusieurs reprises par les cousins d’une personne influente. Cette personne, un certain Sami KOCI, ferait du trafic de drogues. Vous vous seriez mêlé à son réseau pour le dénoncer à votre frère qui était policier. On aurait procédé à des arrestations. Vous dites que, cependant, on ne peut rien faire contre KOCI car votre frère aurait été licencié de la police pour avoir voulu s’attaquer à lui. Finalement, vous seriez parti en Bosnie-Herzégovine, ne revenant à Gjakove que de temps en temps la nuit.

Vous, Madame, vous auriez travaillé comme traductrice pour l’OSCE avant 1999.

Vous dites que votre mari serait un espion de la police. Il aurait fait des investigations dans des bars et des discothèques. Pour le surplus, vous confirmez les dires de votre époux. Vous craignez la vengeance des personnes que votre mari aurait dénoncées.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentifs au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Il résulte de vos dires que vous étiez infiltré dans le milieu de la mafia et que, le cas échéant, vous auriez servi d’indicateur à la police. Vous dites Sami KOCI intouchable, mais je constate que la police a quand même procédé à neuf arrestations. Même si votre frère a été licencié, il n’était certainement pas le seul à travailler sur ce dossier. Rien n’indique que les autorités seraient dans l’impossibilité de vous défendre. De plus, ni Sami KOCI, ni la mafia ne sauraient être assimilés à des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je note aussi que depuis 2002, vous viviez en Bosnie-Herzégovine, certes sans travail fixe, mais sans difficulté. Le fait d’être sans travail ne saurait entrer dans le cadre de la Convention de Genève. Il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous y établir ou bien de vous installer ailleurs en République de Serbie-Monténégro pour profiter d’une possibilité de fuite interne.

J’en conclus que vous éprouvez plutôt un sentiment d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution telle que requise par la Convention de Genève. En effet, le Kosovo, pour des Albanais, ne saurait être considéré comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève (…) ».

Le 28 novembre 2004, les époux … formulèrent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration à l’encontre de cette décision ministérielle.

Le 6 décembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 7 janvier 2005, les époux …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant …, ont introduit un recours en réformation à l’encontre de la décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 6 décembre 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, instaurant au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent être originaire de la ville de Gjakove au Kosovo, que Monsieur … aurait infiltré un réseau mafieux dirigé par un dénommé Sami KOCI pour dénoncer des activités illégales à son frère, officier de la « Kosovo Police Service », autorité policière mise en place par l’UNMIK pour prévenir les rivalités ethniques et combattre le crime organisé. Monsieur … explique plus particulièrement qu’en raison de ses activités, un certain nombre d’opérations ont pu être « menées à bien », dont notamment une saisie importante d’armes et d’explosifs. Suite au licenciement de son frère de la police kosovare, Monsieur … affirme avoir perdu ses protections et avoir été la victime de plusieurs agressions, de sorte qu’il se serait résigné à quitter son pays d’origine pour la Bosnie-

Herzégovine, mais ne s’y sentant pas en sécurité, il aurait décidé de rejoindre ensemble avec sa famille le Luxembourg.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, ainsi que les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. Ainsi, il ressort des rapports d’audition et de la requête introductive d’instance que les demandeurs se disent menacés par des individus issus de la mafia locale. Or, de tels agissements relèvent d’une criminalité de droit commun, laquelle, quels que soient la gravité et le caractère condamnable desdits actes, ne saurait justifier à elle seule un état de persécution au sens de la Convention de Genève et les agressions mises en avant par les demandeurs reposent sur des motifs de vengeance privée basés sur les agissements de Monsieur …, à savoir son infiltration dans le milieu mafieux.

A cela s’ajoute que les demandeurs restent en défaut d’établir à suffisance de droit avoir recherché la protection des autorités de leur pays d’origine ainsi qu’un refus ou une impossibilité de pouvoir obtenir une protection d’une efficacité suffisante, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, étant relevé que Monsieur … a exposé lui-même dans son audition que la police locale a procédé à des arrestations dans le milieu de la mafia locale.

Pour le surplus, les risques allégués par les demandeurs se limitent essentiellement à leur ville d’origine au Kosovo et ils restent en défaut d’établir qu’en tant qu’Albanais du Kosovo, ils ne peuvent pas trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie du Kosovo, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité des demandeurs d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 23 mai 2005, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19120
Date de la décision : 23/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-23;19120 ?

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