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12/05/2005 | LUXEMBOURG | N°18631

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mai 2005, 18631


Numéro 18631 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 septembre 2004 Audience publique du 12 mai 2005 Recours formé par les époux …, … contre une décision du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural en matière d’aides agricoles

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18631 du rôle, déposée le 3 septembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc THEISE

N, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mon...

Numéro 18631 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 septembre 2004 Audience publique du 12 mai 2005 Recours formé par les époux …, … contre une décision du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural en matière d’aides agricoles

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18631 du rôle, déposée le 3 septembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc THEISEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, exploitant agricole, et de son épouse, Madame ……, exploitante agricole, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural du 7 juin 2004 confirmant, sur recours gracieux, sa décision antérieure du 14 février 2004 portant rejet de leur demande en allocation d’une aide en capital pour l’achat de différents terrains agricoles;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2004;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 14 janvier 2005 par Maître Marc THEISEN pour compte des époux …;

Vu le courrier de Maître Marc THEISEN du 17 mars 2005 portant dépôt d’une pièce supplémentaire sur demande du tribunal formulée à l’audience;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Luc PUTZ, en remplacement de Maître Marc THEISEN, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 février 2005.

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Suivant acte notarié du 14 octobre 2003, Monsieur …, préqualifié, acheta à ses parents, les époux …, un certain nombre de terrains situés sur le territoire des communes d’Ell et de Redange.

Suite à la demande en allocation d’une aide en capital pour l’acquisition immeubles non bâtis à usage agricole et en remboursement des droits d’enregistrement et de transcription versés formulée par Monsieur … et son épouse, Madame ……, également préqualifiée, en raison de cette acquisition immobilière, le ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural, ci-après désigné par le « ministre », statua sur cette demande par décision du 4 février 2004 libellée comme suit :

« Ihr Beihilfeantrag betreffend die aufgeführte(n) Urkunde(n) ist von der zuständigen Kommission überprüft worden. Augrund dieses Gutachtens wurden folgende Entscheide getroffen:

Urkunde n° Teil Kapitalbeihilfe (€) Rückerst. Einregistr. (€) 5344 1/1 0,00 5.990,49

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0,00 5.990,49 Diese Entscheide gelten nur unter der Voraussetzung, dass die allgemeinen Genehmigungsbedingungen eingehalten werden.

Ihr Antrag wurde abgelehnt, da die Kapitalbeihilfe ausschliesslich für Landkäufe in Frage kommt, die nicht in Verbindung mit der Betriebsübernahme getätigt wurden. Somit können Ihnen nur die Einregistrierungsgebühren rückerstattet werden.

Gegen vorliegenden Bescheid kann beim Verwaltungsgericht eine Nichtigkeitsklage eingereicht werden. Dieser Regress muss innerhalb von drei Monaten nach Zustellung der vorliegenden Entscheidung durch einen Rechtsanwalt eingeleitet werden ».

Suite à un recours gracieux formé par les époux … suivant courrier de leur mandataire du 27 avril 2004, le ministre confirma le 7 juin 2004 sa décision du 4 février 2004 dans les termes suivants :

« Maître, J’ai l’honneur d’accuser réception de votre lettre du 27 avril 2004 par laquelle vous formez, pour compte de vos mandants Monsieur et Madame …, un recours gracieux contre ma décision du 4 février 2004 refusant à vos mandants l’allocation de l’aide en capital prévue par l’article 14 de la loi du 24 juillet 2001 concernant le soutien au développement rural pour l’achat de différents terrains agricoles et documenté dans un acte notarié du 14 octobre 2003.

Vous estimez que les conditions prévues par l’article 14 précité pour l’allocation de l’aide en capital sont remplies dans le cas d’espèce et vous demandez en conséquence d’allouer à vos mandants l’aide en question.

Plus particulièrement, vous soutenez que toutes les conditions prévues à l’alinéa 2 de l’article 14 et qui ont trait au statut professionnel, à la qualification professionnelle, à l’âge maximum, à la viabilité économique, au respect de certaines normes et à la situation de biens immeubles sont remplies dans le chef de vos mandants.

Or, force est de constater que ma décision de refus du 27 avril 2004 ne fait nullement état d’un non-respect d’une des conditions susvisées, mais elle se réfère aux dispositions de l’alinéa 1er de l’article 14 qui excluent du bénéfice de l’aide en capital les biens immeubles non bâtis à usage agricole acquis en relation avec l’installation.

Il résulte, en effet, clairement de l’acte de vente et de la demande d’aide que vos mandants ont acquis les biens immeubles auprès de leurs parents et beaux-parents, les époux …, et que ces mêmes biens ont fait partie de l’exploitation familiale sur laquelle vos mandants se sont installés.

A la lumière de ces considérations je ne peux donc que confirmer ma décision de refus du 27 avril 2004.

La présente décision est susceptible d’un recours en annulation à introduire dans un délai de trois mois par ministère d’avoué devant le tribunal administratif.

Veuillez agréer, Maître, … ».

Par requête déposée le 3 septembre 2004, les époux … ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle confirmative du 7 juin 2004 en ce qu’elle leur a refusé l’octroi de l’aide en capital sollicitée.

Aucune disposition légale n’instaurant un recours au fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Par contre, le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs soutiennent qu’il ne ressortirait pas des stipulations de l’acte notarié du 14 octobre 2003 que l’acquisition des terrains y visés aurait été faite en relation avec leur installation et que ces mêmes terrains se situeraient en réalité à des distances de leur habitation allant de 500 mètres à 2 kilomètres. Ils font encore valoir qu’ils « n’habitent pas sur les immeubles non bâtis », mais qu’ils auraient toujours habité à l’adresse susindiquée et ce même avant l’acquisition des terrains en cause.

A titre subsidiaire, les demandeurs soulèvent le moyen de l’inconstitutionnalité de l’article 14 alinéa 1er de la loi modifiée du 24 juillet 2001 concernant le soutien au développement agricole, ci-après désignée par la « loi du 24 juillet 2001 », en ce que l’exclusion de l’acquisition d’immeubles non bâtis en relation avec l’installation y prévue ne serait pas conforme à l’article 10bis de la Constitution. Ils exposent que cette soumission par le législateur des immeubles non bâtis acquis en relation avec l’installation à un régime différent de celui des immeubles non bâtis sans relation avec l’installation procéderait de disparités non objectives, rationnellement injustifiées, inadéquates et disproportionnées au but. En effet, face à la finalité de la loi du 24 juillet 2001 d’encourager l’activité agricole par des conditions d’installation comportant des éléments d’incitation efficaces et à préserver l’esprit d’exploitation familiale de l’agriculture, les demandeurs estiment que cette exclusion serait inadéquate en ce qu’elle ne répondrait pas aux objectifs de la prime de première installation et donc à l’idée de soutenir le développement rural et qu’elle serait même disproportionnée par rapport à son but en anéantissant les probabilités de reprises d’exploitations familiales. Les demandeurs s’emparent encore du règlement (CE) n° 1257/1999 du Conseil du 17 mai 1999 concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA) et modifiant et abrogeant certains règlements, ci-après désigné par le « règlement CE n°1257/1999 », lequel viserait à développer et à diversifier l’économie rurale et à protéger l’héritage rural.

Le délégué du gouvernement rétorque en relevant que Monsieur … aurait repris l’exploitation familiale de ses parents suivant un acte notarié du 5 août 1987 en vertu duquel il se serait vu attribuer en propriété les bâtiments d’exploitation, le cheptel mort et vif et 3,4 ha de terres agricoles. Par contrat de bail authentique du même jour, il aurait pris en location l’ensemble des terrains agricoles non attribués en propriété et faisant partie de l’exploitation familiale. Le représentant étatique précise encore que par l’acte notarié du 14 octobre 2003, Monsieur … aurait acquis de ses parents 20 ha des terrains agricoles ayant fait partie de l’exploitation familiale reprise et jusque lors par lui exploités sous forme de location, acquisition en relation avec laquelle les demandeurs auraient soumis leur demande en obtention d’une aide en capital rejetée par les décisions déférées.

Le délégué du gouvernement renvoie aux articles 11 et 14 de la loi du 24 juillet 2001 pour faire valoir qu’à travers ces deux dispositions le législateur aurait entendu instaurer deux régimes d’aides différents à l’égard de terrains agricoles, à savoir une aide sous forme de bonification du taux d’intérêt pour les acquisitions réalisées dans le cadre de l’installation d’un jeune agriculteur et une aide sous forme d’aide en capital pour les acquisitions faites sans relation avec l’installation, la conséquence en étant que le régime d’aide en capital ne saurait s’appliquer qu’à des acquisitions faites auprès de tiers. Le délégué du gouvernement affirme qu’il résulterait d’une juxtaposition entre l’acte notarié d’acquisition du 14 octobre 2003 et l’acte notarié de location du 5 août 1987 que ces deux actes portent sur les mêmes terrains agricoles ayant fait partie de l’exploitation agricole familiale reprise en 1987 et que le fait que Monsieur … s’est limité lors de l’installation à prendre ces terrains en location pour s’en rendre propriétaire à une époque ultérieure ne changerait rien au constat que ces terrains feraient partie de l’installation, la reprise sous forme de location ou d’achat ayant même été une condition essentielle pour l’obtention de la prime d’installation à l’époque. Il soutient encore que, comme les terrains acquis auraient fait partie de l’exploitation reprise en 1987, la revendication des demandeurs à bénéficier du régime instauré par l’article 14 de la loi du 24 juillet 2001 reviendrait à contourner le plafond des aides à l’installation de 50.000 € prévu à l’article 11 (4) de la même loi. Le délégué du gouvernement considère en outre que la différenciation des régimes d’aides selon que l’acquisition en cause se situe dans le cadre de l’installation d’un jeune agriculteur sur l’exploitation familiale ou non reposerait non seulement sur le choix politique du législateur luxembourgeois mais découlerait également des exigences du règlement CE n° 1257/99 qui imposerait aux Etats membres une telle distinction entre aides spécifiques à l’installation de jeunes agriculteurs et le régime général des aides à l’investissement dans les exploitations agricoles, entraînant que le moyen des demandeurs tenant au non-respect de l’article 10bis de la Constitution laisserait d’être fondé.

Les demandeurs font répliquer que le règlement CE n° 1257/99 ne prévoirait en aucune de ses dispositions une distinction des régimes d’aides selon un critère relatif à l’installation de l’agriculteur et n’impliquerait partant aucune exclusion d’acquisitions de terrains agricoles en relation avec l’installation d’un régime d’aides afférent, de sorte que l’exclusion correspondante portée par la loi du 24 juillet 2001 ne saurait être justifiée par renvoi à ce texte communautaire. Ils s’emparent encore de la définition de l’installation inscrite à l’article 23 du règlement grand-ducal modifié du 11 août 2001 portant exécution de la loi du 24 juillet 2001, ci-après désigné par le « règlement grand-ducal du 11 août 2001 », posant notamment la condition que l’installation doit impliquer la reprise totale des biens immeubles et meubles ayant composé l’exploitation, pour soutenir que, même en admettant le raisonnement du délégué du gouvernement relatif à l’exclusion mutuelle des régimes d’aides instaurés par les articles 11 et 14 de la loi du 24 juillet 2001, il ne découlerait nullement des actes notariés du 5 août 1987 et du 14 octobre 2003 qu’ils auraient opéré la reprise totale des biens immeubles et meubles de l’exploitation familiale en cause, de manière que l’acquisition immobilière litigieuse devrait être considérée comme un agrandissement de la surface de leur exploitation agricole, mais en aucun cas comme se trouvant en relation avec leur installation. Ils ajoutent que l’installation devrait être entendue comme un critère temporel en ce sens qu’au moment de son installation l’agriculteur pourra bénéficier des dispositions de l’article 11 de la loi du 24 juillet 2001, alors que postérieurement à l’installation effective un refus d’aides sur base de l’article 14 de la même loi ne saurait plus être opposé en arguant d’une prétendue installation. Les demandeurs contestent que leur demande constituerait un contournement inadmissible du plafond des aides prévu à l’article 11 de la loi du 24 juillet 2001 et ils estiment que, même si leur demande ne pourrait prospérer sur base de l’article 14 de la loi du 24 juillet 2001 mais sur base du régime général d’aides visé par l’article 1er de la même loi, il aurait incombé au ministre d’appliquer d’office le droit applicable et les faire bénéficier des aides légalement prévues. Les demandeurs réitèrent leur moyen tenant à la non-conformité de l’article 14 de la loi du 24 juillet 2001 à l’article 10bis de la Constitution au motif qu’il établirait, moyennant l’exclusion des acquisitions dans le cadre de l’installation d’un agriculteur, un critère non justifié rationnellement qui ne serait pas adéquat et proportionné au vu des buts de la législation relative au soutien du développement rural.

Il échet de relever liminairement qu’à travers un acte notarié du 5 août 1987, Monsieur … reçut en donation de la part de ses parents l’intégralité des machines agricoles et du cheptel de l’exploitation de ses parents, ainsi que les immeubles d’exploitation avec 3,65 ha de terrains. Suivant acte notarié séparé du même jour, Monsieur … prit en bail de ses parents un certain nombre de parcelles y énumérées ayant fait, de manière incontestée, partie de l’exploitation agricole de ses parents.

Or, à cette date était applicable la loi du 18 décembre 1986 promouvant le développement de l’agriculture, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 1986 », dont l’article 22 instaurait un régime d’aide aux jeunes agriculteurs n’ayant pas atteint l’âge de 40 ans qui s’installent comme agriculteur à titre principal. Le règlement grand-ducal du 8 juillet 1987 fixant les modalités d’allocation de la prime d’installation visée à l’article 22 de la loi du 18 décembre 1986 précisait les conditions de cette prime d’installation et prévoyait dans son article 3 que la reprise d’une exploitation familiale pouvait porter, soit, sur la pleine propriété des immeubles bâtis et non bâtis faisant partie de l’exploitation, soit, sur la pleine propriété des seuls immeubles bâtis, cette seconde hypothèse étant cependant soumise à la condition que le cédant de l’exploitation loue au bénéficiaire l’ensemble des terrains dont il était propriétaire et qui faisaient partie de l’exploitation agricole. Il s’ensuit qu’à la date du 5 août 1987, l’installation sur l’exploitation agricole familiale pouvait valablement avoir lieu sous forme d’une location des terrains agricoles dépendant de l’exploitation et d’un transfert de propriété des seuls immeubles bâtis.

S’y ajoute que la loi du 18 décembre 1986 prévoyait dans son article 19 également un régime de bonification d’intérêt sur les emprunts contractés pour financer tant l’acquisition d’immeubles bâtis ou non bâtis composant ou ayant composé l’exploitation familiale – partant également l’acquisition de terrains faisant partie de l’exploitation familiale et seulement pris en location au moment de l’installation - que l’acquisition d’immeubles bâtis ou non bâtis à usage agricole auprès de tiers.

C’est partant en conformité avec la législation de l’époque que Monsieur … a repris en 1987 l’exploitation de ses parents par la voie de l’installation telle que résultant de l’acte notarié du 5 août 1987, ayant comporté plus particulièrement la prise en location des terres rattachées à cette exploitation sans transfert de propriété. Cette installation doit être considérée comme ayant été achevée en 1987 alors que Monsieur … a bénéficié, d’après les indications du délégué du gouvernement, d’une prime d’installation de 406.000 LUF, correspondant au montant maximum prévu par l’article 22 (3) de la loi prévisée du 18 décembre 1986, lui allouée durant l’année 1988.

A travers la loi du 24 juillet 2001, le législateur a modifié substantiellement ces régimes d’aides en cause en l’espèce. Ainsi, la bonification d’intérêts sur emprunts contractés pour financer l’acquisition d’immeubles prévue par l’article 19 de la loi du 18 décembre 1986 a été remplacée par l’aide en capital prévue par l’article 14 de la loi du 24 juillet 2001. Au-delà de cette substitution de l’instrument d’aide, ce même article 14, en disposant que « l’acquisition par les exploitants agricoles d’immeubles non bâtis à usage agricole, à l’exception de celle en relation avec l’installation, bénéficie d’une aide en capital d’un taux maximum de 20% », exclut dorénavant, contrairement à la loi du 18 décembre 1986, cette aide en capital pour des acquisitions de terrains agricoles qui s’insèrent dans le cadre d’une installation d’un jeune agriculteur.

Le régime de l’installation d’un jeune agriculteur est régi par l’article 11 de la loi du 24 juillet 2001 qui, au-delà de la prévision des caractéristiques essentielles du régime d’aide à l’installation, a habilité dans son paragraphe (2) un règlement grand-ducal à déterminer « les conditions devant être remplies pour qu’une installation d’un jeune agriculteur puisse être considérée comme étant réalisée au sens du présent article ». Le règlement grand-ducal du 11 août 2001 dispose dans son article 23 sub b) que, pour que l’installation sous forme d’une reprise de l’exploitation familiale puisse être considérée comme étant réalisée au sens de l’article 11 de la loi du 24 juillet 2001, cette reprise « doit porter sur la pleine propriété des immeubles, soit bâtis et non bâtis, soit bâtis, effectivement exploités, faisant partie de l’exploitation familiale reprise, ainsi que sur le cheptel mort et vif », la reprise de tous les biens par voie de location n’étant admise que dans des cas exceptionnels et sur autorisation ministérielle. Il se dégage du libellé de cette disposition qu’elle relaisse aux parties à une reprise d’une exploitation agricole le choix entre le transfert de la pleine propriété sur tous les immeubles bâtis et non bâtis et le transfert de la pleine propriété des seuls immeubles bâtis, les immeubles non bâtis devant dans ce dernier cas être loués par le cédant au repreneur à travers un bail authentique au vœu de l’article 23 sub e). Sur ce point, le régime instauré par la loi du 24 juillet 2001 est partant similaire à celui qui était prévu par la loi du 18 décembre 1986. L’article 26 (1) du règlement grand-ducal du 11 août 2001 définit la date d’installation comme étant « la date du dernier acte authentique nécessaire à l’installation ».

Il en découle qu’abstraction faite de toute considération relative à l’application de la loi ratione temporis et des autres conditions fixées par les deux corps de législation successivement applicables, l’installation d’un jeune agriculteur par reprise de l’exploitation familiale peut être réalisée tant sous l’égide de la loi du 18 décembre 1986 que sous celui de la loi du 24 juillet 2001 par la voie de la transmission de la propriété des seuls immeubles bâtis et la location des terres agricoles et qu’également sous l’égide de la loi du 24 juillet 2001, ensemble le règlement grand-ducal du 11 août 2001, l’installation de Monsieur … sur l’exploitation familiale est à considérer comme ayant été réalisée, et partant également achevée, au cours de l’année 1987.

Il s’ensuit que la question conditionnant la solution au fond est celle de savoir si l’exclusion portée par l’article 14 de la loi du 24 juillet 2001 des acquisitions « en relation avec l’installation » de l’aide en capital y prévue doit être comprise, conformément à l’argumentation des demandeurs, dans un sens temporel pour ne viser que les acquisitions opérées au moment-même de l’installation du jeune agriculteur ou, ainsi que soutient le délégué du gouvernement, dans un sens causal en ce sens que l’acquisition de terrains ayant appartenu à l’exploitation familiale reprise et pris en location au moment de l’installation aurait sa cause dans l’installation déjà réalisée et que ce lien empêcherait le bénéfice de l’aide en capital pour acquisition de terrains agricoles.

En effet, il résulte de la juxtaposition des actes notariés des 5 août 1987 et 14 octobre 2003 que l’ensemble des terrains acquis par Monsieur … de ses parents suivant l’acte prévisé du 14 octobre 2003, hormis une seule parcelle de forêt de 12 ares, ont fait partie des terres prises en location par Monsieur … de ses parents au moment de son installation durant l’année 1987.

Il découle des travaux parlementaires relatifs à la loi du 24 juillet 2001 que le régime d’aide en capital pour l’acquisition de terrains agricoles vise « l’acquisition d’immeubles non bâtis à usage agricole auprès de tiers » et que des modifications ont été apportées au régime similaire prévu par la loi du 18 décembre 1986 pour tenir compte des conditions découlant du règlement CE n° 1257/1999 (projet de loi concernant le soutien au développement rural, doc. parl. n° 4778, commentaire des articles, p. 38). Dans le cadre de l’élaboration de cette même loi, la Chambre d’Agriculture avait relevé ce qu’elle considérait comme incohérence entre les articles 11 et 14 du projet de loi en ce que la reprise de terres issues de membres de la famille ne peut plus être subventionnée pour les agriculteurs ayant dépassé l’âge de 40 ans (doc. parl. n° 47781, p. 23), mais la Commission de l’agriculture, de la viticulture et du développement rural de la Chambre des Députés a retenu qu’elle « ne saurait non plus accepter l’extension du régime d’aide aux charges de la reprise de l’exploitation familiale, un tel régime d’aide étant prévu à l’article 11. En plus, le régime tel que préconisé se heurte aux dispositions de l’article 8 du règlement (CE) N° 1257/99 » (doc. parl. 47786, p. 8). Force est dès lors de conclure que législateur a entendu consacrer « l’interprétation causale » de l’exclusion portée par l’article 14 de la loi du 24 juillet 2001 des acquisitions « en relation avec l’installation » et mettre en dehors du champ de l’aide en capital pour acquisition d’immeubles non bâtis tous les terrains ayant fait partie de l’exploitation familiale au moment de sa reprise par un jeune agriculteur indépendamment de la question de savoir si le transfert de propriété a lieu au moment de l’installation de l’agriculteur ou ultérieurement en cas de prise en location de ces terres lors de l’installation.

Pour justifier « l’interprétation causale » de cette exclusion des acquisitions « en relation avec l’installation » portée par l’article 14, tant les travaux parlementaires relatifs à la loi du 24 juillet 2003 que le délégué du gouvernement renvoient au règlement CE n° 1257/1999 qui prohiberait un dédoublement des aides du chef de l’installation et du chef de l’acquisition d’immeubles non bâtis à usage agricole.

L’article 8 du règlement CE n° 1257/1999 dispose comme suit :

« 1. Des aides destinées à faciliter l'installation des jeunes agriculteurs sont accordées, à condition que ces derniers:

— n'aient pas atteint l'âge de 40 ans, — possèdent des connaissances et des compétences professionnelles suffisantes, — s'installent pour la première fois sur une exploitation agricole dont i) la viabilité économique peut être démontrée et ii) qui satisfait aux normes minimales requises en matière d'environnement, d'hygiène et de bien-être des animaux et — soient établis en qualité de chef d'exploitation.

Des conditions spécifiques peuvent être prévues lorsque le jeune agriculteur ne s'établit pas en qualité de chef d'exploitation exclusif. Lesdites conditions doivent être équivalentes à celles exigées pour le jeune agriculteur qui s'établit en qualité de chef d'exploitation exclusif.

2. Les aides à l'installation peuvent comporter:

a) une prime unique dont le montant maximal éligible figure à l'annexe I, et b) une bonification d'intérêts pour les prêts contractés en vue de couvrir les charges découlant de l'installation; le montant équivalant à la valeur capitalisée de cette bonification ne peut dépasser la valeur de la prime unique.

Une aide supérieure au plafond prévu au point a) mais qui ne peut pas dépasser 30.000 euros peut être accordée aux jeunes agriculteurs qui ont recours à des services de conseil agricole liés à l'établissement de leur activité pendant une période de trois ans à compter de l'installation ».

Cette disposition instaure un régime d’aides spécifique à côté du régime général de soutien aux investissements prévu par les articles 4 à 7 du même règlement.

Il résulte de la juxtaposition de ces deux ordres de dispositions communautaires, et notamment de l’article 4 alinéa 1er disposant qu’« un soutien est accordé aux investissements dans les exploitations agricoles, afin de contribuer à l'amélioration des revenus agricoles ainsi qu'à celle des conditions de vie, de travail et de production », que l’opération d’installation d’un jeune agriculteur sur une exploitation doit avoir été réalisée avant qu’il ne puisse être considéré comme ayant investi dans cette même exploitation. Il en découle logiquement que l’ensemble des biens ayant composé l’exploitation agricole au moment de l’installation du jeune agriculteur ne saurait être considéré comme constitutif d’un nouvel investissement pour lequel le régime d’aide prévu par les articles 4 à 7 pourrait trouver application. Cette conclusion n’est pas énervée par la circonstance que la loi interne d’un Etat membre autorise la reprise, au moment de l’installation d’un jeune agriculteur, d’une partie des biens existants de l’exploitation par voie de location, le critère étant celui de l’appartenance à l’exploitation concernée au moment de l’installation et non pas celui de la date du transfert de propriété.

Il découle de ces développements qu’en excluant, à travers l’article 14 de la loi du 24 juillet 2001, les acquisitions d’immeubles non bâtis « en relation avec l’installation » du champ de l’aide en capital pour achats de terrains agricoles, le législateur s’est simplement conformé aux exigences découlant du règlement CE n° 1257/1999. Or, dans la mesure où un règlement communautaire est directement applicable dans l’ordre juridique interne des Etats membres et où toute mesure interne entravant l’application uniforme d’un règlement communautaire serait contraire l’article 249 du Traité de Rome (cf. CJCE 7 février 1973, Commission c/ République d’Italie, n° 39/72), il ne saurait être reproché au législateur luxembourgeois de ne pas avoir respecté le principe d’égalité devant la loi consacré par l’article 10bis de la Constitution. Il s’ensuit que ce moyen des demandeurs est également à rejeter.

En l’espèce, au vu de l’identité ci-avant constatée des parcelles louées suivant l’acte notarié du 5 août 1987 et acquises par Monsieur … suivant l’acte notarié du 14 octobre 2003, il y a partant lieu de conclure qu’elle ont fait partie de l’exploitation reprise en 1987 par Monsieur …, de manière que, conformément aux développements ci-avant, ces terrains ne sauraient entrer en compte pour l’allocation d’une aide en capital pour acquisitions d’immeubles non bâtis à usage agricole et que c’est à juste titre que le ministre a refusé cette aide aux demandeurs.

Il s’ensuit que le recours analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 12 mai 2005 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18631
Date de la décision : 12/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-12;18631 ?

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