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12/05/2005 | LUXEMBOURG | N°19713

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mai 2005, 19713


Tribunal administratif N° 19713 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 avril 2005 Audience publique du 12 mai 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19713 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2005 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Lu

xembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Otele (Cameroun), de nationalité camerounaise, demeurant actuell...

Tribunal administratif N° 19713 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 avril 2005 Audience publique du 12 mai 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19713 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2005 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Otele (Cameroun), de nationalité camerounaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 7 mars 2005, par laquelle sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié a été déclarée manifestement infondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par le même ministre le 30 mars 2005 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Radu DUTA, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKE, et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 14 janvier 2005, Monsieur … introduisit oralement une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu le 18 février 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa, par lettre du 7 mars 2005, envoyée par courrier recommandé expédié le 9 mars 2005, que sa demande avait été déclarée manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 14 janvier 2005 que vous auriez quitté votre pays d’origine par bateau le 9 ou 10 décembre 2004. Le voyage en bateau aurait duré un mois et vous ignorez dans quel port vous auriez accosté. Par la suite on vous aurait emmené en camionnette au Luxembourg où vous seriez arrivé le 13 janvier 2004. Le dépôt de votre demande d’asile date du lendemain. Vous ne présentez aucune pièce d’identité. En audition, vous précisez avoir égaré votre carte d’identité lorsque vous auriez quitté le Cameroun.

Il résulte de vos déclarations qu’en octobre 2004 votre père aurait voulu faire de vous son successeur en tant que notable de votre village Balen. Il vous aurait emmené dans une maisonnette « contenant tous les secrets du village » où vous auriez vu des squelettes, des crânes et des femmes attachées. Vous y auriez bu un liquide rougeâtre et votre père vous aurait « enseigné des choses ». Le 9 octobre 2004 il vous aurait emmené à une réunion du chef de village et des notables du village et vous y aurait présenté comme son successeur. Les personnes assistant à cette réunion auraient pourtant refusé cette idée parce que vous ne seriez pas à « 100% » du village. Le chef du village se serait fâché parce que votre père vous aurait initié. Il aurait ajouté que vous devriez mourir parce que vous seriez entré sans son autorisation dans la maisonnette. Vous dites avoir quitté la réunion au moment où ces personnes se seraient consultées et vous seriez retourné à Doula, votre lieu de résidence habituel.

Par la suite votre père vous aurait rapporté qu’il aurait eu des problèmes avec le chef de village. Quelques jours plus tard, toujours en octobre 2004, vous auriez été arrêté pendant une semaine par la police sans raisons apparentes. Vous pensez être victime d’un complot des notables du village de Balen. Votre père vous aurait alors dit que le chef de village aurait payé la police pour que vous soyez arrêté. Vous seriez sorti de cellule après intervention de votre père. Le 3 novembre 2004 la foudre aurait frappé votre maison et votre sœur serait décédée. La foudre aurait de nouveau frappé le 25 novembre 2004 et votre frère en serait décédé. Vous pensez que le chef de village aurait provoqué ces foudres par la sorcellerie parce qu’il aurait voulu éliminer votre famille.

Votre père vous aurait alors dit de quitter le pays. Vous avez peur que la tribu, le chef de village et ses notables, vous tueraient. Vous n’auriez pas demandé de protection auprès des autorités camerounaises parce qu’il n’y aurait pas de protection contre la magie et parce que les autorités seraient corrompues.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et vous ne faites pas état de persécutions.

Il y a tout d’abord lieu de relever qu’à défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Force est cependant de constater que des invraisemblances dans votre récit laissent planer des doutes quant à l’intégralité de votre passé et au motif de fuite invoqué. Il y a tout d’abord lieu de noter qu’il est peu probable que la foudre ait frappé votre maison à deux reprises et à trois semaines d’intervalle, d’autant plus que vous dites qu’il n’y aurait pas eu d’orages et que la foudre aurait été provoquée par de la sorcellerie. Concernant votre voyage, il est peu probable que vous ne sachiez pas où le bateau aurait accosté et que vous n’auriez payé que 120.000 francs CFA, correspondant à environ 183 euros, pour votre voyage en bateau.

Quoi qu’il en soit, selon l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis pas la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ». Par ailleurs, l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

En effet, force est de constater que votre demande ne correspond à aucun des critères de fond défini par la Convention de Genève et que vous ne faites pas état de persécutions dans votre pays d’origine. Le fait que le chef de village et ses notables n’auraient pas voulu que vous succédiez à votre père ou que le chef de village voudrait vous tuer parce que votre père vous aurait initié et fait découvrir « la maison des secrets » ne saurait fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique car il ne rentre pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951. A cela s’ajoute que le chef de village et ses notables ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Par ailleurs, il ne ressort pas de vos déclarations que vous auriez été emprisonné du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques. Vous dites que le chef de village aurait corrompu les policiers, qui après intervention de votre père vous auraient relâché. Il n’est également pas établi que le chef de village ou ses notables seraient responsables de la mort de votre sœur et de votre frère. Enfin, au vu du Code pénal camerounais, la sorcellerie est un délit puni entre deux et dix ans de prison et une amende allant de 5.000 à 100.000 francs CFA. Il n’est donc pas établi que vous n’auriez pas pu trouver de protection de la part d’autorités camerounaises contre les actes de sorcellerie du chef de village et ses notables.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est donc refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A l’encontre de cette décision, Monsieur … fit introduire par le biais de son mandataire un recours gracieux formulé par lettre datée du 21 mars 2005.

Par décision du 30 mars 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale de refus du 7 mars 2005 dans son intégralité.

Par requête déposée le 22 avril 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 7 et 30 mars 2005.

L’article 10 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives. Le tribunal est partant incompétent pour connaître de la demande en réformation des décisions critiquées. - En effet, si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour en connaître (cf. trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm.

2004, V° Recours en réformation, n° 5, et autres références y citées).

Le recours en annulation à l’encontre des décisions ministérielles litigieuses ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur, soutenant que les décisions ministérielles querellées seraient le résultat d’une erreur manifeste d’appréciation des faits, expose qu’il aurait été intronisé par son père dans les « rites vaudous et animistes » afin de devenir le chef de village, que les sorciers locaux lui auraient cependant refusé ce titre au motif que sa mère serait d’une ethnie différente de celle de son village et que les « marabouts et autres nécromanciens l’ont alors menacé de mort », menaces qui seraient d’autant plus réelles « surtout après l’étrange pulvérisation par la foudre de ses frères et sœurs ».

Partant, il se trouverait dans une situation invivable et comme les autorités locales auraient également « une crainte révérentielle des sorciers locaux », un retour dans son pays d’origine le conduirait à « une mort certaine ».

Le délégué du gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours de celui-ci laisse d’être fondé.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

Une demande d’asile basée exclusivement sur des motifs d’ordre personnel et familial ou sur un sentiment général d’insécurité sans faire état d’un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève est à considérer comme manifestement infondée (cf.

trib. adm. 19 juin 1997, n° 10008 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 107 et autres références y citées ; trib. adm. 22 septembre 1999, n° 11508 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 105 et autres références y citées).

En l’espèce, même abstraction faite des incohérences et invraisemblances contenues dans le récit du demandeur, telles que relevées par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration dans la décision initiale, force est de constater, au regard des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile, ainsi qu’ils se dégagent du procès-verbal d’audition du 18 février 2005, que le demandeur n’a manifestement pas établi des raisons personnelles de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine. - En effet, il apparaît de ses déclarations, à les supposer véridiques, que le demandeur exprime en substance des craintes purement hypothétiques face à des pratiques de sorcellerie de la part de notables locaux qui ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève, sans apporter le moindre élément concret et individuel de persécution au sens de la Convention de Genève et sans préciser en quoi sa situation particulière ait été telle qu’il pouvait avec raison craindre qu’il risquerait de faire l’objet de telles persécutions.

Il se dégage des considérations qui précèdent que Monsieur … reste en défaut de faire état d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le ministre a valablement pu retenir que sa demande d’asile ne repose sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a déclaré la demande d’asile sous examen comme étant manifestement infondée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Sur question spéciale du tribunal à l’audience des plaidoiries, le mandataire du demandeur a déclaré renoncer à sa demande tendant à voir « ordonner l’effet suspensif du recours contre un jugement confirmatif pendant le délai et l’instance d’appel ».

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

donne acte au demandeur qu’il renonce à sa demande tendant à voir ordonner un effet suspensif pendant le délai et l’instance d’appel ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 12 mai 2005, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19713
Date de la décision : 12/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-12;19713 ?

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