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18/05/2005 | LUXEMBOURG | N°19429

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 mai 2005, 19429


Tribunal administratif N° 19429 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mars 2005 Audience publique du 18 mai 2005 Recours formé par Monsieur …, Schrassig, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19429 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2005 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité portugaise, actuell...

Tribunal administratif N° 19429 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mars 2005 Audience publique du 18 mai 2005 Recours formé par Monsieur …, Schrassig, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19429 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2005 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité portugaise, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Schrassig, tendant principalement à la réformation, et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 6 décembre 2004 par laquelle il s’est vu refuser l’entrée et le séjour sur le territoire luxembourgeois ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 mars 2005;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 28 avril 2005 par Maître Philippe STROESSER au nom de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 9 mai 2005, Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES s’étant rapportée au mémoire de la partie publique.

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Monsieur …, de nationalité portugaise, s’est établi au Grand-Duché de Luxembourg le 3 janvier 1992 pour rejoindre ses parents. Depuis son séjour au Luxembourg, il a fait l’objet de nombreux procès-verbaux, ainsi que de plusieurs condamnations pénales. En effet, il se dégage du dossier administratif à disposition du tribunal qu’en date du 27 janvier 1994, un procès-verbal fut dressé contre Monsieur … du chef d’acquisition d’héroïne et du chef de consommation de haschisch, qu’en date du 15 juin 1994, un procès-verbal fut dressé du chef de tentative de vol avec violences, qu’en date respectivement du 8 novembre 1994 et 16 novembre 1994, il fut condamné par le tribunal correctionnel de Luxembourg à une amende de 20.000 francs, respectivement à 12 mois de prison dont 6 mois avec sursis et à une amende de 30.000 francs du chef d’infractions à la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substance médicamenteuse et la lutte contre la toxicomanie, en particulier pour avoir importé 8 grammes d’héroïne et pour avoir offert cette drogue en vente. Le jugement du 16 novembre 1994 a par ailleurs retenu à sa charge un vol à l’aide de violences. Le 30 avril 1996 fut dressé un procès-verbal du chef d’infractions à la loi précitée du 19 février 1973 et le 8 mai 1996 un nouveau procès-verbal fut dressé du chef des mêmes infractions en précisant par ailleurs que « Es wurde desweiteren festgestellt, dass GARCIA einer gut organisierten portugisischen Bande von Rauschgiftverkäufern angehört, welche zu Luxembourg Drogen/Heroin verkaufen ». Dans un rapport du 21 avril 1997, la police de Luxembourg a informé le ministère de la Justice que Monsieur … était détenu au centre pénitentiaire à Givenich jusqu’au mois d’octobre 1997. En date du 26 mars 1998, Monsieur … a présenté une demande en obtention d’un titre de séjour. L’enquête effectuée à ce sujet a révélé que Monsieur … n’exerce pas d’activité salariée et qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels, de sorte que les agents de la police se sont prononcés contre la délivrance d’un titre d’identité d’étranger. Il résulte enfin d’un rapport daté du 14 janvier 2000, dressé par la police d’Esch-sur-Alzette, que Monsieur … a fait l’objet d’un procès-verbal du chef de grivèlerie. Ce rapport retient en outre que Monsieur … n’est plus déclaré à la commune depuis le 15 octobre 1998 et que son lieu de séjour est inconnu. Monsieur … fut finalement condamné par arrêt de la Cour d’appel en date du 15 juin 2004 à une peine d’emprisonnement de 24 mois, notamment du chef d’importation et de vente, à titre régulier, de stupéfiants, en particulier de l’héroïne.

Il convient encore de relever que Monsieur … s’était marié le 6 juillet 1995 avec une femme d’origine cap-verdienne et que le divorce a été prononcé le 31 mai 2000.

Par décision du 6 décembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », refusa à Monsieur … l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg et l’invita à quitter le pays dans un délai de 30 jours après la notification de cette décision, et, en cas de détention, dans un délai de 30 jours après la mise en liberté pour les motifs suivants :

« Vu l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;

Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;

Attendu que l’intéressé est susceptible de compromettre la sécurité et l'ordre publics ».

Par requête déposée le 3 mars 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision prévisée du ministre du 6 décembre 2004.

Dans la mesure où ni la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers, 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-

d’oeuvre étrangère, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus d’autorisation de séjour, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation.

Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il vivrait en concubinage avec Madame … et qu’il aurait un enfant en commun avec elle, à savoir un fils âgé de 5 ans, qui serait handicapé depuis sa naissance, que toute sa famille vivrait au Grand-Duché de Luxembourg et que depuis sa dernière condamnation il aurait cessé toute consommation de drogue et n’aspirerait qu’à reprendre une vie de famille normale et retrouver un travail à la sortie de prison.

Il estime que c’est à tort que le ministre a motivé l’arrêté de refus litigieux par la considération qu’il serait susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics, étant donné en premier lieu qu’une condamnation pénale ne justifierait pas de plein droit une mesure de police à l’égard d’un étranger condamné et qu’en deuxième lieu, il ne serait pas établi qu’il serait « encore à l’heure actuelle, respectivement en date du 1er décembre 2004 » susceptible de troubler l’ordre public. Il estime qu‘il faudrait prendre en considération les « divers éléments permettant d’aboutir à la conviction que le requérant est en mesure de se resocialiser et qu’il ne commettra plus d’infraction à la loi pénale ».

Il soutient finalement que la décision de refus d’entrée et de séjour serait manifestement disproportionnée, dans la mesure où il était lui même un consommateur de drogues et qu’il n’agissait donc pas dans un « but lucratif ».

Le délégué du Gouvernement rétorque que le comportement du demandeur pendant son séjour au pays dénoterait clairement une atteinte et un risque pour l’ordre public du Grand-Duché de Luxembourg, ceci en raison de la gravité et de la multiplicité des faits qui lui ont été reprochés. Il insiste sur le fait qu’il s’agit d’une série de condamnations pour des faits extrêmement graves, de sorte que le ministre n’aurait commis une erreur manifeste d’appréciation des faits, seule susceptible de justifier le cas échéant une annulation de la décision ministérielle.

Dans son mémoire en réplique le demandeur insiste sur le fait qu’un « éloignement d’un ressortissant communautaire ne pourrait avoir lieu que dans la mesure où les circonstances qui ont donné lieu à la condamnation font apparaître l’existence d’un comportement personnel constituant une menace actuelle pour l’ordre public » et que tel ne serait manifestement pas le cas.

Conformément aux dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales, applicable en l’espèce en raison de la qualité de ressortissant communautaire du demandeur, « la carte de séjour ne peut être refusée ou retirée aux ressortissants énumérés à l’article 1er et une mesure d’éloignement du pays ne peut être prise à leur encontre que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, sans préjudice de la disposition de l’article 4, alinéa 3. La seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures. (…) Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet ».

La directive 64/221/CEE du 25 février 1964 du Conseil pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique impose aux Etats membres un certain nombre de conditions de fond et de forme en matière de police des étrangers à l’observation desquelles veille la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE).

L’article 3 de la directive 64/221/CEE du Conseil précise en son paragraphe 1 que les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet et dans son paragraphe 2 que la seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures. Ces dispositions ont été transposées en droit national par le règlement grand-

ducal modifié du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales et plus précisément par son article 9 cité ci-avant.

La CJCE a été amené à élaborer en matière d’ordre public une œuvre considérable, dont l’examen ne peut être dissocié de celui de la directive 64/221/CEE du 25 février 1964.

Dans son arrêt Bouchereau du 27 octobre 1977 (Aff. 30/77) elle a précisé, par référence à son arrêt Van Duyn du 4 décembre 1974 (Aff. 41/74), qu’en tant que dérogation au principe fondamental de la libre circulation des travailleurs, la notion d’ordre public doit être entendue strictement, étant acquis qu’elle est susceptible de varier d’un pays à l’autre et d’une époque à l’autre, de sorte qu’il convient de reconnaître aux autorités nationales compétentes une marge d’appréciation dans les limites imposées par le traité et les dispositions prises pour son application.

Ainsi des « restrictions ne sauraient être apportées aux droits des ressortissants des Etats membres d’entrer sur le territoire d’un autre Etat membre, d’y séjourner et de s’y déplacer que si leur présence ou leur comportement personnel constitue une menace réelle et suffisamment grave pour l’ordre public. » (arrêt RUTILI, CJCE, 28 octobre 1975, aff. 36/75) Par ailleurs, le pouvoir étatique en matière de police des étrangers à l’égard d’étrangers délinquants est limité par la règle selon laquelle la « seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver » des décisions de refus d’entrée et de séjour et des décisions d’éloignement.

Il en résulte qu’une décision de refus d’entrée et de séjour, basée sur des raisons d’ordre ou de sécurité publics, ne se justifie qu’à partir du moment où le trouble causé par ledit ressortissant communautaire à l’ordre public est suffisamment grave et caractérisé.

En l’espèce, force est de constater que le ministre s’est basé sur des antécédents judiciaires du demandeur qui ont été souverainement constatés par les juridictions pénales dans le cadre des procès ayant donné lieu aux condamnations ci-avant énoncées et que ces antécédents sont de nature à dénoter, de par leur gravité et notamment leur répétition, un comportement du demandeur compromettant la tranquillité, l’ordre et la sécurité publics.

Cette conclusion ne saurait être énervée ni par la simple affirmation du demandeur qu’actuellement il ne constituerait plus un danger pour l’ordre public, ni par sa prise de conscience qu’il serait le père d’un enfant de 5 ans, étant donné que, nonobstant sa situation familiale, il s’est livré pendant 10 ans à la consommation de drogues dures et en a vendu régulièrement en se livrant à un trafic de drogues étendu, de sorte que ces affirmations, qui restent par ailleurs au stade de simples allégations pour ne pas être étayées par un élément du dossier, ne sauraient porter atteinte à la légalité de la décision ministérielle qui constitue en tout état de cause une mesure justifiée et proportionnée.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 mai 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19429
Date de la décision : 18/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-18;19429 ?

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