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11/05/2005 | LUXEMBOURG | N°19711

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 mai 2005, 19711


Tribunal administratif N° 19711 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 avril 2005 Audience publique du 11 mai 2005 Recours formé par les époux … et …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19711 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2005 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordr

e des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …(Albanie), et de son épouse, Madame …, ...

Tribunal administratif N° 19711 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 avril 2005 Audience publique du 11 mai 2005 Recours formé par les époux … et …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19711 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2005 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …(Albanie), et de son épouse, Madame …, née le … (Albanie), tous les deux de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 3 mars 2005, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant manifestement infondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 30 mars 2005, intervenue suite à un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 9 mai 2005, en présence de Maître Radu DUTA, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKE, ainsi que de Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES, qui se sont rapportés aux écrits respectifs de leurs parties.

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Le 22 février 2005, les époux … et … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, les époux … - … furent entendus par un agent de la police grand-

ducale, section police des étrangers et des jeux, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Ils furent encore entendus chacun séparément en date du 2 mars 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 3 mars 2005, notifiée par courrier recommandé expédié le 11 mars 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa les époux … - … de ce que leur demande avait été rejetée comme étant manifestement infondée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 29 mars 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit une décision confirmative le 30 mars 2005, notifiée par courrier recommandé du 5 avril 2005.

Le 22 avril 2005, les époux … - … ont fait introduire le recours « qui leur est ouvert par la loi » contre les décisions ministérielles prévisées, en sollicitant, aux termes du dispositif de ce recours, l’annulation des décisions litigieuses, et que le tribunal leur reconnaisse le statut de réfugié tel que prévu par la Convention de Genève et ordonne, « en application de l’article 35 de la loi du 21 juin 1999 (…) l’effet suspensif du recours contre un jugement confirmatif pendant le délai et l’instance d’appel, le tout au regard du préjudice grave et définitif que créerait l’exécution de la décision attaquée ».

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, à supposer que la demande telle que formulée au dispositif du recours et tendant à voir reconnaître aux requérants le statut de réfugié puisse être interprétée comme un tel recours au fond.

Le tribunal est effectivement appelé à constater une formulation du recours pour le moins confuse, le recours, d’une part, étant libellé « recours en annulation », puis « recours ouvert par la loi », pour, d’autre part, tendre à l’annulation des décisions litigieuses et à la reconnaissance du statut de réfugié, cette dernière demande consistant à vouloir obtenir la réformation des décisions déférées.

Le tribunal relève encore que les requérants, dans leurs moyens, affirment qu’ « il y a lieu de réformer subsidiairement d’annuler la (sic) décision critiquée ».

Il ressort des éléments du dossier que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration s’est basé sur l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire et sur l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996.

L’article 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, de sorte que le recours en réformation tel que figurant au dispositif du recours doit être déclaré irrecevable.

Le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est pour sa part recevable.

Quant au fond, les demandeurs reprochent au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Ils lui reprochent plus particulièrement de n’avoir consacré qu’une seule journée à l’instruction de leur dossier, et d’avoir, « avec une légèreté blâmable », omis de tenir compte des persécutions subies par eux, persécutions trouvant leur origine dans le « kanun », « véritable loi du Talion », à laquelle les autorités albanaises seraient totalement incapables de faire face.

Ils estiment encore que l’on ne saurait parler par rapport à l’Albanie d’Etat, « mais plutôt de sphères d’influence, de véritables organisations mafieuses ou terroristes qui réduisent le gouvernement en simple exécutant de causes qui le dépassent complètement ».

Le délégué du Gouvernement pour sa part estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que ceux-ci seraient à débouter de leur recours.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par les demandeurs à l’appui de leur demande d’asile dans le cadre de leurs auditions, ainsi qu’au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure qu’ils n’ont manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance.

En effet, lors de son audition, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, Monsieur … a affirmé que sa fuite serait due à « des problèmes personnels » liés à une question de partage d’un lopin de terre de quelques 300 m2, question qui aurait dégénéré au sein de sa famille en dispute opposant son père à son oncle.

Il précise avoir frappé son oncle dans le cadre de cette dispute et que depuis ce jour ses cousins chercheraient à le venger.

Son épouse a confirmé ses dires, en précisant toutefois n’avoir personnellement subi ni menaces, ni persécutions.

Force est partant de constater que la crainte invoquée par les demandeurs à l’appui du recours est exclusivement d’ordre privé en ce qu’elle se dégage directement d’un litige familial ayant pour objet la propriété d’un lopin de terre. Le fait que ce litige ait prétendument pour toile de fond la coutume ancestrale du « kanun », sorte de code de la vengeance – ce qui ne ressort d’ailleurs aucunement des déclarations des demandeurs - ne modifie rien au fait que les menaces subies ne constituent pas un risque de persécution du fait de la race, de la religion, de la nationalité des demandeurs, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

En ce qui concerne la demande en octroi de l’effet suspensif telle que basée sur l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, il y a lieu de souligner que, outre le fait que les demandeurs restent en défaut de préciser en quelle mesure l’exécution des décisions déférées risquerait de leur causer un préjudice grave et définitif, une telle demande est superfétatoire, l’appel contre un jugement du tribunal administratif ayant statué sur une décision ayant déclaré une demande d’asile manifestement infondée ayant aux termes même de l’article 10 (4) un effet suspensif en vertu de la loi précitée du 3 avril 1996.

Il s’ensuit que la demande visant à voir ordonner l’effet suspensif du jugement à intervenir est à écarter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, déclare le recours en réformation irrecevable, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, rejette la demande en effet suspensif du recours pendant les délais et instance d’appel consécutifs au présent jugement pour être superfétatoire, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 mai 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19711
Date de la décision : 11/05/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-05-11;19711 ?

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