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12/05/2005 | LUXEMBOURG | N°19132

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mai 2005, 19132


Tribunal administratif N° 19132 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 janvier 2005 Audience publique du 12 mai 2005

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Recours formé par Monsieur … contre une décision prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19132 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 janvier 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, insc

rite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Negage (Angola)...

Tribunal administratif N° 19132 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 janvier 2005 Audience publique du 12 mai 2005

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Recours formé par Monsieur … contre une décision prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19132 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 janvier 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Negage (Angola), de nationalité portugaise, actuellement détenu au Centre Pénitentiaire de Luxembourg, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 6 décembre 2004, par laquelle il s’est vu refuser l’entrée et le séjour sur le territoire luxembourgeois ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 février 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mars 2005 en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en sa plaidoirie.

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Par arrêté du 6 décembre 2004, notifié à l’intéressé le 7 décembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration refusa l’entrée et le séjour à Monsieur … et lui enjoignit de quitter le pays dans un délai de trente jours à partir de la notification dudit arrêté, et, en cas de détention, dans un délai de trente jours après la mise en liberté, au motif qu’en raison de ses antécédents judiciaires, il serait susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 janvier 2005, Monsieur … a introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 6 décembre 2004. Il y a lieu de noter que le mandataire a déclaré dans une lettre du 31 janvier 2005 que son client renonce à sa demande « subsidiaire » tendant à voir « ordonner la suspension des effets de la mesure d’expulsion ».

Le délégué du gouvernement conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours principal en réformation.

Le demandeur n’ayant pas pris position y relativement, force est de constater que ni la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers, 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ni aucune autre disposition légale ne confère compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, de sorte que le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

Le recours subsidiaire en annulation non autrement contesté sous ce rapport est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur conclut à l’annulation de la décision ministérielle litigieuse, en soutenant qu’elle ne serait « absolument pas motivée » et ne ferait « qu’énoncer de façon lapidaire que le requérant serait susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics », la seule indication de l’existence d’antécédents judiciaires dans son chef, sans préciser lesquels, serait insuffisante à cet égard.

C’est cependant à juste titre que le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen, étant donné que la décision critiquée indique clairement que l’entrée et le séjour sont refusés au demandeur au motif qu’il serait, compte tenu de ses antécédents judiciaires, susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics, de sorte que loin d’être imprécis, le motif indiqué a permis au demandeur d’assurer la protection de ses droits et intérêts en parfaite connaissance de cause.

Le demandeur conteste ensuite la gravité des faits lui reprochés en donnant à considérer que s’il a bien été condamné du chef de différents vols, il n’aurait cependant pas fait usage de violences, le préjudice étant seulement d’ordre matériel. Il estime ensuite que ces faits se rapportent à une période difficile alors qu’il se serait retrouvé au chômage, après avoir travaillé des années durant comme comptable auprès d’une société luxembourgeoise. Enfin, il précise qu’il présenterait toutes les garanties en vue d’une réinsertion sociale rapide et durable.

Le délégué du gouvernement rétorque que le demandeur, qui aurait séjourné au pays depuis octobre 1998 et dont la carte de séjour serait venue à expiration le 21 décembre 2003, aurait été condamné à deux reprises à une peine d’emprisonnement de deux ans, notamment des chefs de vols à l’aide d’effraction et de port public de faux noms. Il fait encore valoir que ce serait à bon droit que le ministre aurait pris l’arrêté de refus et d’entrée de séjour litigieux en raison des deux condamnations pénales du demandeur qui seraient suffisamment graves pour établir une dangerosité certaine dans son chef.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur estime que l’arrêté ministériel déféré est disproportionné, au motif que les faits lui reprochés ne constitueraient pas une atteinte suffisamment grave à l’ordre et à la sécurité publics pour justifier son éloignement. Il insiste qu’il serait un « citoyen tout à fait respectable » qui par un malheureux concours de circonstances serait tombé dans la délinquance, le comité de guidance du Centre Pénitentiaire de Givenich lui ayant attesté « un comportement sans reproche ».

Concernant le reproche tiré du caractère disproportionné de la mesure prise, il échet de constater que, conformément aux dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales, applicable en l’espèce en raison de la qualité de ressortissant communautaire du demandeur, « la carte de séjour ne peut être refusée ou retirée aux ressortissants énumérés à l’article 1er et une mesure d’éloignement du pays ne peut être prise à leur encontre que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, sans préjudice de la disposition de l’article 4, alinéa 3. La seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures. (…) Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet ».

La directive 64/221/CEE du 25 février 1964 du Conseil pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique impose aux Etats membres un certain nombre de conditions de fond et de forme en matière de police des étrangers à l’observation desquelles veille la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE).

L’article 3 de la directive 64/221/CEE du Conseil précise en son paragraphe 1 que les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet et dans son paragraphe 2 que la seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures. Ces dispositions ont été transposées en droit national par le règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales et plus précisément par son article 9 cité ci-

avant.

La CJCE a été amenée à élaborer en matière d’ordre public une œuvre considérable, dont l’examen ne peut être dissocié de celui de la directive 64/221/CEE du 25 février 1964.

Dans son arrêt Bouchereau du 27 octobre 1977 (Aff. 30/77) elle a précisé, par référence à son arrêt Van Duyn du 4 décembre 1974 (Aff. 41/74), qu’en tant que dérogation au principe fondamental de la libre circulation des travailleurs, la notion d’ordre public doit être entendue strictement, étant acquis qu’elle est susceptible de varier d’un pays à l’autre et d’une époque à l’autre, de sorte qu’il convient de reconnaître aux autorités nationales compétentes une marge d’appréciation dans les limites imposées par le traité et les dispositions prises pour son application.

Ainsi des « restrictions ne sauraient être apportées aux droits des ressortissants des Etats membres d’entrer sur le territoire d’un autre Etat membre, d’y séjourner et de s’y déplacer que si leur présence ou leur comportement personnel constitue une menace réelle et suffisamment grave pour l’ordre public. » (arrêt RUTILI, CJCE, 28 octobre 1975, aff. 36/75) Par ailleurs, le pouvoir étatique en matière de police des étrangers à l’égard d’étrangers délinquants est limité par la règle selon laquelle la « seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver » des décisions de refus d’entrée et de séjour et des décisions d’éloignement.

Il en résulte qu’une décision de refus d’entrée et de séjour, basée sur des raisons d’ordre ou de sécurité publics, ne se justifie qu’à partir du moment où le trouble causé par ledit ressortissant communautaire à l’ordre public est suffisamment grave et caractérisé.

En l’espèce, force est de constater que le ministre s’est référé à l’appui de la décision déférée aux antécédents judiciaires du demandeur, antécédents qui ont été précisés en cours de procédure contentieuse. Ainsi, le demandeur a été condamné une première fois le 8 mai 2002 à une peine d’emprisonnement de deux ans, notamment des chefs de vol à l’aide d’effraction, de port public de faux nom et de détention de stupéfiants pour l’usage personnel, et encore le 15 juillet 2004 à une peine d’emprisonnement de deux ans des chefs de tentative de vol à l’aide d’effraction et de vol à l’aide d’effraction. S’il est vrai que le comité de guidance du Centre Pénitentiaire de Givenich a certifié au demandeur un comportement irréprochable, il n’empêche qu’il a récidivé quelques mois seulement après avoir purgé sa première peine.

Les faits à la base de ces condamnations sont de nature à dénoter, de par leur gravité et notamment leur répétition dans un laps de temps assez court, un comportement du demandeur compromettant l’ordre et la sécurité publics et relativisent son affirmation qu’il présenterait toutes les garanties en vue d’une réinsertion sociale rapide et durable.

Au vu de l’ensemble des antécédents du demandeur, son comportement ne saurait dès lors être considéré comme étant de nature à écarter toute potentialité dans son chef de compromettre à nouveau la sécurité et l’ordre publics.

C’est partant à juste titre que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a pu invoquer la réserve d’ordre public en estimant que Monsieur … de par son comportement personnel serait susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics, pour lui refuser le séjour au Luxembourg et pour prendre une mesure d’éloignement à son encontre.

De tout ce qui précède, il convient de conclure que le recours sous analyse est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 12 mai 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19132
Date de la décision : 12/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-12;19132 ?

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